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dimanche 25 mars 2018

Arguments pour la lutte sociale: France – Après le 22 mars .....

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Arguments pour la lutte sociale


France – Après le 22 mars

De 400.000 à 500.000 manifestants – et déjà 202.000 d’après le recensement des organisations de retraités une semaine auparavant (1) – dans toute la France, environ 60.000 à Paris (2) une fois fonctionnaires et cheminots réunis, mais surtout le sentiment, parmi les manifestants, parmi les grévistes, dans la population, que cette fois-ci quelque chose commence, que ce jeudi 22 mars a été saisi comme occasion réelle du regroupement politique de la majorité sociale, contre l’exécutif du mépris et de la casse, qui appauvrit les retraités, bouche l’avenir des jeunes et veut liquider les statuts, de la fonction publique comme des cheminots.
C’est ce contenu politique, signifiant union grandissante des travailleurs, qui a donné son allant, son entrain, et son espoir, à la journée du 22 mars qui n’a donc pas été du tout une journée d’action « ordinaire » de plus.
Par conséquent, la situation se tend. Président, premier ministre et ministres y vont de leurs propos anti-grèvistes et menaçant – tout en lâchant la promesse d’un recul sur la hausse de la CSG concernant les couples de retraités dont les revenus cumulés passent au dessus du « seuil » de 1830 euros mensuels. Un aspect important de la situation politique doit ici attirer notre attention : le « Rassemblement National », nouveau nom du FN, et la nébuleuse de groupes qui font le pont du RN aux LR de Wauquiez (« Patriotes », UPR, DLF …) tentent de se montrer dans des manifestations, et sont souvent, heureusement, expulsés, tentent de la jouer « sociale » tout en dénonçant « immigration » et « immigrationnistes », en même temps que les provocations physiques apparaissent, la plus grave s’étant produite à Montpellier, à la fac de droit, contre des étudiants mobilisés pour le droit aux études, contre Parcoursup, occupant un amphi, attaqués par un commando de nervis sous la direction du « doyen », un dénommé Pétel conduit à la démission le surlendemain, ce qui ne règle pas tout loin de là. Notons le bien : le « macronisme » n’efface en rien l’extrême-droite, et derrière le « macronisme », se tient l’extrême-droite.
Il n’est, de plus, en rien déplacé de noter de la même manière que l’extrême-droite islamiste elle aussi déteste population et travailleurs. L’attentat du super-U près de Carcassonne a fait quatre morts, dont un militaire au comportement héroïque qui s’était substitué à une otage. Tous ces morts, y compris ce dernier, sont nôtres. La meilleure riposte est de continuer vers l’unité, vers la grève, vers l’affrontement social.
Alors, après ce puissant 22 mars, quelles perspectives ?
La direction de la CGT avait décidé, la veille, de rendre public et de diffuser un appel à la suite, sous la forme d’une journée d’action interprofessionnelle le jeudi 19 avril.
Un autre débat s’amorce sur une proposition qui circule en provenance de la « France insoumise », dont les dirigeants n’ont pas pu, comme en septembre dernier, opposer leur propre agenda au développement de la lutte sociale depuis janvier : il faudrait, parait-il, un grand rassemblement un week-end, pour que ceux qui « ne peuvent pas faire grève », petits patrons inclus si l’on comprend bien, puissent venir aussi dire que « Macron, un an ça suffit » (3)
L’action interprofessionnelle, plus précisément la grève tous ensemble, c’est là ce qui est nécessaire. Mais la date annoncée ainsi par avance est lointaine et, qui plus est, fixée dans une période de vacances scolaires sur la majorité du territoire, y compris la région parisienne, alors que la mobilisation de la jeunesse qui mûrit est une donnée importante du rapport de force.
Il convient, nous semble-t-il, d’éviter les éternelles polémiques « pour » ou « contre » la « convergence des luttes ». Avant et pendant le 22 mars, la dirigeante de la FSU, Bernadette Groison, s’est illustrée en déplorant que la « visibilité » de la fonction publique soit affaiblie, ce jour là, par les cheminots ! Inversement, pas mal de militants se sentent très « radicaux » en déclinant les mots « convergences des luttes » à l’encontre des « intérêts catégoriels ». Soyons clairs : la meilleure chose dont ont besoin les revendications catégorielles, particulièrement celles des fonctionnaires, des enseignants et des cheminots portant sur leurs statuts, c’est d’y aller tous ensemble. Et ceci est mal nommé « convergence des luttes » : il s’agit d’ores et déjà d’une lutte commune, ce que les manifestants du 22 mars ont tous compris. Les propos de B. Groison vont en l’occurrence à l’encontre des intérêts catégoriels bien compris des syndicats de la FSU et des fonctionnaires en général. Oui, pour gagner, pour le rapport de force, il nous faut, d’une façon ou d’une autre, la grève unie et tous ensemble !
