G20 - Si les dirigeants mondiaux comptaient souffler un peu, au milieu de la crise syrienne, c'est râpé. Au cœur d'une tempête financière de toute première importance, les pays émergents sont en train de payer le prix de la reprise des pays les plus riches. C'est la problématique officiellement inscrite au programme du sommet du G20, qui débute ce jeudi à Saint-Pétersbourg, même si la question syrienne sera dans toutes les têtes.
Est-ce que les dirigeants d'Afrique du Sud, Brésil, Inde, Indonésie et Turquie se déplaceront en Russie pour rien? C'est probable, surtout qu'une source française a soufflé que les rencontres seront dominées par "l'actualité diplomatique".
Pourtant, la situation économique est gravissime. Les monnaies indiennes et turques ont affiché des chutes vertigineuses de près de 25% et 11% respectivement depuis le début de l'année et atteint des niveaux records de faiblesse malgré les tentatives des banques centrales d'endiguer le mouvement. Au Brésil, où le réal a plongé de 15%, la banque centrale a annoncé qu'elle allait consacrer 50 milliards de dollars à la défense de sa monnaie. A un degré moindre, la Chine voit sa croissance ralentir au niveau d'il y a 15 ans.
La Russie, qui espérait profiter de la présidence du G20 pour afficher son ouverture économique aux investisseurs de la planète, ne devrait pas manquer de relayer ces inquiétudes: le rouble a perdu environ 10% de sa valeur et la croissance y a brutalement ralenti au début de l'année.
Mais c'est bien l'Inde qui est dans une situation préoccupante. Sa croissance a été de 4,4% au deuxième trimestre, soit le pire score enregistré depuis l'éclatement de la crise financière. Pire, BNP Paribas prévoit une croissance de 3,7% pour la période 2013-2014, un niveau qu'elle n'avait pas atteint depuis 1991, année où le FMI avait été appelé à la rescousse. De peur que les capitaux quittent le pays, New Dehli a pris des mesures en taxant l'importation d'or, tout en diminuant le plafond autorisé de sortie de capitaux pour les entreprises et les particuliers. Il y a donc urgence.
Pourquoi les émergents craquent-il maintenant ?
Alors que la zone euro, sortie de récession, semble voir la lumière au bout du tunnel, les pays émergents, Inde, Brésil et Turquie en tête, sont en prise avec un plongeon de leur monnaie, conséquence du changement annoncé de la politique monétaire américaine. La Fed (banque centrale des Etats-Unis) inonde effectivement depuis 2008 le système financier de liquidités, tout en maintenant des taux d'intérêt très bas niveau. Depuis septembre dernier, c'est 85 milliards de dollars qui sont injectés chaque mois pour soutenir l'activité économique.
Cet argent disponible à moindre frais s'est en grande partie orienté vers les marchés émergents, où les taux d'intérêt plus élevés et la croissance plus rapide promettaient des rendements juteux. Mais avec la reprise économique aux Etats-Unis, la Réserve fédérale se prépare à lever le pied et les investisseurs reviennent vers la première économie mondiale. Les taux d'intérêt devraient offrir des rendements intéressants.
Le sujet "est porteur de divisions, car les effets négatifs sont déjà clairement visibles sur les monnaies des pays émergents", prévient Chris Weafer, de la société de conseil Macro Advisory. Pour l'économiste, les pays concernés vont demander à la Fed de réduire son soutien à l'économie "en prenant en compte les dégâts collatéraux autant que ses seuls intérêts nationaux". En clair: ne fermez pas trop vite les vannes, car le choc pourrait être brutal.
La politique de la Fed reste assez illisible sur le sujet, surtout que l'institution n'a jamais donné de calendrier. Lors de la dernière rencontre des ministres des Finances du G20 fin juillet, le Brésil et la Russie avaient demandé aux Etats-Unis une communication claire sur le sujet, un message repris dans le communiqué final de la rencontre. Une requête restée sans suite jusqu'à présent.
"It's the economy, stupid!"
La crise des pays émergents "sera une ombre portée" sur le sommet, constate une source diplomatique française. Si elle s'amplifie, "il faudra une discussion sur la réalité de la fin de la politique monétaire accommodante des Etats-Unis". Côté américain, on souligne que si la banque centrale américaine change de politique, c'est que la première économie mondiale repart, ce qui constitue en soi une bonne nouvelle pour la planète.
Mais quoiqu'il arrive, "leur émergence est irréversible", tempère Lionel Zinsou, président du fonds d'investissement PAI Partners dans Le Monde. "Il ne s'agit pas d'une rechute dans la pauvreté, mais de symptômes de problèmes cycliques que connaissent les économies complexes". Avec quel remède? Dévaluer la monnaie jusqu'à un niveau qui favorisera les exportations, selon la même source. "C'est désagréable et perturbateur, mais inévitable".
Le sommet du G20 sera surtout l'occasion de s'en prendre aux grands pays, qui modifient leurs politiques monétaires au détriment des moins puissants. Les échanges s'annoncent d'autant plus tendus entre émergents et occidentaux que l'accélération de la crise syrienne a intensifié la tempête sur les marchés. En période d'instabilité, les investisseurs préfèrent rapatrier leurs actifs en lieu sûr, et la perspective d'une flambée des cours du pétrole risque de fragiliser encore davantage certains pays.
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