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mardi 27 mars 2018

Financement libyen : la riposte de Nicolas Sarkozy




27 mars 2018

Financement libyen : la riposte de Nicolas Sarkozy

Devant les policiers et les juges, l'ex-chef de l'Etat s'est parfois défaussé sur Claude Guéant et Brice Hortefeux

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LA LIBYE VEUT SE CONSTITUER PARTIE CIVILE
La justice libyenne souhaite se constituer partie civile dans l'affaire du présumé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. A la suite d'une demande d'entraide judiciaire formulée en 2014 par le juge d'instruction Serge Tournaire, le bureau du procureur général libyen a transmis un premier rapport préliminaire. On y trouve notamment les interrogatoires de l'ancien chef du renseignement militaire Abdallah Senoussi, qui confirme un transfert de 7 millions d'euros de la Libyan Foreign Bank vers un numéro de compte dans une banque européenne que lui aurait donné Brice Hortefeux. Le beau-frère de M. Kadhafi prétend aussi avoir eu un échange téléphonique avec M. Sarkozy lors de sa première visite en Libye, le 6 octobre 2005. Ce que ce dernier dément.
Un complot de Mouammar Kadhafi et de sa " bande ", les élucubrations d'un " menteur doublé d'un fou " (Ziad Takieddine), le combat d'un site d'information (Mediapart) et de " ses comparses " qui " se comportent en militants politiques "… Voilà, résumés en quelques mots, les grands axes de la défense de l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy, qui a été mis en examen, mercredi 21  mars, pour corruption passive, financement illicite de campagne électorale et recel de détournements de fonds publics libyens.
En garde à vue d'abord, sur TF1 ensuite, et dansLeJournal du -dimanche enfin, Nicolas Sarkozy a longuement détaillé l'évolution des relations franco-libyennes depuis 2004, dénonçant ce qui, selon lui, rend " grotesques " les accusations pesant sur le financement de sa campagne victorieuse de 2007 par l'ancien dictateur libyen. Selon ses déclarations en garde à vue et devant les juges, révélées par Mediapartet dont Le Monde a aussi pris connaissance, l'ancien chef de l'Etat a réservé ses principales flèches à Ziad Takieddine et à Mediapart, principal média à avoir documenté les soupçons pesant sur lui.
Le premier, intermédiaire franco-libanais excentrique au cœur des relations entre les deux pays, est accusé d'incohérences dans les différentes versions qu'il a présentées à la presse commeaux magistrats. Alors que M. Takieddine avait fini par s'auto-incriminer en affirmant avoir lui-même convoyé de l'argent liquide de Tripoli à Paris à l'attention de l'équipe de campagne du candidat Sarkozy, l'ancien chef de l'Etat retourne l'argument à son avantage : " M'accuser lui permet de se dédouaner. Puisqu'il est établi qu'il a reçu cet argent, il vaut mieux prétendre que c'était pour ma campagne. "
Cordon sanitaireMediapart, le site d'information fondé par Edwy Plenel, est accusé d'avoir publié un " faux grossier ". Sarkozy fait référence au document mis en ligne durant l'entre-deux-tours de la présidentielle de 2012 faisant état d'un protocole d'accord entre la Libye et la France pour le financement de sa campagne de 2007 à hauteur de 50  millions d'euros. " Le comble de la manipulation ", affirme-t-il, prétendant, à tort, lors de sa garde à vue, que la justice a définitivement -établi qu'il s'agissait d'un faux.
Devant les éléments rassemblés par les enquêteurs, Nicolas Sarkozy a parfois semblé acculé, contraint d'établir un cordon -sanitaire avec son entourage le plus proche, dont le lien avec -l'argent libyen ne semble plus guère faire de doutes aux yeux des -enquêteurs. Quitte, parfois, à se défausser sur ses plus fidèles compagnons de route.
