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samedi 24 mars 2018

A Toulouse, la paralysie de l'université du Mirail


24 mars 2018

A Toulouse, la paralysie de l'université du Mirail

Le ministère a pris la main et nommé un administrateur provisoire

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Les visages se tendent légèrement, le brouhaha diminue. Dans les travées colorées du grand amphi de l'université Jean-Jaurès, au cœur du quartier du Mirail à Toulouse, l'heure est au vote " pour " ou " contre " la poursuite du blocage. Une nouvelle fois, l'assemblée générale, réunissant quelque 1 200 personnes – principalement des étudiants – se prononce, jeudi 22  mars, à une large majorité pour la reconduite du blocus de la grande université d'arts, lettres, langues et sciences humaines, à l'arrêt total depuis le 7  mars. Chaises et tables vont rester empilées à l'entrée des bâtiments de ce campus ouvert sur la ville, qui accueille en temps normal 22 000 étudiants, jusqu'à lundi 26 mars au moins, date de la prochaine AG.
" Sélection ", " fusion ", " démission "… Les mots inscrits sur les banderoles accrochées sur la grande arche rouge emblématique du Mirail, résument les termes d'un conflit qui dure depuis plus de trois mois, avec l'enclenchement d'une grève en décembre et l'enchaînement de blocages depuis. Un mouvement d'une ampleur que le Mirail n'avait pas connue depuis près de dix ans, époque de la mobilisation autour de la loi sur l'autonomie des -universités.
La contestation a débuté autour du projet de regroupement de l'université avec d'autres établissements du site (l'université Paul-Sabatier et deux écoles d'ingénieurs, l'INP et l'INSA), dénoncé comme une " fusion ", qui aurait pour conséquence, selon ses opposants, des suppressions de postes et de formations. A cela s'est agrégée une mobilisation sur des questions nationales
" Nos revendications demeurent : nous voulons l'abandon du projet de fusion et le retrait de la loi qui instaure la sélection à l'université ", défend un étudiant d'histoire, en référence à la réforme de l'accès à l'université adoptée en février, avant de s'engouffrer, sous les bruits des tambours, dans le flot de personnes qui rejoignent la manifestation de défense du service public. " Tout le monde regarde le Mirail comme une lueur d'espoir, nous n'avons pas le droit de lâcher le combat ", abonde un étudiant au micro de l'amphi, tandis que plusieurs camarades et personnels égrènent les mobilisations dans d'autres établissements, et les soutiens de personnalités politiques, telles Jean-Luc Mélenchon, qui s'est fendu d'un Tweet dénonçant " l'autoritarisme macroniste ".
" Trahison "Si les mots d'ordre ne changent pas depuis des mois, la crise a pris une nouvelle tournure cette semaine : lundi 19 mars, le projet de fusion, établi pour remporter le label Initiatives d'excellence (Idex) décerné aux projets d'universités jugées d'envergure mondiale, n'a pas été retenu.Surtout, le ministère de l'enseignement supérieur a pris, mardi, une décision jugée inédite dans l'histoire des universités autonomes, à la suite d'un nouveau blocage du conseil d'administration de l'établissement : la dissolution des conseils centraux de l'université (formation et vie universitaire, scientifique et d'administration), et par là même la fin du mandat du président de l'université, -Daniel Lacroix, que les grévistes appelaient à la démission depuis des semaines.
" Trahison ". Le mot revient souvent parmi eux pour dénoncer le soutien de ce dernier au projet de regroupement, alors qu'il s'était fait élire sur un programme inverse puis avait organisé une -consultation de la communauté qui avait abouti à un vote négatif, en décembre. Depuis le 12  décembre, date d'adoption du projet décrié par un conseil d'administration délocalisé au rectorat, aucune réunion d'unconseil centraln'a pu se tenir, et des dissensions ont éclaté franchement dans l'équipe de gouvernance – une partie des soutiens du président l'ont désavoué.
Une " paralysie " à laquelle cette dissolution des conseils, qui s'accompagne de la nomination d'un administrateur provisoire chargé d'organiser de nouvelles élections dans les trois mois, doit mettre fin, espère le ministère, qui explique cette décision par les " perturbations graves et durables du fonctionnement pédagogique et administratif de l'établissement ", citant l'absence de vote du budget de l'établissement, ou encore les risques pesant sur les paiements des agents. " Le Mirail était devenu ingouvernable car il n'y avait plus de majorité dans les conseils ", abonde l'ancien président, Daniel Lacroix, qui voit là " une possibilité de sortie de crise ".
Un sentiment qui est loin d'être celui exprimé dans la communauté universitaire. A l'assemblée générale jeudi, personnels et étudiants se sont succédé pour dénoncer une" mise sous tutelle autoritaire ", un " coup d'Etat " ou encore une " tentative de reprendre la main sur le Mirail ", au moment où le mouvement prend de l'ampleur.Sans compter plusieurs condamnations provenant de syndicats de l'enseignement supérieur et d'élus du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur cette " ingérence ". Même les opposants au blocage de l'université sont inquiets. "Cela ajoute des crispations, constate un enseignant-chercheur de géographie.  On s'enlise, alors que les conséquences du mouvement sont déjà désastreuses. "
Fusion " enterrée "" Je ne suis pas un représentant du gouvernement ", a tenté de se défendre le nouvel administrateur provisoire, le professeur des universités Richard Laganier, jusque-là conseiller de sites au ministère, durant ses trois minutes à la tribune, où il a notamment assuré que la fusion était, de fait, " enterrée ", et qu'il n'avait pas l'intention de faire appel aux forces de l'ordre pour débloquer le site, comme le craignaient les grévistes.
Sur tout le campus, une interrogation est largement partagée : si le blocage venait à être levé, que pourra faire ce nouvel administrateur, alors que les conseils, décisionnaires sur de nombreux dossiers dans le système de démocratie universitaire, n'existent plus ? Richard Laganier n'a cessé de le répéter lors de ses premières rencontres avec les représentants de l'intersyndicale de personnels et d'étudiants : il ne s'occupera que de la gestion des affaires courantes. Et de citer pêle-mêle les dossiers urgents, de la remontée des notes des 4 500 étudiants de troisième année de licence qui en ont besoin pour postuler en master, aux paiements des vacataires et des fournisseurs.
Reste que des décisions politiques pourront difficilement attendre, telles les modalités de mise en place de l'examen des dossiers des candidats dans le cadre de la réforme de l'entrée à l'université. " L'incertitude est complète, observe Eric Raufaste, enseignant-chercheur en psychologie. Impossible de savoir dans quel sens va tourner la mobilisation, ni comment l'université va fonctionner avec seulement un administrateur provisoire… "
Camille Stromboni
© Le Monde

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