Pedro Pablo Kuczynski a été élu président du Pérou en 2016, au second tour d'un scrutin serré, avec à peine 40 000 voix d'écart par rapport à sa rivale, Keiko Fujimori, fille de l'ancien autocrate -Alberto Fujimori (1990-2000). Il dirige un pays secoué par le scandale Odebrecht, du nom du géant du BTP brésilien à l'origine d'un vaste système de corruption qui touche une dizaine de pays, créant un climat délétère qui empoisonne la vie politique péruvienne.
La question de la corruption est brûlante au Pérou, où votre prédécesseur, Ollanta Humala, est en prison, tandis qu'un autre ancien président, Alejandro Toledo, est en fuite aux Etats-Unis…
C'est un problème très grave dans toute la région. Les médias font croire que beaucoup d'hommes politiques sont corrompus, alors que la majorité est honnête. Il y a des accusations qui ne sont pas corroborées par des preuves. Il faut respecter la présomption d'innocence, un procès équitable et les droits de la défense.
Il y a une longue histoire de malversations en Amérique latine, mais d'autres régions qui se prétendent vertueuses ont aussi leurs affaires. Il faut éviter les préjugés. L'important est d'améliorer nos systèmes fiscaux et judiciaires, désuets et basés sur des législations souvent contradictoires, avec des juges mal rémunérés et une bureaucratie qui favorisent la corruption. Cela ne concerne pas seulement le secteur public, car il y a toujours deux côtés, celui qui reçoit des pots-de-vin et celui qui les paye, souvent des entreprises privées. Il faut faire le ménage partout.
N'avez-vous pas vous-même été mis en cause pour conflit d'intérêts en alternant travail dans le privé et service de l'Etat ?
J'ai eu des responsabilités gouvernementales depuis cinquante ans et je n'ai jamais été accusé de malversations. J'ai surtout travaillé dans le privé ou à la Banque mondiale. J'ai pris soin de ne pas mélanger mes activités. Par exemple, j'ai été chargé des mines d'Alcoa en Afrique, j'ai fondé une sidérurgie en Argentine. Tout cela n'a rien à voir avec le Pérou. Les allégations actuelles sont fausses : je n'ai pas multiplié les allers-retours entre privé et public.
Vous avez échappé à la destitution en décembre 2017. Une deuxième procédure est en préparation au Congrès…
Il y a des groupes d'opposition qui tentent un coup d'Etat, sous un motif qui ne figure pas dans la Constitution, " l'incapacité morale et physique permanente ". Cela n'a aucun fondement. C'est peut-être lié à la mesure de grâce qui a remis en liberté l'ancien président Alberto Fujimori.
Que répondez-vous aux critiques, notamment celles de Human Rights Watch (HRW), qui font suite à la libération de M. Fujimori ?
Toute mesure de grâce a ses opposants. Il faut rappeler que le président Fujimori a été condamné et qu'il a effectué douze ans de prison. Il est malade et il a 80 ans. Pendant la campagne électorale, je m'étais prononcé pour son assignation à résidence. Il ne s'agit pas d'une négation de la sentence, mais de la commutation d'une peine. La grâce a respecté toutes les normes et a bénéficié à d'autres détenus dans une situation similaire. La Constitution m'en donne le droit et je ne pense pas revenir là-dessus.
HRW est dans son rôle lorsqu'elle critique. Mais d'autres organisations du même type ne se sont pas préoccupées des prisonniers politiques au Venezuela ou de mon incarcération pendant le régime militaire au Pérou
- en 1968 - .
Privé de majorité parlementaire, vous avez dû accepter le départ de cinq ministres, puis d'un premier ministre…
Par rapport à d'autres pays de la région, nous avons un nombre de grèves réduit, sans inflation. La croissance a pâti de la chute des cours des métaux et de la bureaucratisation des investissements publics. Le scandale Odebrecht a freiné ou provoqué la faillite d'entreprises du BTP.
L'impact du phénomène El Niño a été plus grave encore. Toutefois, la tendance s'inverse, nous avons désormais davantage d'investissements que le Brésil ou l'Argentine. Le groupe français Vinci a payé plus de 1 milliard d'euros pour la concession d'une voie express à Lima. Des investisseurs mexicains, colombiens, américains et chinois devraient suivre. Les mines de Toromocho vont doubler leur production, tout comme les mines de Las Bambas. Nous deviendrons le deuxième ou troisième producteur de cuivre au monde. En 2018, nous aurons probablement une croissance de 4 %.
Le vrai problème du Pérou reste la pauvreté dans la
- région montagneuse de la -sierra, dans les zones rurales, et l'absence de services publics. La pauvreté est en baisse, elle tourne autour de 21 %, dont 8 % de pauvreté extrême : il y a une lumière au bout du tunnel. Les investissements publics doivent se concentrer sur l'éducation, l'eau potable, la santé et les communications. Je prône une révolution sociale, ce qui est une expression peut-être exagérée.
Le sommet des Amériques se tiendra à Lima les 13 et 14 avril. Pourquoi votre gouvernement a annoncé que le président vénézuélien, Nicolas Maduro, ne sera pas le bienvenu ?
J'ai invité le président Maduro fin 2017. Depuis, l'évolution du Venezuela a été très inquiétante, comme le précise la résolution adoptée par l'Organisation des Etats américains le 22 février. Le groupe de Lima
- formé par treize pays latino-américains et le Canada - a estimé qu'il vaudrait mieux qu'il ne vienne pas au sommet.
Ne serait-ce pas préférable de le confronter à la position des autres pays ?
Beaucoup de critiques lui ont été déjà adressées. Nous avons formé le groupe de Lima justement à cause de l'absence de volonté démocratique du gouvernement vénézuélien. Il y a deux ans, une large majorité
- d'opposition - a élu une Assemblée nationale, qui a été supplantée par une Assemblée constituante sans la moindre autorité pour écrire une nouvelle Constitution. Le gouvernement a anticipé l'élection présidentielle
- fixée au 22 avril - et prétend faire la même chose avec les législatives et les municipales. Au Venezuela, il y a des prisonniers politiques. Cette situation n'est pas acceptable du point de vue légal.
En outre, il y a une crise humanitaire. Le Pérou et d'autres pays sont disposés à apporter au Venezuela une aide en aliments et en médicaments, mais le président Maduro refuse. Le Pérou n'est pas interventionniste, nous avons une tradition de neutralité. Cependant, il ne faut pas oublier que le Venezuela est intervenu dans les élections péruviennes de 2011 avec de l'argent et sous d'autres formes. Certains prétendent que nous agissons sous l'influence des Etats-Unis, mais ce n'est pas vrai, on n'en a jamais parlé avec les Américains.
propos recueillis par Paulo A. Paranagua
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