C'est le cas avec l'ancien secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant. Interrogé sur les relations que ce dernier a entretenues avec M. Takieddine, Nicolas Sarkozy se dédouane de toute responsabilité :" Quand, et combien de fois, - Ziad Takieddine - a vu M. Guéant, il s'en expliquera ". L'ancien chef d'Etat ajoute plus tard avoir été " sidéré "en apprenant par la presse que M. Guéantavait acquis un appartement parisien avec des fonds d'origines occultes.
A en croire M. Sarkozy, l'ancien secrétaire général de l'Elysée était un homme secret. Il n'évoquait pas ses relations soutenues avec M. Takieddine, pas davantage qu'avec Alexandre Djouhri, l'autre intermédiaire entre la France et la Libye, et ne faisait pas davantage état de sa vie personnelle. A l'exception, peut-être, de son inquiétude pour l'avenir de son fils, François, pour qui il avait demandé une investiture aux législatives. Une investiture que Nicolas Sarkozy reconnaît avoir soutenue.
Quid de la chambre forte louée à l'agence Opéra de la BNP par M. Guéant alors qu'il dirigeait sa campagne ? M. Sarkozy assure qu'il en ignorait tout. Il en propose l'interprétation suivante :" La seule logiquec'est qu'il ait voulu déposer dans un coffre à la banque des documents qu'il -conservait dans un coffre au ministère de l'intérieur, avant de les déposer dans un coffre à l'Elysée. "
Quant à Alexandre Djouhri, il ne lui aurait jamais rendu service, sauf pour œuvrer dans le sens d'une réconciliation avec Dominique de Villepin après l'affaire Clearstream. Nicolas Sarkozy affirme tout ignorer de son passé interlope, des liens qu'il a pu -entretenir avec certains de ses proches, comme l'ancien patron de la direction centrale du ren-seignement intérieur, Bernard Squarcini, ou Claude Guéant.
Il en va de même d'une des pièces centrales du dossier : la revente par M. Djouhri en  2008 – à un prix surestimé – d'une villa -située à Mougins (Alpes-Maritimes) à la filiale suisse du fonds souverain libyen, alors dirigé par Bechir Saleh, également directeur du cabinet de Mouammar Kadhafi et principal interlo-cuteur de la France. Nicolas Sarkozy assure ne l'avoir rencontré qu'une ou deux fois.
Son " plus vieil ami ", Brice -Hortefeux, qui a longtemps côtoyé Ziad Takieddine au point de partager dîners luxueux à Paris et vacances fastueuses sur la Côte d'Azur, a, lui aussi, été renvoyé à ses propres responsabilités. " Que Brice Hortefeux à titre personnel ait pu le fréquenter, c'est sa décision ", tranche M. Sarkozy. " Et si jamais Brice Hortefeux ou Claude Guéant disait “C'est Nicolas Sarkozy qui nous l'a demandé”, vous pourriez considérer que cela relève de ma responsabilité, mais ce n'est pas vrai, ils ne l'ont jamais dit ", poursuit-il, tandis que les enquêteurslui faisaient remarquer que ces deux hommes avaient agi " dans le cadre de leurs fonctions et alors qu'ils étaient sous - son - autorité hiérarchique. "
" Quelles autorités ? "Au fil de ses auditions, Nicolas Sarkozy s'évertue à dessiner le portrait d'un chef de l'Etat peu au fait des activités de ses collabo-rateurs, bien loin de l'image du -président interventionniste et soucieux d'être au courant de tout. L'exemple le plus frappant est probablement celui de -l'exfiltration en mai  2012 de -l'ancien directeur du cabinet de Mouammar Kadhafi ; Bechir -Saleh, venu se -réfugier à Paris pour fuir la guerre en Libye.
En ce printemps 2012, tandis que l'alternance politique s'annonce en France,Mediapart -publie le désormais fameux document faisant état du protocole d'accord du financement de sa campagne de 2007 à hauteur de 50  millions d'euros. En coulisses, Bernard Squarcini et Alexandre Djouhri orchestrent le départ en catastrophe de M. Saleh, visé par une notice rouge d'Interpol, vers le Niger. Hugues Moutouh, principal collaborateur du ministre de l'intérieur, Claude Guéant, est tenu au courant en temps réel.
