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30.mai.2018 //
Le mouvement anti-islam a un nouveau cri de ralliement – Supprimons des versets du Coran. Par Mehdi Hasan
Pour susciter un peu de débat…
Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 16-05-2018
Vous pensez que la vie est dure pour les Musulmans dans l’Amérique de Trump ? Pensez un peu aux Musulmans de France.
Au cours des dernières années, ils ont été blâmés collectivement , et punis, pour une séried’horribles attaques terroristes perpétrés par de soi-disant djihadistes. La dernière, une attaque au couteau à Paris par un homme criant « Allah akbar », a tué une personne et en a blessé quatre autres le week-end dernier.
Si la bigoterie anti-musulmane est devenue une caractéristique de la droite républicaine en Amérique, en France, c’est une affaire véritablement bipartite. L’islamophobie est colportée par la gauche et la droite, les socialistes et les conservateurs s’entremêlant pour défendrela laïcité française en diabolisant les musulmans français.
Rendez-vous compte : les gouvernements français successifs ont criminalisé le voile sur le visage et interdit le foulard dans les écoles. Les maires français ont ciblé les femmes musulmanes qui veulent se couvrir sur la plage et les écoliers musulmans qui essaient d’avoir un déjeuner sans porc. Le président français – et libéral bourreau des cœurs – Emmanuel Macron a introduit une législation antiterroriste draconienne dont les experts des droits de l’homme des Nations Unies ont averti qu’elle pourrait avoir un impact discriminatoire sur les musulmans en particulier.
Et la dernière grande idée ? S’en prendre au Coran. Le 21 avril, le journal Le Parisien a publié un manifeste « contre le nouvel antisémitisme », signé par 300 personnalités publiques – de l’ancien président Nicolas Sarkozy et l’ancien premier ministre Manuel Valls, à l’acteur Gérard Depardieu et au chanteur Charles Aznavour. Selon The Atlantic, le manifeste affirme que « 11 juifs ont été assassinés – et certains torturés – par des islamistes radicaux » en France, et exige que « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des non-croyants soient frappés de désuétude par les autorités religieuses », de sorte que « aucun croyant ne puisse référer à un texte sacré pour commettre un crime ».
Une telle rhétorique est le reflet à la fois de la bigoterie gauloise et de la stupidité pure et simple, une combinaison toxique d’ignorance et de privilège.
Premièrement, où sont ces « autorités religieuses » musulmanes qui seraient prêtes à faire au Coran ce que Thomas Jefferson a fait à la Bible ? Les imams français, comme Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et Tareq Oubrou, imam de la Grande Mosquée de Bordeaux, ont dénoncé le manifeste comme « incroyable et injuste » et «presque blasphématoire ». Et si de telles figures du courant dominant acceptaient même d’éditer ce Coran – que les musulmans croient être la parole littérale de Dieu ! Quelqu’un croit-il vraiment que les fanatiques de l’État islamique ou d’Al-Qaïda s’en soucieraient ?
Deuxièmement, l’extrémisme violent n’est pas un produit des écritures. Contrairement aux idées reçues, et comme je l’ai fait valoir dans le passé en citant un grand nombre d’études et d’experts, la foi religieuse « n’est pas un facteur crucial » dans les attentats terroristes – ou dans le processus de ce qu’on appelle la radicalisation. Pourquoi, alors, être obsédé par les versets du Coran ? Comme le journaliste français Didier François, retenu en otage par l’EI en Syrie, l’a déclaré à CNN en 2015 : « Il n’y a jamais vraiment eu de discussion sur les textes ou – ce n’était pas une discussion religieuse. C’était une discussion politique… Parce que ça n’a rien à voir avec le Coran ». Ou, comme l’a dit son ancien compagnon otage français, Nicolas Henin, « j’ai remarqué que ces djihadistes ont peu à voir avec… la culture arabe ou musulmane – ce sont des enfants de nos sociétés… Ce sont des produits de notre culture, de notre monde ».
Qui prenez-vous le plus au sérieux ? Deux anciens otages de l’EI ? Ou le type de « Carte de résident » ?
Troisièmement, comment les signataires du manifeste peuvent-ils être si sûrs que ce sont les musulmans français qui sont à l’origine de la montée de ce « nouvel antisémitisme » ? Comme l’indique une étude réalisée en 2016 sur les crimes haineux antisémites en France par Human Rights First, « les auteurs de la plupart des actes de violence antisémite sont perçus comme étant de “culture ou d’origine musulmane”… bien qu’il n’existe pas de données pour étayer cette conclusion – en partie à cause de l’interdiction en France de collecter des “statistiques ethniques” ». Pourtant, en Allemagne voisine, où ces statistiques sont collectées par la police, neuf crimes haineux antisémites sur dix en 2017 n’ont pas été perpétrés par des musulmans radicalisés, mais par des « membres de groupes d’extrême droite ou néonazis ».
