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jeudi 31 mai 2018

Libye : accord pour des élections en décembre


31 mai 2018

Libye : accord pour des élections en décembre

De nombreuses incertitudes pèsent sur l'organisation du scrutin, malgré l'unanimité de la déclaration de Paris

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LES DATES
2011
Février L'est de la Libye s'enflamme. En mars, une coalition emmenée par Washington, Paris et Londres lance une offensive après un feu vert de l'ONU.
20 octobre Kadhafi est tué.
2012
JuilletUn Parlement (CGN) est élu.
2014
Mai Le général Khalifa Haftar -entre en dissidence dans l'Est.
Juin Tenue d'élections. Le CGN est remplacé par un Parlement dominé par les anti-islamistes qui fuient dans l'Est après la conquête de Tripoli par une coalition de -milices qui réinstalle le CGN.
2015
Décembre Des représentants de la société civile et des députés s'engagent sur un accord parrainé par l'ONU. Un- " gouvernement d'union -nationale " (GNA) est proclamé.
2016
Mars Le chef du GNA, Fayez Al-Sarraj, -arrive à Tripoli. Dans l'Est, le -cabinet parallèle, soutenu par le -général Haftar, lui reste opposé.
2017
Juillet Faïez Al-Sarraj et Khalifa Haftar s'engagent sur un processus de sortie de crise lors d'une rencontre près de Paris sous les auspices d'Emmanuel Macron.
PLAINTE POUR TORTURE CONTRE HAFTAR
Le maréchal libyen Khalifa Haftar est visé par une deuxième plainte en France, déposée par un Libyen qui dit avoir été torturé par ses milices. Cette plainte avec constitution de partie civile pour " tortures ", rendue publique mardi 29 mai, a été déposée le 18 avril, auprès du pôle " crimes contre l'humanité " du tribunal de Paris. Le plaignant affirme que son foyer a été attaqué en octobre 2014 et que plusieurs membres de sa famille ont été assassinés. Il a été " emmené par les membres de la milice et torturé durant trois semaines. Entre autres séquelles, il a perdu son œil droit ", selon son avocate. Dans une autre plainte déposée auprès du parquet de Paris, Ali Hamza, un citoyen libyen et canadien résidant au Canada, réclame à la France d'enquêter sur les exactions qu'auraient commises les forces de l'Armée nationale libyenne du maréchal en 2016 et jusqu'en mars 2017, pendant le siège de Benghazi.
Il y a enfin une date, le 10  décembre, pour des élections législatives et présidentielle en Libye. Il y a un accord sur des procédures. Et il y a surtout l'engagement public des grands protagonistes de la crise libyenne à respecter cette feuille de route. Organisée par la France sous les auspices des Nations unies, en présence d'une vingtaine de pays et de quatre organisations internationales, la conférence internationale sur la Libye qui s'est tenue mardi 29  mai à l'Elysée pour tenter de stabiliser ce pays près de sept ans après la chute de Mouammar Kadhafi est un incontestable succès, au moins en termes d'affichage.
" C'est une réunion historique ", a déclaré, lors de la conférence de presse finale, Ghassan Salamé, le chef de la mission de l'ONU pour la Libye. " Il s'agit d'une étape-clé pour la réconciliation ", s'est félicité le président français Emmanuel Macron qui, depuis son élection, a fait de la résolution de la crise libyenne l'une de ses priorités diplomatiques. Le chaos libyen représente en effet une menace sécuritaire pour toute la région et pour l'Europe. Aux yeux du président, une sortie de crise relève en outre de l'obligation morale après l'intervention de l'OTAN de 2011 : " Nous le devons au peuple libyen parce que, parfois, nous nous sommes substitués à sa souveraineté. "
Une tâche immenseRéunis pour la première fois autour d'une même table, les quatre acteurs-clés du conflit – le chef du " gouvernement d'accord national " (GAN), Faïez Al-Sarraj ; le patron de l'Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar ; le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah Issa (replié à Tobrouk) ; et le président du Conseil d'Etat (instance consultative basée à Tripoli), Khaled Al-Mishri – se sont accordés sur une déclaration commune en huit points, lue en arabe et approuvée oralement par les quatre responsables libyens, à la demande d'Emmanuel Macron. Mais il n'y a pas eu de signature devant les caméras, comme prévu initialement.
" Donc, tout le monde travaille ensemble sur cette base, bravo ! ", s'est félicité le président français, prenant à témoin ambassadeurs et ministres des pays invités qui ont applaudi. " En s'arrêtant sur des dates et un protocole, plus personne ne pourra dire “je ne suis pas d'accord puisque tous les protagonistes sont là aujourd'hui, dont tous les pays impliqués dans la crise libyenne ", a insisté le chef de l'Etat.
