Maire de Sevran, une ville de 50 000 habitants qui compte parmi les plus pauvres de Seine-Saint-Denis, Stéphane Gatignon a été successivement communiste refondateur, écologiste et, enfin, soutien d'Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017. Ce fin connaisseur des banlieues françaises a annoncé à son conseil municipal, mardi 27 mars, qu'il abandonne son fauteuil de maire, détenu depuis mars 2001.
Pourquoi renoncez-vous à être maire de Sevran ?
J'ai été élu à 31 ans, cela fait donc dix-sept ans que j'exerce cette fonction. Dix-sept ans durant lesquels on s'est battus comme des fous pour transformer Sevran, attirer de grands projets, comme l'arrivée du métro, faire exister la ville en dehors de la rubrique faits divers. Mon but a toujours été de péter le ghetto, mais je crois que, malgré les déclarations qui vont dans ce sens, les gouvernements successifs ne partagent pas cet objectif. On continue à faire de la banlieue un monde parallèle, structuré comme une société précaire qui ne s'en sort que grâce aux solidarités, à la débrouille, à la démerde. Je pense aujourd'hui que cette situation arrange tout le monde. Alors, à un moment, on fatigue, on perd le jus…
Vous n'y croyez plus ?
En novembre 2012, j'ai mené une grève de la faim pour obtenir le remboursement des sommes dues par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, et de meilleures dotations pour les villes pauvres et notamment pour Sevran. Cette action extrême montrait qu'à ce moment-là j'y croyais encore. J'avais dit, en y mettant fin au bout de six jours, que je démissionnerai le jour où je n'y croirais plus. Nous y sommes. Aujourd'hui, les villes de banlieue sont tenues à la gorge et on nous traite comme si nous étions aussi riches que Puteaux. La loi de finances 2018 nous impose de ne pas augmenter nos budgets de fonctionnement de plus de 1,2 % : si le gouvernement ne revient pas sur cette mesure, on est morts !
Depuis 2011 – quand vous aviez demandé l'intervention de " casques bleus "dans votre ville –, la situation s'est-elle améliorée ?
Quand je suis arrivé en 2001, j'avais 113 effectifs de police. Aujourd'hui, j'en ai 80 et, après 23 heures, pour Aulnay et Sevran, deux plaques tournantes de la drogue, une seule voiture de la BAC… Lorsque, en 2011, j'ai appelé de mes vœux l'intervention de " forces d'interposition ", j'avais enterré huit personnes en un an et demi à cause du trafic. Au début, cette opération a porté ses fruits. Mais ça n'a rien réglé sur le fond. Le volume des ventes de drogue à Sevran est divisé par trois, mais le trafic s'est déplacé. Les mafias venues de l'Est, comme du Kosovo, prennent la main. De plus en plus de jeunes – et de plus en plus jeunes – trafiquent à petit prix, embauchés à la journée ou à la semaine, venant parfois de loin.
Depuis votre premier mandat de maire en 2001, vous assistez à un retour du religieux…
Les banlieues sont victimes – et actrices – d'une poussée libérale. Pas parce qu'elles le veulent, mais parce qu'on les a abandonnées. Du coup, les solidarités sur lesquelles les habitants s'appuient pour s'en sortir se communautarisent de plus en plus. Résultat ? Les quartiers se replient chaque jour davantage sur leur communauté ethnique ou locale et donc sur la religion. Aujourd'hui, dans ma ville, tous les lieux de culte sont pleins : les mosquées, mais aussi les églises, et pas seulement évangéliques, les lieux de culte hindouistes, bouddhistes, mais aussi les sectes… Ce n'était pas le cas il y a dix-sept ans. Le religieux redonne un sens face à l'absence de règles et à la précarité, et s'accompagne pour certains d'un fort conservatisme, sur la place des femmes, le rôle de la famille. Je note cependant que nous avons un peu moins de femmes voilées, comme si une sorte d'étiage était atteint.