Quatre, quelles preuves y a-t-il que le Coran lui-même est antisémite ? Ou que l’Islam a un problème particulier avec les Juifs ? Les critiques font souvent référence à des versets du livre saint musulman qui expriment l’hostilité envers les Juifs, tout en ignorant le contexte historique et théologique spécifique de ces versets, et en ignorant aussi les nombreux autres versets du Coran qui font l’éloge du peuple juif.
Comme le souligne Mark Cohen, historien de l’Université de Princeton, spécialiste des relations entre juifs et musulmans : « L’islam contient un noyau de pluralisme qui a donné aux juifs des pays musulmans une plus grande sécurité que les juifs de l’Europe chrétienne » et, par conséquent, « les juifs dans la sphère islamique ont été épargnés par la stigmatisation préjudiciable de “l’altérité” et par l’antisémitisme subi par les juifs en Europe ». L’antisémitisme musulman et arabe moderne est une conséquence du colonialisme, des nationalismes conflictuels et du conflit avec le sionisme, affirme Cohen, et n’est ni «indigène » au Moyen-Orient, ni « inhérent » à l’Islam.
Cinquièmement, pourquoi mettre ainsi à part les textes islamiques ? Pourquoi pas aussi les textes juifs ou chrétiens ? Sommes-nous censés prétendre que l’Ancien Testament de la Bible ne contient pas des dizaines de versets qui incitent à la violence et à la haine contre les non-croyants ? Ou que ces versets n’ont pas été utilisés pour justifier des crimes odieux ces dernières années ? Contre les Palestiniens, les Irakiens, les Ougandais, les enfants norvégiens, les cliniques d’avortement américaines, entre autres ?
Pour éviter l’accusation d’hypocrisie, les signataires de ce manifeste, dont fait partie le grand rabbin Haim Korsia, demanderont-ils également que des versets de la Bible soient « frappés d’obsolescence par les autorités religieuses » ?
Sixièmement, qu’est-il arrivé à la partie « liberté » de « liberté, égalité, fraternité » ? Comment l’insistance à retirer des versets du Coran est-elle compatible avec la liberté religieuse (un élément crucial, quoique moins discuté, de la tradition séculière française) ? Comment est-il compatible avec la liberté de parole ou d’expression ? Qu’est-il arrivé au pays de « Je Suis Charlie » ? Eh bien, devinez quoi ? Le manifeste a été rédigé par Philippe Val, l’ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo. L’ironie, semble-t-il, a pu mourir d’une mort silencieuse en France.
« Le manifeste est une farce écrite par des imposteurs », me dit Yasser Louati, militant français des libertés civiles. Il soutient que si les signataires étaient sérieux dans la lutte contre la montée du sectarisme anti-juif dans leur pays, ils se seraient aussi levés « contre l’antisémitisme français traditionnel ».
Il n’a pas tort. La France a une longue et honteuse histoire d’antisémitisme, de l’affaire Dreyfus à la fin du XIXe siècle, à la complicité du gouvernement collaborateur de Vichy dans l’Holocauste. Selon un récent sondage de l’opinion publique française, rapporte Karina Piser dans The Atlantic, « 35 % des Français croient que les Juifs ” ont un rapport particulier avec l’argent » ; 40 % pensent que « pour les Juifs français, Israël compte plus que la France » ; et 22 % pensent que « les Juifs ont trop de pouvoir ».
Néanmoins, 300 personnalités publiques françaises ne veulent mettre en avant que la question de « l’antisémitisme musulman » pour ne dénoncer que le message du Coran. Les musulmans, après tout, font de bon boucs émissaires.
Photo du haut : Un homme lit le Coran au camp de migrants connu sous le nom de « Jungle » à Calais, France, le 7 décembre 2015.
Correction : 16 mai 2018, 11 h.
Une version antérieure de cet article a mal orthographié le prénom de Philippe Val. Elle a été mise à jour.
Source : The Intercept, Mehdi Hasan, 16-05-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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pucciarelli // 30.05.2018 à 07h08
Pourquoi pas? Mais rappelons que pour l’heure, ce sont des musulmans, certes extrémistes, qui ont fait des cartons sur les citoyens désarmés ici et là. Et que le voile ou tout autre signe distinctif montrant l’appartenance à la communauté musulmane signe à tout le moins un problème d’intégration aux normes de la vie en société française. Enfin, notons que l'”islamophobie” est un terme bien commode pour associer la critique de l’Islam à du racisme. Une religion étant une idéologie, elle relève dans la Cité de la réflexion politique et non d’une évidence transcendantale. Les français musulmans sont des citoyens comme les autres et doivent se plier aux règles et devoirs que chacun d’entre nous se doit d’assumer. Le reste? On s’en fiche.