Mais vous, vous comprenez quelque chose à ce qu'il se passe ? " La question est sur toutes les lèvres, elle vole de petit groupe en petit groupe, sur cette place du centre-ville de Naples où quelques centaines de militants napolitains du Mouvement 5 étoiles (M5S) -attendent l'arrivée du chef poli-tique, Luigi Di Maio, venu, en enfant du pays, reprendre contact avec les siens.
En cette fin de journée du mardi 29 mai, la confusion a atteint un tel niveau que plus personne n'arrive vraiment à suivre. Et les sites Internet des grands quotidiens italiens relaient sans cesse rumeurs et informations contradictoires, démenties quelques minutes plus tard.
Cosimo Panico, quinquagénaire en chemise bleue, cigarillo au bec, plie et déplie, avec difficulté, une banderole tricolore sur laquelle on lit, en caractères d'affiche :
-" ilmiovotoconta " (" mon vote compte ").
" Vous savez pourquoi je suis là ? Pour ne pas me trouver tout seul dans mon salon, à râler contre les conneries que j'entends à la télé ", confie-t-il.
Se faire entendreDepuis le coup de théâtre qu'a été l'échec de Giuseppe Conte à former un gouvernement, dimanche 27 mai, faute d'accord entre les chefs de la coalition Ligue- Mouvement 5 étoiles et le chef de l'Etat, Sergio Mattarella, il ne décolère pas. Et en revient à cette protestation qui est au fond la raison d'être du mouvement protestataire fondé en 2009 par l'humoriste Beppe Grillo et l'informaticien Gianroberto Casaleggio : le besoin de se faire entendre, d'être pris en compte par les puissants.
" Je suis là pour nos enfants, assure-t-il.
Pour nous c'est trop tard, on ne verra pas les effets de tout cela avant des dizaines d'années, il y a tant à faire… Mais nous avons une majorité, et un programme, et le président Mattarella nous a interdit de le mettre en œuvre ! " Mais ce programme, justement, conclu avec la Ligue de Matteo Salvini, est-il vraiment réaliste ?
" Oui bien sûr, et surtout il est nécessaire. Le revenu de citoyenneté, l'abandon de la réforme des retraites, la gestion publique de l'eau, la refondation de la démocratie, il faut mettre en œuvre tout ça. Le problème, c'est que dans le -contrat, on n'a pas inscrit de calendrier, on n'a pas précisé ce qu'on ferait en premier. "
L'autre écueil, bien sûr, c'est que le " contrat de gouvernement " ne contient pas uniquement des mesures prônées par le M5S. Et que ce programme paraît impossible à financer s'il s'accompagne de la centaine de milliards d'euros de baisse d'impôts prônée par la Ligue de Matteo Salvini. A l'énoncé du principe de la " flat tax ", -Cosimo Panico lève les yeux au ciel et soupire :
" Nous n'avions pas la majorité tout seul, il fallait bien faire un accord… "
Naples ne porte pas dans son cœur, et c'est un euphémisme, la Ligue de Matteo Salvini, héritière de la Ligue du Nord d'Umberto Bossi, qui a construit tous ses succès politiques sur le rejet du Sud. Ici, ce mouvement de droite radicale, souverainiste et xénophobe, est presque inexistant, et lors des élections législatives du 4 mars, le Mouvement 5 étoiles a obtenu, dans toute la région, plus de 50 % des suffrages. Mais Naples non plus n'est pas l'Italie…
Aujourd'hui, plus que contre ce Nord qui les méprise, la colère des militants est surtout dirigée vers Rome, alors que le président, Sergio Mattarella, tente de faire laborieusement émerger un gouvernement technique dirigé par l'économiste Carlo Cottarelli, un apôtre de la baisse de la dépense publique qui a fait la plus grande partie de sa carrière au sein du Fonds monétaire international (FMI).
Censée n'être que transitoire et préparer un retour aux urnes dans les plus brefs délais, cette solution semble, en réalité, ne satisfaire personne en dehors du palais du Quirinal. Alors qu'il devait annoncer, mardi soir, la composition de son gouvernement technique, Carlo Cottarelli ne s'est pas présenté devant les journalistes, et s'est contenté d'annoncer un nouveau rendez-vous avec Sergio Mattarella, mercredi matin, laissant imaginer une possible renonciation à la mission suicide qui lui avait été confiée.
" Sauver l'Italie "Il faut dire que les nouvelles des dernières heures n'avaient rien d'engageant. Qui aurait assez d'abnégation – ou de masochisme – pour se présenter le cœur léger devant des assemblées et solliciter un vote de confiance, alors qu'aucun groupe parlementaire n'a annoncé qu'il voterait pour lui ?
Lorsque apparaît Luigi Di Maio, visiblement marqué et amaigri, il est plus de 20 heures, et la foule a grossi jusqu'à atteindre un bon millier de personnes.
" Si nous sommes là ce soir, c'est à cause du spread - écart de taux d'intérêt consentis par les marchés à l'Italie et à l'Allemagne - , commence le chef du M5S.
Mais je ne vous parle pas du spread financier, mais de l'écart entre notre pays et un pays normal. "
Alors que la panique sur les marchés financiers s'installe et que le commissaire européen au budget, Günther Oettinger, a -enflammé l'Italie en expliquant que la réaction des marchés était un
" signal " pour les électeurs italiens
, Luigi Di Maio n'a pas -besoin d'en rajouter dans les discours anti-allemands : la foule autour de lui est déjà chauffée à blanc.
Ce sur quoi il insiste plutôt, c'est le primat de la politique :
" C'est ça le plus important, la bataille de toutes les batailles ", lance-t-il. L'accord politique avec la Ligue de Matteo Salvini ? Luigi Di Maio le défend sans arrière-pensées :
" Je suis un citoyen du Sud et je ne l'ai pas oublié lorsque je me suis assis à la table avec eux. Mais ensuite nous avons été d'accord sur tant de choses… "
Alors que tout poussait encore, quelques heures plus tôt, à de nouvelles élections dans les plus brefs délais, Luigi Di Maio lance une petite ouverture en direction de la présidence de la République, dont il a cessé, quelque temps avant, de réclamer la destitution.
" Si on veut faire un gouvernement, nous avons un contrat, et une majorité au Parlement ", avance-t-il, avant de prévenir ses adversaires :
" Si l'on revote, nous gagnerons à nouveau, et on fera le même accord. "
A quoi servirait-il, dès lors, de lancer le pays dans une nouvelle campagne électorale, synonyme d'incertitudes ? Là pourrait résider une possible sortie de crise, en même temps que serait désigné un exécutif à même de discuter avec les institutions financières.
" Nous irons voir nos créanciers et nous leur dirons que nous voulons sauver l'Italie ",prévient-il, avant de se faire plus menaçant :
" Jusqu'ici, le Mouvement 5 étoiles a permis que la colère ne se transforme pas en haine. Mais s'il apparaît que la démocratie est suspendue, alors commenceront les vrais problèmes. "
Jérôme Gautheret
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