Les conditions de celle-ci sont réunies à la base : les revendications sont là. Le besoin de s’unir aussi, ainsi que le besoin, identique, de se centraliser. C’est ainsi que serait oh combien nécessaire une centralisation contre le ministre de tous les mouvements départementaux vigoureux qui s’affirment, dans toute la France, contre les fermetures de classes et d’écoles et pour le maintien des petites écoles, à la campagne comme à la ville !
Cette union doit s’imposer aux syndicats. Cela veut dire aussi négocier quand il y a quelque chose à négocier, c’est-à-dire les revendications, mais pas quand il n’y a rien, c’est-à-dire le programme du gouvernement. Aucune fédération de la fonction publique, en particulier la FSU et les fonctionnaires CGT et CGT-FO, ne doit persister à « négocier » avec le secrétariat d’État à la fonction publique qui exige l’accord pour le contrat au lieu du concours !
D’ici le 19 avril va s’amorcer la grève des cheminots, qui va, début avril, se développer comme grève véritable avec assemblées générales et reconduction, sous couvert de grève perlée tous les trois jours, ou qui va avorter. Doit-on attendre de voir venir ? Où ne doit-on pas plutôt agir en même temps qu’eux, dans tous les secteurs ?
Voila les questions posées. Elles sont politiques, en ce sens que l’indépendance syndicale exige cette action unie et centralisée, et en ce sens qu’elles concernent toutes et tous.
C’est pourquoi nous participerons à l’assemblée-débat appelée par le Front social sur la question de comment construire cette « convergence des luttes » qu’il nous semble plus conforme à la réalité d’appeler le Tous ensemble, le 7 avril prochain, et c’est pourquoi nous allons nous donner les moyens d’organiser une réunion-débat d’ici début mai à laquelle seront invités les courants politiques issus du mouvement ouvrier se posant la question de comment affronter Macron, maintenant.
Dernière minute:  on apprend que la direction confédérale de la CGT appellerait aussi à une « journée d’action » le 3 avril, jour où doit commencer la grève des cheminots. Dans ce cas, il faut la grève interprofessionnelle nette et claire ce jour là, sans annoncer à l’avance d’autres dates au gouvernement : il s’agit de gagner, non ?
Notes :
  1. Cette recension ici :https://docs.google.com/spreadsheets/d/1u3H5olxkrwPbd9UVQJ8uGwOjm2zQx4yZIB7RM-b7nJE/edit#gid=228271691
  2. Un « nouveau comptage » fait par des « observateurs médiatiques indépendants » s’est, sur Paris, immédiatement décrédibilisé par un décompte d’une précision pathétique, se tenant consciencieusement à quelques centaines de manifestants de moins que les chiffres préfectoraux !
  3.  La version « gauche » de cette manifestation du week-end nous est donnée par Jacques Cotta, déjà spécialisé dans la présentation « de classe » de la ligne anti-immigrés de Mélenchon et Kuzmanovic : ce serait un terrrrrrrrible rassemblement contre la V° République … sans grève et le week-end (et avec les copains souverainistes, et avec des patrons petits et moyens, et sans « no-borders » !!!). Quitte à manifester un week-end, nous manifesterons, en effet, avec les camarades du POID, qui ne tentent pas, eux, de faire passer des vessies pour des lanternes en appelant, en fonction de leurs possibilités, au dimanche 13 mai sur le mot d’ordre de la réalisation de l’unité pour chasser Macron et en finir avec la V° République.

Situation sociale : naissance de notre force ! par Jacques Chastaing

[Présentation : nous reproduisons la tribune de Jacques Chastaing datée du 20 mars qui nous semble apporter des éléments intéressants pour la compréhension du moment présent de la situation sociale et politique en France. Nous ne partageons pas forcément tous les détails des argument présentés mais nous soulignons la façon dont J Chastaing a saisi l’air du moment ]
Plus de luttes ou un changement d’état d’esprit ?  Mais lequel ?