" Il semble difficilement conce-vable que le ministre de l'intérieur - Claude Guéant - et le directeur du renseignement - Bernard Squarcini - aient pu organiser entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2012 l'exfiltration du territoire français de Bechir Saleh, ancien directeur du cabinet de Kadhafi, sans que vous l'ayez su, au moment même où vous proclamiez dans les médias qu'il serait arrêté s'il était découvert en France ? ", interrogent les enquêteurs, avant d'insister : " Nous vous rappelons qu'il serait parti avec l'aide des autorités alors que vous étiez chef de l'Etat… "
De nouveau, Nicolas Sarkozy insiste sur l'autonomie des ministres qui travaillaient pendant son mandat : " Quelles autorités ? Pas la mienne. " Il s'appuie, là encore, sur les déclarations de ses anciens collaborateurs, dont aucun n'a souligné sa responsabilité devant les enquêteurs : " Quelqu'un a-t-il dit que j'avais demandé ou autorisé cette exfiltration ? Bien sûr que non ! " Et d'insister, une nouvelle fois, sur leur liberté d'action : " A la minute où - Claude Guéant - est nommé ministre de l'intérieur, il n'est plus mon collaborateur (…). Il avait dès lors sa propre existence politique, sa propre marge de manœuvre opérationnelle. "
Les juges n'ont, semble-t-il, pas été plus sensibles aux explications de l'ancien président de la République que ne l'est l'ancien directeur du cabinet de Mouammar Kadhafi. Rencontré fin 2017 à Johannesburg où il était installé, Bechir Saleh avait ainsi déclaré dans un entretien au Monde : " Kadhafi a dit qu'il avait financé Sarkozy. Sarkozy a dit qu'il n'avait pas été financé. Je crois plus Kadhafi que Sarkozy. " Une " manipulation du Monde ", rétorque M. Sarkozy.
Appel du contrôle judiciaireSelonl'ancien chef de l'Etat, les accusations des kadhafistes n'ont pour but que de se venger de l'entrée en guerre de la France contre le régime libyen, qui a abouti à les écarter du pouvoir. Un document saisi par la justice norvégienne et transmis aux autorités judiciaires françaises met à mal cet argument. Il s'agit du carnet de l'ancien ministre du pétrole, Choukri Ghanem, qui, le 29  avril 2007 – soit quatre ans avant le déclenchement de la guerre –, évoquait déjà la remise d'argent à l'équipe de campagne de M. Sarkozy. " A midi, j'ai déjeuné avec Al-Baghdadi - - premier ministre - et -Bechir Saleh à la ferme de Bechir. Bechir a parlé, disant avoir envoyé 1,5  million d'euros à Sarkozy quand Saïf - - Al-Islam Kadhafi, fils du numéro un libyen - donnait  3  millions d'euros. "
Là encore, M.  Sarkozy conteste devant les enquêteurs l'authenticité du document, s'interrogeant sur la réalité de la date à laquelle M. Ghanem a véritablement couché ces écrits. Pas forcément authentiques, selon lui, mais suffisamment pour qu'il mette en avant dans LeJDD un extrait qui lui est favorable, indiquant que " les émissaires ont empoché une partie des sommes avant de les remettre à destination ". M. Sarkozy y voit une des " clés de beaucoup de fausses accusations ".
Les variations libyennes sur les scénarios de remises d'argent, et la promesse jamais satisfaite de preuves du financement occulte de sa campagne par Saïf Al-Islam Kadhafi n'ont pas échappé à l'ancien président. Il se dit convaincu que " certains règlements de comptes entre factions libyennes " expliqueront, in fine, le mobile des accusations qui pèsent sur lui.
Une personne pourra peut-être éclairer les enquêteurs. Elle était au premier rang des rencontres entre Mouammar Kadhafi et -Nicolas Sarkozy. Il s'agit de l'interprète qui avait accompagné l'ancien président lors de ses rencontres avec le dirigeant libyen. Déjà entendue par les enquêteurs, elle s'était jusque-là retranchée derrière son devoir de réserve. -Nicolas Sarkozy a demandé à ce que celui-ci soit levé pour les nécessités de l'enquête. Le bras de fer avec la justice française est lancé. Son avocat, Thierry Herzog, a d'ores et déjà annoncé qu'il allait faire appel du contrôle judiciaire imposé à son client. Quant à l'ancien chef de l'Etat, il a promis de " briser " les auteurs de cette - " machination honteuse ".
Simon Piel, Soren Seelow, et Joan Tilouine
© Le Monde

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