Une cinquantaine d'élus et de responsables associatifs ont été reçus le 15 mars dans le cadre de la " mission Borloo ". Vous avez semblé déçu…
C'est le moins que l'on puisse dire ! Les bras m'en sont tombés. Cette réunion avait pour but de présenter nos travaux et nos propositions dans les domaines de l'emploi, de l'insertion, de l'éducation, de la culture et du sport – je souligne que les thèmes de la sécurité, de la police ou encore des trafics ont été exclus des discussions par le ministère. M. Mézard est arrivé avec plus d'une heure de retard, sans s'excuser, et n'a pas dit un mot ; le secrétaire d'Etat, Julien Denormandie, était absent ; les fonctionnaires du ministère et du Commissariat général à l'égalité des territoires avaient reformulé nos propositions et on avait du mal à les reconnaître. Une nouvelle fois, j'ai joué la mouche du coche. Quand j'ai pris la parole, le chien de Jacques Mézard, puisque le ministre était venu avec son chien, s'est d'ailleurs mis à aboyer.
Comme le " chien blanc " du roman de Romain Gary face à ses ennemis…
Je suis maire de banlieue depuis Jacques Chirac, j'ai l'habitude des conflits. Avec tous les ministres de la ville la situation était tendue. Je me suis tapé la gueule avec chacun d'eux, comme avec Fadela Amara, mais au moins ils faisaient de la politique. Avec ce gouvernement, c'est autre chose.
En quoi est-ce différent ?
Le nouveau monde de Macron, c'est le post-politique, des ministres sans expérience. Mézard semblait plus intéressé par son chien que par ce que disaient les maires de banlieue devant lui. Julien Denormandie est brillant, il veut bosser, mais il n'a jamais fait de " popol ", comme on dit, il ne connaît pas la dynamique des rapports de force. Le terrain, il ne sait pas ce que c'est. L'appareil se bureaucratise. C'est peut-être parce que j'ai grandi dans le communisme, mais cet entre-deux me fait penser à Berlin en 1989, ou à la stagnation de l'ère Brejnev – cette période d'immobilisme total où le pouvoir était dans les mains de technocrates sans aucune vision. En marche ! me fait penser à Russie unie : les responsables sont nommés pour trois ans. En banlieue, les permanences des nouveaux élus sont vides. En marche ! n'est qu'une écurie pour la prochaine présidentielle.
Votre démission est-elle liée au refus d'En marche ! de vous investir dans la 11e circonscription de Seine-Saint-Denis ?
J'ai soutenu Macron. Je le soutiens encore, mais il faut prendre les bonnes décisions, et vite. Il faut que son gouvernement comprenne que la banlieue, sa jeunesse, son cosmopolitisme, son ancrage dans les technologies, son libéralisme, c'est ça le nouveau monde. Or, les signes ne sont pas encourageants : coupes dans le budget de la politique de la ville en 2017, gel des emplois aidés, décisions défavorables au financement de l'ANRU et, maintenant, ce conseil présidentiel des villes : censé rassembler des gens issus des banlieues, il n'est composé que d'anciennes figures ou de personnes qui, même si certaines font du bon travail, ne représentent pas grand monde dans les quartiers populaires. Bref, beaucoup d'affichage et de com, et peu d'action.
Dans deux semaines, Jean-Louis Borloo va présenter ses propositions à M. Macron…
Borloo est notre dernier espoir. Et ce plan, celui de la dernière chance. Si Macron ne suit pas les préconisations, cela veut dire que l'Etat laisse tomber les banlieues et leurs 5,5 millions d'habitants. Au passage, l'attentat de l'Aude nous le confirme : on ne peut lutter contre le terrorisme islamiste sans appréhender, comprendre et surtout intervenir concrètement.
Allez-vous arrêter la politique ?
Comment pourrais-je ? Je suis tombé dedans quand j'avais 15 ans. Je reste conseiller municipal de Sevran, conseiller territorial, conseiller métropolitain, pour être certain que les projets que j'ai portés aboutissent. Mais aujourd'hui, il n'y a plus de place en politique pour des militants comme moi. Je pense que j'ai une bonne expérience, mais Ils n'en veulent pas. On verra plus tard…
propos recueillis par Ariane Chemin et Louise Couvelaire
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