20 mars 2018 – Jacques Chastaing
Nombreux sont ceux qui sentent confusément que quelque chose est en train de se passer autour des 15 mars, 22 mars et la grève des cheminots.
L’impression de beaucoup est que depuis fin janvier on assiste à un réveil et une multiplication des luttes, les EHPAD, les gardiens de prison, les étudiants et lycéens, les mobilisations contre les fermetures de classes, les motards, les paysans, puis les grèves générales en Polynésie, à Mayotte … Certains parmi les observateurs les plus honnêtes et sincères voient des début de centralisation de ces luttes dans les 15 mars et 22 mars…
En fait, s’il y a bien des luttes, beaucoup de luttes, il n’y en pas plus que ces derniers temps. C’est autre chose qui a changé. Les luttes n’ont pas cessé au moins depuis l’automne hiver 2015 sinon déjà avant, avec déjà les mobilisations centralisées que l’on sait en 2016 contre les lois El Khomry puis en 2017 contre les ordonnances Macron. Puis des défaites…
Pourtant quelque chose a bien changé en ce début 2018, au point que des commentateurs ou des militants jusque là désabusés, ne croyant pas à l’existence des luttes, les remarquent tout d’un coup et s’en enthousiasment.
En fait, ce qui a changé est bien plus important que le nombre de luttes elles-mêmes et que les succès des 15 mars et assurément demain du 22 mars.
Des observateurs et militants parmi les meilleurs cherchant ce qui change, écrivent généreusement mais peut-être hâtivement, « l’espoir a changé de camp », « nous sommes en train de gagner la bataille de l’opinion », « début de panique au sommet »…
Pourtant, malheureusement, ce n’est pas encore le cas, bien qu’on en devine les vibrations et que cela puisse se dessiner rapidement.
Par contre les mêmes écrivent plus justement, on sent « une lame de fond sociale qui cherche son expression » et plus précisément encore « les combats hier catégoriels et défensifs sont en train de se transformer en offensive anti Macron tout azimut ».
Oui c’est vrai, ce qui répond à l’impression de « centralisation » des conflits qui dépasse les dates de coordination des 15 et 22 mars : une lame de fond se cherche, des conflits catégoriels se transforment en offensive anti-macron tout azimut.  Ce ne sont pas tant les dates qui centralisent – même si bien sûr il faut ce caractère physique – mais l’état d’esprit qui préside aux mobilisations.
Pour comprendre la nature de cet état d’esprit et de la dynamique qui en découle, ce qu’elle porte, jusqu’où elle peut aller, quels obstacles elle va rencontrer, il faut savoir d’où vient cet état d’esprit, cette dynamique, pourquoi et comment des conflits toujours actuellement catégoriels prennent pourtant un  caractère d’offensive anti-Macron tout azimut. Ce qui a un côté contradictoire, parce que la situation est contradictoire.
Un changement non pas quantitatif mais qualitatif
Que s’est-il passé ?
En fait ce qui a changé dans les conflits de fin janvier-début février, n’est pas d’ordre quantitatif ou social mais qualitatif et politique.
Les grèves et luttes des agents des EHPAD, des gardiens de prison, des étudiants et lycéens, des paysans et motards de fin janvier-début février n’ont rien eu de coordonné, de centralisé mais ont été juste une addition de conflits au même moment, ce que remarque le sociologue  J. Sirot et ce qui permet au patronat et au gouvernement de se rassurer.
Pourtant, cette « addition » a provoqué assez largement à ce moment – au point que de nombreux commentateurs l’aient écrit –  une impression durable, le sentiment d’une irruption, d’une libération et plus important encore, le sentiment du déclenchement d’une dynamique sociale irréversible.
Pour bien comprendre ce sentiment et ce dont il témoigne, il faut revenir un peu en arrière. Les événements ne se comprennent pas que par eux-mêmes, leurs sociologie apparente, mais pas leur dynamique ou leur histoire.
Le mouvement ouvrier vient de vivre deux défaites sociales majeures consécutives : le mouvement contre la loi El Khomry en 2016 et celui contre les ordonnances Macron en 2017. On pourrait se dire que le mouvement ouvrier est battu, défait, enterré… Et pourtant non ! Ce qu’on a vu avec le nouveau surgissement de fin janvier début février 2018. Et ce qui s’était déjà produit avec la lutte de 2017 après la défaite de 2016.
