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samedi 24 mars 2018

Une immense forêt va être plantée dans le Val-d'Oise


24 mars 2018

Une immense forêt va être plantée dans le Val-d'Oise

Un million d'arbres doivent réhabiliter une plaine polluée par l'épandage, moyennant des expropriations

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Regardez ! La plaine est devenue une véritable décharge à ciel ouvert. Chaque semaine, on retrouve au moins une voiture brûlée au milieu de ces parcelles ",s'agace Bernard Tailly, le maire (divers droite) de Frépillon et président du syndicat mixte d'aménagement de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt (Smapp), dans le Val-d'Oise.
Au loin, des tas de gravats, des déchets plastiques et des matériaux de toutes sortes ont envahi cette verte plaine, située à 25  kilomètres de Paris, entre Cergy-Pontoise et la vallée de Montmorency. Au milieu de ce chaos, le maire a vu fleurir depuis vingt ans de nombreux camps de fortune, où sont installées différentes communautés des gens du voyage.
La décrépitude des lieux a incité les élus locaux à prendre la décision, il y a plus de quinze ans, de transformer cet espace de 1 350 hectares à cheval sur sept communes (Méry-sur-Oise, Frépillon, Bessancourt, Taverny, Herblay, Pierrelaye et Saint-Ouen-l'Aumône) en une forêt domaniale de 1 million d'arbres. Parallèlement, d'ici à 2030, 6 000  à 10 000 logements seront construits à l'orée des bois. Esquissé au début de ce siècle par un syndicat intercommunal prédécesseur du Smapp, le projet d'aménagement de la plaine – dont le plan de financement, estimé à 85  millions d'euros, n'est pas entièrement bouclé –, fait l'objet d'une concertation publique jusqu'au 2  avril ; cette phase doit marquer le début des opérations.
Squats et maison de chasseSur le papier, le projet labellisé Grand Paris séduit. Des arbres à perte de vue, des clairières, un centre équestre au cœur de la forêt, 90 kilomètres de chemins de randonnée, des parcours pédagogiques d'observation de la faune et de la flore et des espaces de loisirs sont prévus. Sur le site se dressent les vestiges du domaine de la Haute Borne ; la maison de maître de cette ancienne ferme modèle, qui employait une centaine d'ouvriers, est encore en bon état, mais les bâtiments attenants, les écuries et les étables en ruine sont désormais des squats. Présentée comme patrimoine local, l'imposante bâtisse pourrait être transformée en maison de chasse.
" L'objectif est de conserver cet espace naturel qui sépare deux zones urbanisées qui ne doivent pas se rejoindre : la ville nouvelle de Cergy-Pontoise et la vallée de Montmorency, qui s'étend jusqu'à la Seine-Saint-Denis ", selon Bernard Tailly.
L'implantation d'une forêt sur la plaine à proximité de celles de Saint-Germain-en-Laye et de Montmorency, et du parc régional du Vexin, entre la Seine et l'Oise, formera une ceinture verte régionale, un véritable poumon  en Ile-de-France. Il faudra cependant trente à  cinquante ans avant que la forêt n'arrive à maturité.
L'initiative avait reçu l'approbation de Nicolas Sarkozy quand il était président de la République. Lors d'une visite à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, en  2010, il avait évoqué la nécessité de trouver dans le département une compensation écologique aux nuisances aériennes générées par le trafic. " Cette idée a donné une impulsion au projet  de Pierrelaye-Bessancourt ", se souvient M. Tailly. Mais là n'est pas l'unique but  de la future forêt.
L'histoire du site se noue au XIXe siècle. Il était alors boisé aux deux tiers, lorsque la Ville de Paris acquiert plusieurs hectares pour y déverser ses eaux usées. L'épandage de cet engrais va permettre de développer les activités maraîchères sur plus de 1 600 hectares de champs et relancer l'activité locale. Pendant un siècle, on y cultive des légumes, qui finiront par être officiellement déclarés impropres à la consommation crue.
" La pollution des sols par l'eau des égouts a conduit à interdire totalement les produits du maraîchage et des cultures à la consommation humaine en  2000 ",rapporte le sénateur et maire de Saint-Ouen-l'Aumône, Alain Richard (La République en marche).
Restait l'alimentation animale, mais " les rendements agricoles avaient baissé du fait de la mauvaise qualité du sol, trop sableux. Cela a précipité l'urbanisation du territoire, devenu un dépôt sauvage occupé par des activités illégales ", résume-t-il.Une étude réalisée en  2014 par la direction départementale des territoires souligne la contamination de la plaine aux métaux lourds.
" Seul l'arbre résistera à l'urbanisation et à la pollution ", soutient Bernard Tailly. Mais pas n'importe lesquels : il est prévu de planter des feuillus – ne dépassant pas 40 centimètres de haut au départ – tels que le tilleul, le chêne ou encore le marronnier, car ils peuvent résister à  la haute acidité des sols. Nulle place pour des conifères car leurs aiguilles, une fois tombées, acidifient naturellement la terre. Et il sera interdit de cueillir les fruits, ramasser les champignons ou consommer le gibier.
" Plus d'avenir pour l'agriculture "En bordure des parcelles, des bouches d'alimentation témoignent d'un siècle d'irrigation intensive. La plaine en regroupe environ 6 000, appartenant à plus de 2 500 propriétaires dont une vingtaine d'agriculteurs. Tous devront céder la place. Les négociations sont en cours pour la cession de la totalité de leurs terres. Les expropriations débuteront en  2019 avec compensation financière.
Christelle Hilbert est agricultrice à la retraite. Son exploitation se trouve à Herblay, une cinquantaine d'hectares sur le périmètre de la forêt à  venir. " Il n'y a plus d'avenir à Herblay pour les agriculteurs, constate-t-elle avec amertume. On cultive encore un petit peu de céréales sur ces terres, mais elles sont seulement destinées à la consommation animale. De plus, nos champs sont détruits par le passage des voitures et des caravanes. J'ai donc hâte de m'en séparer. "
Ce que Christelle Hilbert évoque, c'est l'installation de plus d'un millier de caravanes des gens du voyage sur l'aire concernée par le projet de réaménagement. Ces derniers vont eux aussi être évacués et expropriés. Les services sociaux sont censés reloger les familles les plus défavorisées.
A Bessancourt, une cinquantaine de gens du voyage ont élu domicile à la lisière de la future forêt, le long du chemin de la Chasse. Sony Scherrer est leur porte-parole. Il possède une parcelle où il a installé sa caravane en  2003. " On est sur la sellette alors qu'on n'est pas dans le périmètre de la zone. Nous sommes seulement en bordure de cette forêt, explique le trentenaire dépité. La mairie de Bessancourt a  évoqué des logements sociaux dans le centre-ville pour nous mais ça ne correspond pas à  notre mode de vie. Ce projet est une excuse pour nous faire partir. "
Garance Feitama
© Le Monde

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