C'est un confrère de l'Agence France-Presse qui nous a mis la puce à l'oreille il y a quelques jours, en retweetant une interview au Mondeque Jean-Claude Juncker, le président de la commission, nous avait accordée il y a deux ans. " Avec l'extrême droite, il n'y a ni débat ni dialogue possible ", nous expliquait le Luxembourgeois fin mai 2016, depuis son bureau du 13e étage du Berlaymont, le siège bruxellois de l'institution.
Bruxelles tremblait déjà. Les Autrichiens étaient sur le point d'élire leur président et, après le premier tour, le candidat du FPÖ (extrême droite) était au coude-à-coude avec Alexander Van der Bellen, soutenu par les Verts. Après l'annulation du scrutin -initial, c'est ce dernier qui fut élu en décembre 2016.
" A la perspective de voir la droite pure et dure et l'extrême droite l'emporter, je me sens obligé de dire que je ne les aime pas, enchaînait M. Juncker, un conservateur tendance chrétien-social.
Il ne faut pas courir derrière les populistes, qui posent souvent de bonnes questions, mais donnent de mauvaises réponses. (…)
Je ne suis pas tenté de céder à ces réflexes primaires. Je ne me salirai pas à faire cela. "
Ces propos ont pris un sacré coup de vieux alors que l'extrême droite italienne, europhobe et xénophobe, alliée aux Mouvement cinq étoiles (M5S, antisystème), est aux portes du pouvoir en Italie. La Ligue (extrême droite) a certes raté la dernière marche, après l'opposition du président Sergio Mattarella, qui a refusé la nomination de Paolo Savona, un euro-sceptique revendiqué, au poste de ministre des finances. Mais elle est au plus haut dans les sondages et compte retenter sa chance aux prochaines élections. Si elle parvient aux commandes, qui pourra se permettre de snober le gouvernement d'un pays fondateur de l'Union à Bruxelles ? Personne.
" Nouveaux barbares "Quand l'exception se banalise et menace le cœur de l'Europe, les dirigeants bruxellois n'ont d'au-tre choix que de recevoir, négocier, transiger avec ces
" nouveaux barbares ", comme les a récemment désignés le
Financial Times. Au risque, sinon, d'alimenter le procès en déni de démocratie qu'on leur fait depuis des années.
Car depuis mai 2016, exploitant sans vergogne la crise migratoire, l'extrême droite a réalisé d'autres percées, et le sentiment anti-Bruxelles n'a pas faibli. En Autriche, le FPÖ s'est imposé au sein d'une coalition gouvernementale avec la droite classique. En Allemagne, l'AfD a fait son entrée au Bundestag. En Pologne, le gouvernement du PiS, conservateur tendance réactionnaire, n'a pas pâti dans les sondages de son bras de fer avec Bruxelles, la Commission exigeant qu'il amende des lois affaiblissant l'indépendance de la justice. Et en Hongrie, Viktor Orban s'est fait réélire premier ministre en avril sur un programme violemment anti-migrants.
Cernée, la Commission a bien proposé l'ouverture d'une procédure inédite contre Varsovie (l'article 7 du traité européen en cas de violation systématique de l'Etat de droit), mais elle cherche désormais un compromis honorable. Le Parti populaire européen (PPE, la réunion des droites classiques de l'Union), premier parti politique paneuropéen, celui de M. Juncker (et d'Angela Merkel), continue à tolérer les outrances de M. Orban.
Les premières réactions à la perspective d'un gouvernement Ligue/M5S laissent à penser que le reste des Européens aurait accepté de parler avec cet attelage des extrêmes, s'il avait été confirmé par le président italien.
" J'avais dit que je travaillerais avec le ministre des finances quel qu'il soit, si cela avait été Savona, je l'aurais accepté. Il faut arrêter de penser qu'à Bruxelles on impose tel ou tel choix démocratique ", a affirmé Pierre Moscovici au micro de Franceinfo, lundi 28 mai. Même le ministre des finances allemand, Olaf Scholz, s'était dit prêt, deux jours auparavant, à
" répondre à la main tendue " du futur (désormais ex) premier ministre Giuseppe Conte, après une déclaration pro-européenne de ce dernier.
Peut-être s'agissait-il de manœu-vres destinées à amadouer les extrêmes en espérant que les marchés financiers feraient vite leur œuvre et convaincraient le gouvernement 100 % antisystème transalpin de rentrer dans le rang et les règles budgétaires de l'Union ? Le commissaire allemand Gunther Oettinger a enflammé Twitter, mardi 29 mai, après avoir déclaré que
" les développements sur les marchés italiens - pourraient -
aller si loin que cela servirait de signal, pour les votants, afin d'éviter de choisir les populistes de droite ou de gauche "…
En tout cas, plus question de mettre les extrêmes en quarantaine, comme ce fut le cas avec l'Autriche, quand, en 2000, le FPÖ avait participé pour la première fois à un gouvernement de coalition. D'autant que dans un mois, Vienne prend la présidence tournante de l'Union pour six mois… Certes, le chancelier conservateur Sebastian Kurz a réitéré ses engagements européens dès sa prise de fonctions. Mais trois ministères régaliens – l'intérieur, la défense et les affaires étrangères – sont aux mains de l'extrême droite.
La politique européenne a déjà commencé à être contaminée. Sur le front migratoire, elle s'est même " orbanisée ", œuvrant à cette " Europe forteresse " que recommande le premier ministre hongrois. Fermeture des frontières pour les migrants économiques, accueil réservé aux seuls réfugiés. Sur le front économique, en revanche, Bruxelles n'a malheureusement donné aucun signe qu'elle était prête à lâcher du lest. Pour paraphraser M. Juncker : à apporter les bonnes réponses aux bonnes questions des extrêmes, pour détourner les électeurs italiens des sirènes trompeuses de l'extrême droite. Handicapée par son énorme dette, l'Italie a besoin de gestes de solidarité des autres Etats européens. Mais Bruxelles, et surtout Berlin, n'ont jusqu'à présent pas pris la mesure de ces attentes, ni donné suite à l'idée macronnienne d'un véritable budget de la zone euro.
par Cécile ducourtieux
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