Les directions syndicales ont expliqué la défaite par l’absence de mobilisation suffisante des salariés. Elles-mêmes, disaient-elles, en tous cas la CGT et Solidaires, étaient prêtes à la grève générale. Martinez l’écrivait au printemps 2017 dans la Tribune de Genève. Mais les travailleurs n’y étant pas prêts, les directions syndicales auraient dû composer et se limiter aux possibilités que permettait cette ambiance de recul général. C’est pourquoi pour continuer leur argumentation, elles ont donc tenté de « négocier » le recul avec une tactique de mobilisation adaptée.
Il n’y a rien de plus faux.
La volonté de se battre était là, suffisante pour gagner on ne sait pas, mais en tous cas suffisante pour avoir un véritable plan de bataille et pas une mobilisation en journées saute-moutons.  Les luttes étaient tout aussi nombreuses qu’aujourd’hui mais invisibles, car dispersées et recouvertes, cachées d’une certaine manière par la centralisation, molle, mais unification quand même, qu’organisaient les directions syndicales contre les lois El Khomry et les ordonnances Macron.
Par ailleurs de très nombreuses organisations y compris à l’extrême gauche, et donc derrière les directions syndicales, et bien des militants, reprenaient le défaitisme des directions : il y a recul, il n’y a pas de luttes, les gens ne veulent pas se battre… C’était un leitmotiv assez partagé. Ainsi, après la défaite et la dernière manifestation du 16 novembre 2017, les directions syndicales pour ne pas porter la responsabilité de la défaite qu’elles avaient pourtant organisée, ont mené une intense campagne accusant l’absence de mobilisation des salariés, trouvant alors un relatif écho chez bien des militants.
Macron triomphait ;  il pouvait même annoncer dans la foulée et sans riposte la liquidation de 200. 000 mandats de militants syndicaux ; les directions syndicales se défaussaient sur la prétendue absence de luttes et de combativité ; tout semblait indiquer qu’on était entré dans l’hiver social, sans aucune perspective.
C’est là que le 30 janvier 2018 a tout fait basculer.
Le 30 janvier 2018, un grand succès au delà des EHPAD, l’expression des combats des catégories les plus exploitées, la preuve d’un décalage des organisations avec les salariés et à partir de là, une certaine prise de conscience générale
La mobilisation des EHPAD vient de loin et a commencé  de manière visible avec la grève de 117 jours des salariés de l’EHPAD des Opalines de Foucherans dans le Jura au printemps/été 2017. Les problèmes que posaient cette grève assez médiatisée en terme de souffrance au travail, de sous-effectif, de sur-exploitation de ces personnels et de maltraitance institutionnelle des seniors ont été portés jusqu’à l’Assemblée Nationale qui s’est sentie obligée de lancer une mission sur les EHPAD.
Cette grève et son écho médiatique ont également engendré une mobilisation des militants de FO  qui ont déclenché une grève des EHPAD dans le sud  de la France à l’automne 2017 – parallèle donc aux mobilisations contre les ordonnances mais invisible des militants préoccupés par les ordonnances- qui a été assez suivie dans un secteur pourtant traditionnellement peu organisé.
FO réunissait dans des assises à l’automne deux à trois cents militants et salariés des EHPAD et annonçait à cette occasion qu’ils appelleraient à une journée nationale d’action dans les EHPAD fin janvier, début février 2018 en sollicitant les autres organisations syndicales pour cela. L’intersyndicale construite à cette occasion appela finalement le 30 janvier avec le succès que l’on sait puisqu’avec le soutien d’un certain nombre de directeurs d’établissements, des associations familiales et en partie des retraités, près ou plus de 2 000 EHPAD ont fait grève ou débrayé ce jour-là, avec une participation selon le ministère de 31,8%. Ce qui est énorme et historique étant donné que le ministère ne compte que les grévistes qui devaient travailler ce jour là, et compare ce chiffre à l’ensemble du personnel, ceux en repos, maladie, etc….ce qui minimise le résultat.
Ce fut un succès retentissant permettant de poser très largement la question des conditions de travail dans les EHPAD et plus largement le problème de la détresse et  l’abandon par l’État des personnes âgées. La grève a ainsi eu un soutien extrêmement fort de la population très concernée par cette question et par ce qui arrive ou peut arriver à ses propres parents ou son propre avenir.
Elle a eu également un grand succès parce qu’elle touchait à tous les problèmes de santé publique et représentait ainsi par défaut une mobilisation nationale inexistante dans les hôpitaux, maternités ou cliniques  alors que les attaques y sont très violentes et les mobilisations très importantes mais également très émiettées avec plus de 1 500 luttes en 2017.
