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dimanche 25 mars 2018

Dans la Ghouta, les rebelles hissent le drapeau blanc


25 mars 2018

Dans la Ghouta, les rebelles hissent le drapeau blanc

En Syrie, un deuxième groupe armé a accepté d'être évacué vers le nord. Le régime contrôle 90 % de l'enclave

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La scène a été filmée en lisière de la Ghouta, dans l'un des camps de fortune aménagés pour accueillir les familles qui fuient le pilonnage de cette banlieue rebelle de Damas par l'aviation russo-syrienne. Mohamed Qaband, un membre de l'Assemblée du peuple, la caisse d'enregistrement des décisions du régime Assad, apparaît à l'arrière d'une camionnette blanche, des bouteilles d'eau minérale à la main.
" Vous voulez boire ? demande-t-il aux rescapés des bombardements qui se massent autour du véhicule. Alors dites : “Bachar Al-Assad est notre président.”Allez, dites-le encore : “Bachar Al-Assad est notre président.” " Et pendant que la foule s'exécute et que les bouteilles circulent de main en main, le député poursuit son show : " A bas l'Arabie saoudite, à bas les Etats-Unis, La Syrie est victorieuse. "
Cette vidéo au goût d'humiliation, probablement tournée vendredi 23  mars et partagée sur les réseaux sociaux par des militants progouvernement, est emblématique de la capitulation de la Ghouta. Après un mois d'offensive d'une brutalité effrénée, qui a causé la mort de 1 600  civils et fait près de 8 000  blessés, plus de 90  % de l'enclave, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), elle est repassée sous la coupe de l'armée syrienne et de ses supplétifs. Depuis le milieu de la semaine, les groupes armés qui contrôlaient ce territoire depuis 2013, et qui ne défendent plus que de minuscules poches, isolées les unes des autres, hissent le drapeau blanc à tour de rôle. Après les salafistes d'Ahrar Al-Cham, mercredi, les combattants de Faylaq Al-Rahmane, une faction islamiste modérée, ont fini par signer, vendredi, l'accord d'évacuation imposé par la Russie.
" Négociations séparées "Selon la télévision d'Etat syrienne, plus de 4 000 personnes – dont 1 400  hommes armés –, ont déjà été convoyées par bus vers la province rebelle d'Idlib, dans le nord du pays. Là-même où les insurgés d'Alep-Est avaient été déplacés, en décembre  2016, après la reconquête de la ville par les forces loyalistes.
Seuls les salafistes de Jaych Al-Islam, la plus puissante formation de la Ghouta, s'accrochent encore à leur fief de Douma. Ils espèrent négocier un arrangement plus avantageux, permettant notamment le maintien d'une partie de leurs hommes sur place, sous la forme d'une police locale.
" Les Russes ont été très malins, ils ont coupé la zone en trois et ouvert des négociations séparées avec chacun des groupes, en leur mentant, en les manipulant, tout en continuant à  faire monter la pression militaire ", observe un diplomate occidental. " Tout ce que les rebelles ont obtenu pour l'instant, c'est de pouvoir partir sans être tués ", lâche Nawar -Oliver, analyste militaire au think tank Omran, basé en Turquie. La poche de Harasta, tenue par Ahrar Al-Cham est désormais vidée de tous ses combattants. Les négociations entre ce groupe et la Russie, entamées en début de semaine, se sont déroulées à la fois en Turquie, où résident des représentants de cette coalition, et sur place, au check-point de démarcation entre les zones rebelle et loyaliste. Pour les militants révolutionnaires qui ont préféré rester à Harasta, mais sont recherchés par le régime, un processus de réconciliation est prévu. Celui-ci est censé mener au bout de six mois à la régularisation de leur situation.
" C'est un dilemme très difficile à trancher, confie Maria Al-Abdeh, la directrice d'une ONG active dans la Ghouta, qui vit en Europe. Rester c'est s'exposer au risque que le régime change d'avis et décide de vous arrêter. Partir à Idlib, c'est s'exposer à de nouveaux bombardements. Juste hier - jeudi - , 34 personnes – dont treize enfants – sont mortes dans un tir de roquettes contre un marché, dans la ville de Harem. " Dans le secteur tenu par Faylaq Al-Rahmane, qui s'étend sur les communes de l'ouest de la Ghouta (Zamalka, Jobar, Erbin et Aïn Terma), un premier convoi devait prendre la route du nord de la Syrie samedi matin. Le protocole dicté par les Russes prévoit l'évacuation de 7 000  personnes, des combattants et leurs proches en grande majorité. Ces derniers jours, cette brigade, qui se revendique de l'Armée syrienne libre, donnait l'impression de vouloir résister jusqu'au bout.
" Aussi fou que cela puisse paraître, son chef, le capitaine Abdel Nasser Shmeïr, se disait persuadé d'une imminente intervention américaine, en soutien aux rebelles,raconte l'analyste syrien -Sinan Hatahet. Il repoussait toutes les tentatives des habitants pour le raisonner. " C'est un ultime carnage, la mort de 37 civils, brûlés et asphyxiés par les bombes incendiaires larguées sur l'abri souterrain où ils se trouvaient, dans la nuit de jeudi à vendredi, qui a  visiblement fait céder le chef de milice. Comme à Alep-Est et dans les autres zones précédemment évacuées, notamment Daraya, une banlieue du sud de Damas, les souffrances de la population locale, à bout de force, ont pesé lourd dans la décision des insurgés de baisser les armes. Depuis un mois, la plupart des familles vivent terrées dans des sous-sols insalubres, souvent privées d'eau et d'électricité, avec, dans le meilleur des cas, un maigre repas par jour.
Certains habitants, à court de réserves et d'argent, se nourrissent d'aliments pour bétail. D'autres se privent plusieurs jours d'affilée pour laisser à leurs enfants le peu qu'il leur reste. Par ailleurs, à mesure de l'avancée des troupes prorégime, les hôpitaux ont fermé les uns après les autres ; leur personnel, de peur d'être arrêté, a choisi de se replier derrière les lignes rebelles.
" Un silence terrifiant "" Le redéploiement du régime se déroule dans un silence terrifiant, s'alarme Maria Al-Abdeh. Ni les Nations unies ni la Croix-Rouge ne sont présentes sur le terrain. Il n'y a personne pour superviser cette opération, alors que l'on commence à recevoir des témoignages d'exécutions et de familles séparées de force. Les habitants qui refusent d'évacuer sont abandonnés à eux-mêmes. "
L'un après l'autre, ses collègues effacent de leur téléphone toute trace de leur engagement militant. Avant de plonger dans le noir, l'un d'eux a envoyé ce court message " Je ferme mon compte Facebook. Priez pour nous. "
Benjamin Barthe
© Le Monde

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