Dans cette déclaration, les quatre représentants libyens conviennent notamment de mettre en place " une base constitutionnelle " pour les élections et d'adopter, avant le 16  septembre, les " lois électorales nécessaires " visant à organiser le double scrutin du 10  décembre. Ils s'engagent également à " accepter les résultats des élections " et à veiller à ce que " des dispositions solides en matière de sécurité soient mises en place ". Le texte prévoit également de " mettre un terme au dédoublement des institutions et structures gouvernementales ", d'unifier la banque centrale libyenne et de poursuivre les efforts de réunification des forces de sécurité entre l'Est et l'Ouest.
Si le document n'a pas été signé, les mots engagent. " Cette déclaration restera comme une référence permettant de mettre chacun devant ses responsabilités ", souligne l'Elysée. Un tournant s'amorce peut-être. " Je n'ai jamais vu, à propos de la tenue des élections, une telle convergence entre la volonté de la population libyenne et celle de la communauté internationale ", a souligné M. Salamé tout en reconnaissant que la tâche qui l'attend est immense.
Mise en scène " malsaine "La tenue d'élections parlementaires et présidentielle implique en effet de démêler l'écheveau constitutionnel libyen. Le pays vit aujourd'hui sous le régime d'une " Déclaration constitutionnelle " élaborée en août  2011 par les autorités intérimaires post-Kadhafi. Ce texte provisoire avait vocation à être remplacé par une nouvelle Constitution qu'une petite assemblée de 60 membres – la Constitutional Draft Assembly (CDA) – devait adopter.
L'affaire a toutefois traîné en raison de la guerre civile qui a éclaté à l'été 2014, mais surtout de profondes divergences sur la nature et la structure de l'Etat. Les fédéralistes de la Cyrénaïque (Est) veulent une architecture décentralisée tandis que les minorités ethniques – Toubou, Touareg et Amazigh (berbères) – réclament une reconnaissance officielle de leur identité culturelle et linguistique.
L'Assemblée constituante a finalement adopté une Constitution en juillet  2017 mais une partie de la Chambre des représentants – basée à Tobrouk – la conteste en raison des conditions d'éligibilité imposées à un candidat pour le scrutin présidentiel, notamment en matière de double nationalité, de durée de résidence en Libye et de fonction occupée dans l'armée. Les critères retenus rendraient impossible la candidature du maréchal Khalifa Haftar.
Or il revient à la Chambre de Tobrouk, où M. Haftar exerce une forte influence, d'adopter non seulement la loi relative au référendum validant la Constitution mais aussi les lois électorales spécifiques organisant le double scrutin. A Paris, les parties se sont engagées à faire adopter d'ici au 16  septembre les lois électorales nécessaires à cette double élection, quitte à renvoyer à l'après-scrutin la validation par référendum de la Constitution.
Les difficultés qui s'annoncent permettront de tester la méthode qui a présidé à l'organisation de ce sommet de Paris. La mise en scène de " personnalités " libyennes prétendument représentatives lors de rencontres internationales a jusqu'à présent échoué à stabiliser le pays. Dans un rapport publié en mai, International Crisis Group (ICG) a qualifié de " malsaine " une telle focalisation sur des individualités dont l'influence réelle est limitée dans le contexte d'émiettement sociopolitique que connaît le pays.
Selon ICG, l'accent devrait être plutôt mis sur " l'inclusivité et la représentativité des institutions politiques existantes " et la prise en compte des " besoins de la population ". Aussi, l'accord arraché à Paris entre les quatre invités libyens n'aura que peu de portée s'il ne s'accompagne pas d'un travail de consolidation institutionnelle et d'intégration des communautés locales dans les circuits de décision.
L'autre urgence est la réunification des forces armées de l'Est, loyales au maréchal Haftar, et de l'Ouest, liées à Faïez Al-Sarraj. Le gouvernement égyptien a hébergé ces derniers mois des rencontres entre officiers des deux camps. La fragilité du processus tient toutefois dans le déséquilibre entre ces derniers, l'ANL de M. Haftar étant bien plus influente que les forces liées à M. Sarraj.
D'où l'extrême nervosité manifestée récemment par les grosses milices et brigades de l'Ouest, notamment à Misrata et à Zintan, fers de lance de la révolution de 2011. Ces dernières craignent qu'une réunification militaire déséquilibrée serve avant tout les desseins de M. Haftar, perçu comme adepte d'une restauration militaire à l'égyptienne.
Frédéric Bobin (tunis, correspondant) et Marc Semo
© Le Monde

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