Ainsi, des agents hospitaliers se sont mobilisés aux côtés de ceux des EHPAD comme des auxiliaires de vie, des travailleurs sociaux, des associations familiales, des organisations de médecins, des résidents et familles de résidents et enfin des retraités.
Mais il y a eu encore beaucoup plus que cela autour de la mobilisation des EHPAD par le contexte du moment et le contexte général.
Les salariés des EHPAD sont les prolétaires de la santé, les plus exploités, les moins bien payés au travail le plus dur et le moins estimé. En ce sens là, parce que c’est un travail dans lequel on entre souvent « à reculons », parfois en situation de fragilité sociale, parce que c’est un travail féminin pour l’immense majorité, parce qu’il y figure de nombreux précaires, notamment « contrats aidés », parce que c’est un secteur jeune,  parce qu’on n’imagine pas y rester, parce que ce sont de petites unités, c’est au final un secteur peu organisé, peu syndiqué et qu’on n’a pas l’habitude d’entendre.
Or par sa mobilisation exceptionnelle, si ce mouvement n’a pas été beaucoup entendu ou remarqué par des militants plus chevronnés de secteurs plus organisés, parce que ça contredisait ses habitudes et ses raisonnements sur la situation (ils ne peuvent pas bloquer l’économie, ils sont réquisitionnés, on a perdu en novembre 2017, donc c’est marginal…) ce secteur a révélé plusieurs choses.
D’abord il a pu trouver l’oreille de beaucoup d’autres personnes de secteurs très prolétarisés qui souffrent ou luttent mais qu’on ne voit pas, qu’on entend pas, mais qui pourtant luttaient en parallèle contre les ordonnances de manière active et ont continué à lutter après novembre 2017: secteurs du nettoyage, migrants, de l’hôtellerie, du commerce… Un secteur de jeunes sans droits et pour qui les ordonnances étaient déjà appliquées, en fait une espèce de plaque sensible montrant ce qui grondait souterrainement.
Ainsi ce mouvement des EHPAD très soutenu par l’opinion et du coup très médiatisé a en quelque sorte fait sortir de l’ombre les autres mouvements qu’on remarquait moins parce que moins appréciés comme celui des gardiens de prison, ou des paysans ou motards et moins forts comme celui de étudiants et lycéens. Dans un espèce de « halo », il les a « centralisés » de fait.
Et plus encore, alors que beaucoup croyaient que tout était perdu, que le mouvement social était battu, qu’il n’y avait pas de lutte et plus de possibilités de luttes après les deux dernières défaites,  ce mouvement montrait que la révolte surgissait de  l’exploitation la plus invisible et des luttes les plus invisibles. D’un coup on les remarquait. A partir de là, le constat s’imposait que la lutte contre les ordonnances n’avait concerné que la partie la plus organisée des salariés, la plus proche des appareils syndicaux et qu’au fond la classe ouvrière n’était pas battue.
D’ailleurs les combats actuels ne se font pas sur des dispositions législatives mais sur des revendications plus proches de la vie quotidienne.
Cela révélait donc qu’il y avait un décalage très important entre les directions syndicales ou politiques, voire entre le combat des  militants contre les ordonnances, et les salariés eux-mêmes. Cela disait qu’au fond, ce n’étaient pas les travailleurs qui avaient été battu par Macron mais les directions syndicales et leur tactique.
Cette distance témoignait d’une méfiance qui, comme on le sait, n’est pas loin de la conscience, quand cette méfiance entre en lutte. Ce qui est né fin janvier, début février, c’est la conscience collective d’une prise de distance à l’égard des directions syndicales. Et c’est autour de ce sentiment que s’organise toute la dynamique actuelle.
Cette réapparition du mouvement social surprenait et désavouait donc tout le monde, directions syndicales en premier lieu qui croyaient que tout était enterré.
Plus encore, ce mouvement semblait vouloir  prendre un essor relativement indépendant des directions confédérales qui avaient été surprises. En effet, le 29.01 les organisations de retraités avaient appelé à une suite le 15 mars, cette fois-ci avec leur participation organisée totale et pas seulement partielle. La CGT santé/EHPAD faisait aussitôt sienne cette date dès le 5 février, proposant le 15 mars aux autres organisations syndicales du secteur. Une date qui correspondait par ailleurs à la rentrés scolaire et dont les organisations étudiantes et lycéennes s’étaient aussi emparées.
