Alors que l'insurrection syrienne ploie dans la Ghouta, la banlieue est de Damas, cible depuis dix jours de très violents bombardements, dans la province d'Idlib, 300 kilomètres plus au nord, les rebelles anti-Assad redressent la tête. Profitant du répit que leur offre la bataille faisant rage dans les faubourgs de la capitale, ces groupes armés sont passés à l'offensive, non pas contre les positions des forces loyalistes, mais contre celles de Hayat Tahrir Al-Cham (Organisation de libération du Levant), une formation issue de l'ancien Front Al-Nosra, proche de la nébuleuse Al-Qaida.
Depuis le 20 février, sous la pression conjuguée des brigades rebelles et de la population locale, qui a perdu foi en eux, les djihadistes ont dû se résoudre à évacuer une quarantaine de villes, villages et bases militaires. Si elle est loin d'avoir anéanti Hayat -Tahrir Al-Cham, cette opération d'envergure, appuyée en sous-main par la Turquie, a mis un terme à son hégémonie dans la région d'Idlib.
" Je rêvais de ça depuis longtemps, s'exclame Abdulkafi Al-Hamdo, un professeur d'anglais joint par WhatsApp, qui réside dans la campagne environnant cette ville.
Nous ne nous sommes pas révoltés contre Assad pour nous retrouver sous la botte des djihadistes. "
Les affrontements ont débuté le 19 février, au lendemain de la fusion de deux groupes armés, les islamistes de Nour Al-Din Al-Zinki et les salafistes d'Ahrar Al-Cham, au sein d'une nouvelle coalition, baptisée Jabhat Tahrir Souria (Front de libération de la Syrie). Ce rapprochement n'a pas dissuadé Tahrir Al-Cham de passer à l'attaque contre Al-Zinki, une faction trop indépendante à son goût, comme il l'avait fait en juillet dernier avec Ahrar Al-Cham, mis en déroute en quelques jours. Mais, cette fois-ci, les rebelles ont riposté.
Qualifiés de " mercenaires "Le 21 janvier, Jabhat Tahrir Souria a délogé Tahrir Al-Cham de -Maarat Al-Nouman, une ville de 80 000 habitants dont il s'était emparé en juin 2017. Le mouvement s'est amplifié les jours suivants, plusieurs dizaines de possessions djihadistes passant sous le contrôle de leurs adversaires, à la suite de défections ou de combats. La mort d'habitants du -village de Hanano, tués durant le week-end par des mortiers de -Tahrir Al-Cham, a incité des milliers de personnes à manifester lundi contre ce groupe.
La colère populaire, alimentée par une déclaration du Conseil -islamique syrien, une assemblée de religieux prorévolution, qualifiant les djihadistes de
" mercenaires ", a obligé ces derniers à abandonner plusieurs autres de leurs positions. Parmi leurs pertes les plus cuisantes, outre les -villes de Maarat Al-Nouman, Saraqeb et Khan Cheikhoun, figure la localité frontalière d'Atmé, sas de transit des convois d'aide en provenance de Turquie.
Selon Charles Lister, spécialiste du djihad syrien, ce mouvement de reflux constitue
" la dernière étape en date d'une stratégie turque au long cours, visant à saper le fonctionnement et la crédibilité populaire " de Hayat Tahrir -Al-Cham. Lors de son déploiement dans la province d'Idlib, en octobre, en application de l'accord de " désescalade " patronné par Moscou, l'armée turque avait pourtant été escortée par les -djihadistes.
" Les soldats turcs donnaient l'impression d'avoir peur d'eux, on pensait qu'ils se concentreraient uniquement sur les Kurdes d'Afrin - contre lesquels Ankara est intervenu au mois de janvier, avec l'aide de rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) - , témoigne le directeur d'une ONG syrienne, qui travaille dans la région.
Et puis, peu à peu, ils ont pris la mesure de la situation et ont trouvé les moyens d'affaiblir Hayat Tahrir Al-Cham. C'est très bien joué de leur part. "
La Turquie a su exploiter les divisions internes au mouvement, entre l'aile jordano-égyptienne, attaché au label " Al-Qaida ", et la faction syro-saoudienne, plutôt encline à une " normalisation " graduelle de l'organisation. La discorde dans ses rangs a été avivée par l'assassinat d'une trentaine de ses cadres depuis septembre. Impossible de dire si ces éliminations sont l'œuvre des services de renseignements turcs, d'une organisation rivale, comme l'Etat islamique, ou bien s'il s'agit de règlements de comptes internes à Hayat Tahrir Al-Cham. Il est probable, en revanche, que la Turquie ait transféré de l'aide militaire à Al-Zinki et Ahrar Al-Cham. Elle pourrait aussi leur envoyer des renforts, puisés dans les rangs des supplétifs de l'ASL.
Les djihadistes, de leur côté, ont commis des erreurs. Ils ont contribué à se discréditer en cherchant à remplacer les embryons d'institutions mises en place par le " gouvernement " de l'oppo-sition, installé dans le sud de la Turquie, à Gaziantep, par une structure à leur solde, le " gou-vernement de salut ".
" Ils ont voulu prendre le contrôle de l'université où je travaille, témoigne Abdelkafi Al-Hamdo.
Parce que nous nous y sommes opposés, ils ont fermé l'université et nous nous sommes retrouvés à faire cours dehors. Les gens les détestent de plus en plus. "
Le capital de sympathie dont l'organisation a initialement bénéficié, du fait de son efficacité dans la lutte contre le régime Assad, s'est étiolé après la chute d'Alep-Est, en décembre 2016, et la mise en place du processus de " désescalade ", dont les zones abritant des forces djihadistes sont exclues.
" Les gens voient, d'un côté, que Tahrir Al-Cham n'arrive plus à repousser le régime et que sa présence, de l'autre, leur -garantit de se faire bombarder par Moscou ", résume un humanitaire syrien voulant rester anonyme.
Idlib n'en a pas fini avec les -djihadistes. Les unités mises en déroute se sont réfugiées dans l'ouest de la province, où elles -devraient se réorganiser. La guerre entre Tahrir Al-Cham et les rebelles pro-Ankara ne fait que commencer.
Benjamin Barthe
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire