Il n'est pas 7 heures, ce mercredi 30 mai, que déjà le premier des quarante bus mobilisés pour l'évacuation des migrants du campement du Millénaire, dans le 19e arrondissement de Paris, prend la route avec à son bord une soixantaine de personnes. Une heure auparavant, un gros millier d'exilés est déjà debout, pliant une tente, fermant un sac à dos. Quelques jours plus tôt, le camp comptait jusqu'à 1 600 migrants. Les plus pressés se rangent d'eux-mêmes en file indienne au pied de l'escalier qui remonte du quai du Lot sur le boulevard Macdonald. Ils veulent être sûrs d'être les premiers à partir.
Pendant que Paris s'éveille doucement, que les pâtes à pain lèvent dans les fournils et que les joggeurs quittent leurs appartements, Bina, lui, ramasse son tee-shirt mis à sécher sur un grillage.
" Je ne sais pas du tout où je pars, mais je pars. Cela fait deux semaines que je vis ici, et je n'en peux plus ", observe le jeune Erythréen.
Il souhaite déposer une demande d'asile en France et n'a pas laissé d'empreintes sur son chemin. Lorsqu'il sera passé par l'un des 23 gymnases d'Ile-de-France préparés pour accueillir cette 35e évacuation de migrants de la capitale, il devrait être orienté vers un dépôt de sa demande d'asile et hébergé rapidement dans le dispositif national où 400 places avaient été libérées pour des profils comme le sien.
Force surdimensionnéeBina fait partie des cas " faciles ". Pas comme Ahmed, un Soudanais, qui hésite, le sac sur le dos, sur ce qu'il doit faire.
" J'ai laissé mes empreintes en Italie. La France a voulu m'y renvoyer, mais j'ai refusé d'y retourner. J'ai passé six mois dans les champs en Calabre, c'est de l'esclavage. Je ne demanderai jamais l'asile là-bas. Je veux rester en France, mais pas ici, signifie-t-il en montrant les carcasses des tentes vides…
Vous pensez que je fais une bêtise en prenant le bus ? ", interroge-t-il, inquiet. Mercredi, les informations précises étaient rares sur la durée du séjour en gymnase et la suite. Seules quelques feuilles A4 circulaient, rappelant en anglais et en arabe que la situation de chacun allait être examinée.
" L'opération de mise à l'abri " organisée par l'Etat doit être suivie d'un
" contrôle des situations administratives ", a rappelé le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, lors d'un point presse mercredi.
" Nous allons demander l'identité et le statut de chacun afin d'orienter vers le dispositif qui -convient ", a ajouté Didier Leschi, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, présent au pied des bus.
Théoriquement, les " dublinés " comme Ahmed doivent être orientés vers une structure à -partir de laquelle le renvoi peut être organisé. Dans la pratique, en dépit des efforts de la préfecture de police de Paris pour organiser ces transferts vers les autres pays européens où leurs empreintes ont été enregistrées dans le fichier Eurodac, les taux de renvoi ne dépassent pas les 10 %, et sont en baisse depuis le début de l'année. Si
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" dublinés " ont été expulsés vers l'Italie en 2017 (869 vers l'Allemagne), Rome les accepte de moins en moins. De plus, ceux qui sont effectivement renvoyés reviennent sous quelques jours et finissent par redéposer une demande d'asile en France après dix-huit mois de rue.
" Tant qu'on n'aura pas repensé les accords de Dublin, on aura des campements. Il faut bien qu'ils soient quelque part ", observe un humanitaire.
Officiellement, et malgré le peu de résultat du " dublinage ", le ministère de l'intérieur affiche une grande fermeté sur ce point, escomptant dissuader ainsi les déboutés des autres pays d'Europe de venir tenter leur chance à Paris. La même politique de communication prévaut pour les déboutés de l'asile en France, que le ministère dit vouloir renvoyer. Là encore, le taux d'opérations réussies reste faible en dépit d'une débauche d'énergie.
" On est dans un effet d'affichage ", insiste un observateur, qui ajoute
" cela fait partie de la politique menée ". De déboutés par la France, au Millénaire, il n'était pas question mercredi. Ces derniers avaient par prudence disparu du campement avant l'aube mercredi, craignant que des places leur aient été réservées en centre de rétention administrative, la prison des étrangers.
Pourtant, pour canaliser ces opérations, la préfecture de police avait vu grand et dépêché sur les lieux 550 hommes. Une force surdimensionnée compte tenu de l'envie générale de ceux qui étaient présents de quitter au plus vite les bords de ce canal où un décès avait eu lieu dans la nuit du 7 au 8 mai et où l'ambiance était souvent violente en soirée.
Mercredi, comme lors de toutes les opérations de ce type, un public venu d'ailleurs s'était aussi greffé là. Réfugié somalien, -Habib, 27 ans, espérait beaucoup de cette rencontre avec les services de l'Etat.
" D'ordinaire je dors dans un garage vers Barbès. Je suis réfugié depuis deux ans, mais je n'arrive pas à trouver un logement et je n'en peux plus ", soulignait le jeune homme dans un français impeccable. Réfugié lui aussi, mais soudanais, Moussa avait le même espoir en montant dans le bus. La France a un peu oublié de mettre en place les ponts nécessaires, une fois octroyé le statut de réfugié. Le 5 juin, un Comité interministériel à l'intégration pourrait ouvrir ce dossier pour éviter la transformation rapide des réfugiés en -exclus. En attendant, Habib et -Ahmed croient à leur chance, même si, interrogé sur le sujet, le préfet de police n'apportait pas de réponse précise sur le sort réservé à ce public particulier.
Avec cette évacuation, c'est le principal campement de France qui disparaît. Depuis plusieurs mois, il était au cœur du bras de fer très politique entre le ministre de l'intérieur, Gérard -Collomb, et la maire de Paris, Anne Hidalgo. La Place Beauvau oubliant qu'il est du devoir de l'Etat d'héberger ces personnes.
Dans quelques jours, lorsque les gymnases seront vidés, les deux autres campements parisiens devraient être évacués. Celui du -canal Saint-Martin compte quelques centaines d'Afghans et celui de la porte de la Chapelle mêle des populations très marginalisées. Mais difficile d'imaginer qu'un nouveau lieu ne se dessine pas dans les temps à venir, sachant qu'une cinquantaine de migrants entrent chaque jour en France, qu'il n'existe pas de dispositif de préaccueil et que Paris est devenu la base arrière de Calais.
Maryline Baumard
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