Ainsi pouvait naître non pas vraiment encore un mouvement contrôlé par la base mais inspiré par les succès d’une mobilisation de la base, désavouant toute l’argumentation des directions syndicales sur l’absence de volonté de lutte des travailleurs.
Mailly s’y est encore essayé en mars déclarant qu’il n’était pas sûr que les salariés aient envie de descendre massivement dans la rue. Ce qui a provoqué des rires mais ce qui n’en avait pas provoqué  au printemps ou à l’automne 2017. Un changement d’état d’esprit : les appareils sont bousculés même s’ils gardent encore la maîtrise de l’agenda. Les militants, surpris dans un premier temps, s’enthousiasment peu à peu et de plus en plus, essayant de comprendre en s’inventant non pas une multiplication des luttes qui n’existe pas mais une méfiance qui n’ose pas encore se dire. Elle pourrait s’exprimer après le 22 mars et le 3 avril
Les contre-feux, les manœuvres des appareils, le 22 mars et la grève des cheminots
Pour bien comprendre tout ce qui va se passer après cette mobilisation fin janvier/début février, il faut bien avoir en tête cette méfiance en lutte qui est mortelle pour les appareils si elle prend une forme organisée.
Sentant le danger, aussitôt la direction de la CGT, le 7 février, publiait un communiqué « Et si on construisait le tous ensemble » pendant que le 6 février, les fédérations de la fonction publique appelaient à une date concurrente du 15 mars, le 22 mars. Il s’agissait de diviser le mouvement pouvant naître et tout au moins, poser une date permettant de chapeauter les mobilisations éventuelles qui pouvaient leur échapper.
A partir de là, on a assisté à une phase de tentative de démolition du 15 mars qui aurait « divisé » alors que c’étaient les fédérations de la fonction publique qui divisaient avec le 22, exactement comme elles l’avaient déjà fait le 10 octobre 2017 pour casser la mobilisation unitaire qui était née des mobilisations des 12 et 21 septembre 2017. Puis, peu à peu, sous la pression populaire, les deux dates n’ont plus été concurrentes mais deux étapes inscrites dans un processus de mobilisation plus large  pour construire le « Tous Ensemble », à tel point que certains ont même envisagé la lutte du 15 au 22, ce qui est le cas pour quelques universités.
Car cette idée du « Tous Ensemble », libérée par les événements de fin janvier/début février a alors fait un bond en avant considérable dans l’opinion ouvrière et militante ; la preuve était faite que la volonté de lutte des salariés ne faisant visiblement pas défaut, il manquait juste la volonté de l’organiser. Le mouvement de janvier disait donc, montrait donc, contre les directions syndicales et politiques que, oui, le « Tous Ensemble » et donc la grève générale reconductible est de l’ordre du possible.
A partir de là, le 22 mars, seconde date dans le calendrier après le 15, prenait le caractère de ce « Tous Ensemble » et grève reconductible, alors que ce n’était au départ qu’une date pour diviser et une date corporatiste de la seule fonction publique. Ce qui était déjà arrivé au 10 octobre 2017, lorsqu’après un court moment de déception, les militants et salariés s’en étaient emparé pour tenter d’en faire une mobilisation public privé.
Mais le 22 mars se place au delà de la formule un peu rituelle public-privé.
Il prend un contenu réel de défense des services publics mais surtout de cette recherche du « Tous Ensemble ». C’est d’abord une mobilisation de vérification de l’état des forces et des consciences.
Comme revendication, il y a bien sûr la défense des services publics qu’avancent les syndicats et qui est certes dans la tête de tous,  puisqu’on voit aussi cette revendication à Mayotte comme dans la grève générale du 15 mars en Guadeloupe, mais dont tout le monde sait aussi que pour vraiment la défendre il faudra une autre politique que celle des confédérations.
Mais ce qui est notable, c’est que la lame de fond sociale n’a pas vraiment de revendications sinon de réaliser sa propre unité, de vérifier si elle est possible, combien on est, quelle force on a et quelle indépendance se dégage à l’égard des directions syndicales. Cela se mesurera au nombre, à qui est là, à la capacité d’attraction du 22 mars, aux slogans, aux pancartes, à l’ambiance…
D’autant qu’il y a une inertie des structures qui organisent encore des luttes corporatistes. Ainsi il y a eu 93 journées d’action syndicales nationales, régionales, catégorielles en février 2018, en partie comme expression du mécontentement social en partie pour l’émietter. Ça avait déjà été le cas en novembre décembre 2017 après qu’ait été sifflée la fin des mobilisations générales.
