L'Afghanistan économique de Donald Trump. " L'expression appartient à Adam Posen, président du très réputé -Peterson Institute, qui prédit un désastre pour le président américain enlisé dans ses guerres commerciales. " Coûteuses, incertaines et sans résultat ", diagnostique M. Posen.
A commencer par celle menée contre la Chine, alors que M. Trump a comme prévu annoncé, jeudi 22 mars, 60 milliards de dollars (48,5 milliards d'euros) de sanctions commerciales contre Pékin, faisant perdre dans la foulée à l'indice Dow Jones près de 3 %. Un recul, mais pas un effondrement, qui montre que les marchés ne croient pas (encore) à une guerre commerciale totale digne de celles des années 1930.
Une explication ? Ce jeudi, une autre guerre s'embourbait : celle de l'acier et de l'aluminium, lancée en fanfare le 1er mars, dont les importations allaient être taxées
" pour longtemps ", selon M. Trump. Censée rapporter 9 milliards de dollars, elle était de ces
" guerres commerciales faciles à gagner ", avait dit le président.
Mais en pleine renégociation de l'Accord de libre-échange nord américain (Alena), M. Trump a d'abord signé un armistice avec le Canada et le Mexique, puis a fini par exempter jusqu'au 1er mai des pays amis comme ceux de l'Union européenne (UE), le Brésil, la Corée du Sud. Bref, ne restent que deux ennemis, la Russie et la Chine, cette dernière ne fournissant toutefois plus que 2,2 % des importations américaines d'acier, tant les Américains ont bloqué leur marché aux surplus chinois.
Angoisse existentielleSi elle est passée des mots aux actes en 2018, l'administration Trump continue d'être désordonnée, sans alliés précis ni buts de guerre, si ce n'est la réduction des déficits commerciaux. Ce constat conduit, sinon à tempérer, du moins à contextualiser les annonces martiales de la Maison Blanche contre
" l'agression économique de Pékin ".
Selon M. Trump, le déficit commercial avec la Chine – qui a atteint 375 milliards de dollars en 2017 – est
" hors de contrôle ". Les démarches entreprises depuis quinze ans par les présidents Bush, Obama et lui-même pour faire infléchir Pékin ont échoué. M. Trump passe à l'action, même s'il le fait en
" ami " et a pris soin de rappeler son
" respect " pour le président Xi Jinping. Il veut que la Chine réduise de 100 milliards de dollars son déficit commercial.
Les Etats-Unis reprochent à la Chine de forcer les entreprises américaines à transférer leurs technologies vers les sociétés chinoises pour pouvoir s'implanter dans ce pays, ce qui n'est guère contesté. Pékin est aussi accusé de racheter les firmes américaines pour les piller et s'assurer d'une domination dans les technologies du futur, et même de les voler via le cyberhacking
. Selon l'agence spécialisée FireEye, le cyberespionnage d'Etat contre les entreprises a toutefois beaucoup régressé depuis un accord scellé entre Barack Obama et Xi Jinping en septembre 2015.
Cette crise révèle une angoisse existentielle, celle de la montée en puissance de l'économie chinoise, en passe de dépasser celle des Etats-Unis.
" Si la Chine domine l'industrie du futur, il sera très dur pour les Etats-Unis d'avoir un futur ", a commenté un responsable de la Maison Blanche, tandis que le vice-président Mike Pence a ainsi résumé l'affaire :
" Le temps de la capitulation économique est passé. "
Les transferts de technologie en questionLes principes de la riposte ont été énoncés, mais les mesures n'entreront pas en vigueur avant deux mois. Le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer, est invité à présenter d'ici à quinze jours une liste de produits à taxer à hauteur de 25 %. Leur nombre devrait être de l'ordre de 1 300, dans les domaines où la quête chinoise de savoir est intense : aéronautique, technologies de l'information, machines-outils. Puis s'ouvrira une période de trente jours, avec des auditions publiques et des commentaires.
La guerre de l'acier a mis en branle tous les lobbys américains, opposés à la mesure dans leur immense majorité. L'offensive contre la Chine devrait mobiliser tout Washington. La mise en œuvre de la taxation aura lieu au plus tôt en mai, mois où Donald Trump est censé rencontrer le leader nord-coréen Kim Jong-un. Comme pour l'acier, rien n'est définitivement scellé.
Deuxième axe, les acquisitions d'entreprises américaines par les Chinois. Celles-ci sont contrôlées par le comité sur l'investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS). Cet organisme qui examine les enjeux de sécurité nationale est débordé, et le Congrès envisage d'élargir ses prérogatives aux intérêts purement économiques. En attendant, le département du Trésor a deux mois pour présenter des propositions pour agir plus efficacement. Toutefois, les acquisitions chinoises ont baissé d'un tiers en 2017 et elles sont en perte de vitesse, avec la multiplication des veto, officiels ou non, de l'administration Trump.
Troisième axe, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), que les Etats-Unis vont saisir concernant les transferts de technologie. Sujet décisif mais de long terme, qui peut entraîner une condamnation de la Chine – les Américains auraient satisfaction, ce qui est jugé improbable par les spécialistes — ou pas : cette issue impliquerait que Washington demande une renégociation des règles de l'OMC et des conditions dans lesquelles la Chine y a adhéré en 2001.
" Le PC chinois ne va pas capituler "Soucieux de trouver des alliés pour contrer les Chinois, les fonctionnaires américains invoquent soudain une déclaration commune faite avec le Japon et les Européens en décembre 2017. Comme l'estime M. Posen, du Peterson Institue,
" le Parti communiste chinois de Xi Jinping ne va pas capituler face aux menaces unilatérales de Trump ".
Cette invocation de l'OMC rend les Européens dubitatifs, qui partagent une partie des griefs contre Pékin mais craignent un sabordage de l'OMC par les Américains. Ils sont de plus échaudés par la guerre de l'acier. L'exemption accordée est-elle définitive, provisoire, destinée à renégocier des accords plus favorables aux Etats-Unis ? C'est ce que répète Trump, qui a de nouveau vilipendé l'UE (qui a
" de très fortes barrières tarifaires "), l'Alena (
" un très mauvais accord "), le traité avec la Corée du Sud (
" très déséquilibré "), ainsi que l'OMC, dont les panels d'arbitrages sont
" inéquitables ". Un activisme qui risque d'entraîner tous ses partenaires dans son
" Afghanistan économique ".
Arnaud Leparmentier
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