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vendredi 23 mars 2018

Rôle de la France au Rwanda : un devoir de transparence


22 mars 2018

Rôle de la France au Rwanda : un devoir de transparence

Après les récentes révélations sur la politique française lors du génocide des Tutsi en  1994, trois personnalités demandent au président Macron de déclassifier toutes les archives nationales sur cette tragédie

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Que faut-il attendre de plus ? Depuis presque un quart de siècle, les révélations s'ac-cumulent sur le rôle trouble de la France avant, pendant et après le génocide des Tutsi du Rwanda en  1994. Il ne doit plus désormais être question de " polémique ", mais bien d'un travail de vérité, indispensable pour les rescapés, pour l'histoire et pour le débat public républicain sur le fonctionnement de nos institutions.
En  2015, la pression publique et médiatique poussa le président François Hollande à annoncer enfin la déclassification d'archives de l'Elysée. Hélas, ce " coup de com " n'a été accompagné que de l'ouverture de quelques dizaines de documents de la présidence – mais pas les plus sensibles – et de déclassifications un peu plus consistantes – mais en catimini – de la part de Matignon, du ministère des affaires étrangères et de celui de la défense.
L'opacité demeure donc la règle, habillée de différents artifices juridiques et politiques brandis comme autant d'obstacles à la vérité. L'enjeu est pourtant majeur : rien de moins que stopper enfin le négationnisme, qui continue sordidement son œuvre en France vingt-quatre ans après le génocide, en refusant aux victimes et à leurs proches le droit de savoir, et ainsi le droit d'être considérés dans leur pleine humanité. Il s'agit également de permettre aux citoyens français de comprendre quelle politique fut menée en leur nom et en vertu de quels mécanismes institutionnels de la Ve  République.
Lorsqu'un témoin militaire direct de l'époque comme Guillaume Ancel veut parler, il subit des pressions pour " rentrer dans le rang ".Parallèlement, les tenants d'une thèse aujour-d'hui invraisemblable, selon laquelle la France n'aurait rien d'autre à se reprocher qu'une regrettable " inertie de la communauté internationale ", viennent en renfort des responsables politiques et militaires de l'époque qui convoquent " l'honneur de la France " pour éviter de répondre sur les faits. Mais cet " honneur " ne devrait-il pas pousser au contraire les responsables politiques actuels à faire le choix de la transparence ?
Paradoxale mandataire privéeS'ils n'ont aucun état d'âme sur le rôle exact des institutions françaises et de leurs représentants entre 1990 et 1995, pourquoi n'encouragent-ils pas les militaires ou fonctionnaires de l'époque, exécutants ou chaînons de ce que fut la politique française sur le Rwanda, à témoigner ouvertement ? Et pourquoi ne permettent-ils pas enfin aux juges, aux associations, aux chercheurs, aux journalistes d'accéder pleinement et librement aux informations – souvent banales, parfois précieuses – nichées dans les archives ? Comment comprendre, par exemple, qu'Emmanuel Macron réponde par écrit aux signataires d'une tribune (Le Monde, du 3  août 2017) qu'il entérine le pouvoir de barrage que la loi française (art. L 213-4 al. 4 du code du patrimoine, confirmé en septembre  2017 par le Conseil constitutionnel) confère jusqu'à 2021 à -Dominique Bertinotti, paradoxale mandataire privée des archives publiques de François Mitterrand ? Que cette dernière puisse autoriser ponctuellement un chercheur à les consulter partiellement, sous haute surveillance et sans possibilité de les reproduire, revient à la laisser choisir qui a ou non le droit de savoir, et par là même à entretenir tous les soupçons.
Aujourd'hui, plus encore qu'hier, nous attendons que les commémorations du début du génocide, le 7  avril prochain, soient l'occasion d'annonces concrètes, précises et sans restriction. Nous demandons une ouverture -complète et non filtrée de toutes les archives : du service historique de la défense et de son service du cinéma et de la photographie où sont conservés les documents militaires – dont ceux de la direction du renseignement militaire, créée à cette époque et qui a documenté les aspects militaires concrets sur le terrain – ; des ministères respectivement de la défense, de la coopération, des affaires étrangères, qui ont reçu à l'époque des informations en continu ; de la direction générale de la sécurité extérieure qui a abondamment documenté la situation, son évolution et les stratégies des acteurs nationaux et internationaux ; de la mission d'information parlementaire de 1998, qui a accumulé à l'abri des regards de nombreux documents et entretiens à huis clos, dont certains réservés au seul président de la mission ; et plus généralement de tous les services de l'Etat qui ont eu à être informés de la politique de la France au Rwanda, au moins entre 1990 et 1995.
Cela peut impliquer la déclassification préalable de ces archives ; et, -lorsqu'elles sont déclassifiées, l'abandon des autres verrous. Cela engage aussi l'Etat à fournir la liste de tous ces documents, à octroyer sans critère un droit de copie et de transmission à des tiers de ces archives, condition essentielle d'un examen contradictoire et nuancé. Cela suppose enfin d'encourager publiquement les militaires ou fonctionnaires de l'époque, exécutants ou chaînons de ce que fut la politique française au Rwanda, à témoigner ouvertement, en leur assurant qu'aucun devoir de réserve ne saurait leur être opposé en la matière.
Ce sont des mesures simples et précises. Toutes les instances consultatives compétentes, depuis la commission d'accès aux documents administratifs jusqu'à celle sur le secret-défense, en passant par les Archives nationales et la commission ad hoc créée en  2014 par François Hollande, reconnaissent que l'ouverture de ces archives ne porte pas atteinte à la vie privée ou à la défense et à la sécurité nationales. Responsables politiques de l'époque, militaires concernés, associations et chercheurs sont nombreux à avoir affirmé que l'ouverture complète relève de " l'intérêt général " pour mettre un terme aux polémiques.
Il est question d'accusations graves de soutien de la France à un régime ami qui commet un génocide, face auxquelles les dénégations outragées ne peuvent suffire. Pour sa " première " commémoration du génocide des Tutsi comme président de la République, et au-delà de tout " coup de com ", Emmanuel Macron doit concrètement mettre en œuvre la transparence.
Par ALAIN GAUTHIER, MARCEL KABANDA et FABRICE TARRIT
© Le Monde

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