Ainsi dans un espèce d’entre deux de poussée sociale méfiante mais pas encore consciente on assiste à des luttes catégorielles à contenu général ! C’est paradoxal mais on en comprend bien le pourquoi.
Là dessus se greffe le mouvement des cheminots qui amplifie les deux caractères du mouvement  en cours, catégoriel au niveau des organisations, général au niveau des militants et salariés.
Alors que les violentes attaques du gouvernement qui visent à privatiser la SNCF sont connues depuis le 13 février et qu’il a annoncé qu’il procéderait pas ordonnances pour aller plus vite, les directions syndicales ont voulu négocier exactement comme au printemps 2017 face aux ordonnances contre le code du travail. Et il a fallu attendre le 15 mars, un mois après, pour qu’une partie de l’intersyndicale, CGT, CFDT et UNSA, sorte de son chapeau la grève perlée de 2 jours sur 5 qui commencerait le 3 avril et durerait trois mois.
Tout est catastrophique – mais pas innocent – dans ces choix.
La grève ne commencerait que le 3 avril pour encore  laisser du temps à la négociation et ne pas entrer en grève comme l’a dit Berger si le gouvernement acceptait de négocier ou même de faire semblant. Ce qui peut laisser entendre que la CFDT pourrait annoncer entre le 22 mars et le 3 avril qu’elle renonce à la grève parce qu’elle aurait obtenu des garanties d’une négociation sérieuse. Ce qui  casse le moral et pourrait donner alors à d’autres organisations le prétexte pour renoncer aussi. On verra mais ce théâtre est bien rodé depuis quelques années à la SNCF.
Par ailleurs, la grève démarrant le 3 avril et non le 22 mars permet de désolidariser la grève des cheminots de celle de la fonction  publique, de dévitaliser le 22 en centrant la question sur les cheminots et en cassant d’éventuelles suites au 22, puisqu’Air France par exemple entrait en grève le 23 et que si les cheminots avaient été en grève les 23, 24 etc., cela pouvait donner l’idée à d’autres de faire pareil ; chez Carrefour par exemple qui prévoit une grève générale le 30 voire à partir du 26 mais dont déjà des entrepôts sont déjà entrés en grève ou débrayage ; chez Ford où la mobilisation commence et qui prévoit une grève le 24 mars ; à la Poste où les conflits sont très nombreux mais émiettés et qui ont besoin d’un catalyseur pour se regrouper, ce qui vaut aussi pour les agents hospitaliers… et bien d’autres encore comme par exemple l’UL CGT de Romorantin qui appellera à la grève générale à partir du 22 ou les postiers d’Ille et Villaine en grève depuis 70 jours qui appellent toute la poste à la grève générale à partir du 22 mars.
Mais selon l’agenda des directions syndicales, tout le monde devra donc attendre le 3 avril.
Et puis 2 jours sur 5 !
L’argument est que puisqu’il faudrait une grève longue – 3 mois !? –  pour faire reculer la SNCF, il ne faudrait pas que ça coûte trop cher aux cheminots.
Le gouvernement déclare la guerre  totale et on répond par une guerre 2 jours sur 5. Aucun cheminot qui réfléchit ne peut suivre de tels arguments qui consistent à s’appuyer sur les moins combatifs pour paralyser ceux qui le sont plus. Par ailleurs, annoncer à l’avance que ça va durer trois mois (?) – en fait le temps des « négociations » – est le meilleur moyen pour décourager tout le monde. Dans toute grève, on s’engage et puis on voit. Tous les militants le savent. On sait quand on  commence une grève, on ne sait jamais quand on finit, tout dépend de la force de la mobilisation. Si on disait au début d’une grève : attention ça va durer trois mois, vous allez perdre beaucoup d’argent, personne ne s’y lancerait. C’est un discours de démobilisation et de culpabilisation.
Par ailleurs pour que la mobilisation soit la plus courte, il faut être le plus déterminé et le plus nombreux, c’est-à-dire associer la lutte des cheminots à celle des autres fonctions publiques et à tous en général. Ce que ne fait évidemment pas l’intersyndicale cheminote qui isole les cheminots dans leurs problèmes comme s’ils n’étaient pas les mêmes que les autres et comme si les cheminots pouvaient gagner tous seuls.
Il est donc sûr que la SNCF va mettre en congés ceux qui se déclarent en grève, les faire remplacer par des non grévistes, faire prendre la charge de travail des 2 jours de grève les 3 autres jours et que le gouvernement va dresser les usagers contre les cheminots puisqu’il va apparaître à tous, que cette grève ne gêne pas le gouvernement mais seulement les usagers. Un désastre annoncé !
Enfin la grève 2 jours sur 5 va provoquer des roulements de grévistes, rendant plus difficile pour les cheminots le contrôle de leur propre mouvement,  mais par contre en laissant plus facilement la direction aux directions syndicales. C’est le propre de toutes les grèves perlées dont les directions syndicales ont abusé avant 1968 pour empêcher les salariés de prendre en main les nombreux mouvements sociaux qui avaient précédé l’explosion de mai.
Enfin la manifestation à Paris des cheminots du 22 mars et celle de la fonction publique sont déconnectées. Elles ne partent pas du même endroit et ne font pas les mêmes parcours. Elles sont censées se rejoindre qu’à la fin à Bastille, mais les deux cortèges ne devant pas arriver au même moment, la jonction ne pourrait être que très formelle.
En même temps que ces manœuvres à la SNCF, la direction de la CGT manœuvre de manière complémentaire en se préparant à appeler à une nouvelle journée d’action interprofessionnelle début avril ou mi avril.
Il ne s’agit pas de donner un nouvel élan au mouvement après le 22 mars mais de contrôler tout débordement ou tout mécontentement qui pourrait s’exprimer contre la politique des confédérations, bref pour éviter que ne se construise une opposition sociale sur sa gauche renforçant le « Front Social ». Pour cela et pour éviter une dynamique vers le « Tous Ensemble », elle ne communique pour le moment pas là dessus afin que les salariés ne puissent pas s’emparer eux-mêmes de cette feuille de route et pour garder le calendrier en main.
La seule chose imprévisible dans tous ces calculs est le degré de mobilisation des cheminots eux-mêmes qui semble élevé et si les cheminots vont s’emparer de la grève dans les Assemblées Générales et partir en grève reconductible.
L’imprévisible fait partie de la dynamique de la situation
A partir de là, ce pourrait être un tournant important. Et la tactique des directions syndicales aurait alors abouti justement à ce qu’ils voulaient éviter.
En effet, tout montre que le 22 mars va être un succès.
Les salariés vont donc vérifier qu’ils sont nombreux à vouloir le « Tous Ensemble », qu’ils veulent  la grève reconductible sur un fond de méfiance à l’encontre des appareils.
Mais pour passer de cette méfiance à l’application pratique, c’est-à-dire à la conscience, car on ne peut séparer les deux, il faut des outils d’organisation indépendants, AG, collectifs, comités de grèves, coordinations… Pour le moment, il n’y en a pas.
Or si les cheminots prennent en main leur mouvement par dessus les directions syndicales par des AG et des coordinations d’AG, ce peut être le détonateur pour que cela se propage très rapidement partout.
Alors des revendications, des objectifs, un programme du « Tous Ensemble » se mettrait  très rapidement en place. Avec l’indépendance organisationnelle, la méfiance se transformerait en conscience et la base développerait son propre programme.
On en sent des frémissements par exemple dans l’appel d’un « collectif » des facteurs d’Ille et Villaine le 19.03 à la grève nationale reconductible des facteurs à partir du 22 mars qui est soutenu par la CGT Fapt et Sud poste du département.
Macron est pressé par le temps mais il est très fragile, il n’est fort que du soutien  – de fait – de l’absence d’opposition des directions syndicales. Si ce « soutien » fait défaut ou n’est plus opérant, il pourrait bien être lâché par tous ses alliés et son régime s’écrouler tout d’un coup.
Comme avec De Gaulle, en 1968, pourrait surgir rapidement : « un an c’est trop », « Macron dégage ». La France Insoumise propose à nouveau aux directions syndicales une manifestation nationale sur ce thème. Ce n’est qu’une posture puisqu’on sait bien que les confédérations refuseront et que la FI s’en contentera, mais cela témoigne que cette vibration est dans l’air.
C’est ce  que nous  souhaitons.
Alors la peur de perdre changerait de camp, on ne serait plus vaincu dans sa tête, l’espoir de gagner renaîtrait, le glissement d’opinion dans les esprits qu’on sent proche deviendrait conscience organisée, la centralisation des luttes deviendrait un objectif et pas seulement une évocation. Le pouvoir se mettrait à avoir peur.
N’est pas Thatcher qui veut.

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