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lundi 8 octobre 2018

Le flou du budget italien inquiète les marchés


4 octobre 2018

Le flou du budget italien inquiète les marchés

Les coûts d'emprunt de l'Italie s'envolent. Les investisseurs et Bruxelles doutent des prévisions de Rome

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Le document se présente comme un texte d'environ 150 pages, censé fixer le cadre du budget italien pour 2019, et les objectifs poursuivis pour les deux années suivantes. Enfin, il devrait se présenter ainsi, parce que, à dire vrai, personne ne l'a encore vu. On parle de versions concurrentes rédigées par des responsables politiques plus que par les fonctionnaires du Trésor, dans lesquelles les principaux chiffres restent en blanc, ou sont écrits au crayon à papier…
Au soir du jeudi 27  septembre, Luigi Di Maio et les autres ministres issus du Mouvement 5 étoiles (M5S, " antisystème ") étaient apparus sur le balcon du palais Chigi, siège de la présidence du conseil, pour célébrer l'accord noué avec leur partenaire de -coalition, la Ligue (extrême droite), et le ministre de l'économie, Giovanni Tria. Le " budget du peuple ", qui, " pour la première fois de l'histoire ", était " au service des Italiens ", semblait ficelé.
Depuis, les réunions au sommet se multiplient et des informations contradictoires circulent, dans un désordre absolu. Ainsi, on a appris, mardi 2  octobre, que le revenu de citoyenneté, pierre angulaire du programme du M5S, verrait son montant divisé par deux pour qui est propriétaire de sa résidence principale, tandis qu'il serait réservé aux Italiens " résidents -depuis au moins dix ans " et refusé " aux Roms et aux migrants " – deux limites peu conciliables avec les normes européennes…
Mardi soir, Luigi Di Maio affirmait que la version finale du texte serait présentée mercredi au Parlement. Il critique ceux qui contestent le document avant de l'avoir lu, tout en se montrant évasif sur le détail du projet. Les grandes lignes ? Elles " ne bougeront pas d'un millimètre ", ne cesse de répéter le vice-premier ministre, dirigeant du M5S. Le déficit atteindra les 2,4  % du produit intérieur brut (PIB) en  2019, pour une croissance escomptée de 1,6  %. Les années suivantes, le déficit pourrait baisser, surtout sous l'effet d'une réduction des dépenses et de la croissance économique retrouvée, promet le gouvernement. Selon le quotidien Corriere della Sera, il pourrait s'engager à le contenir à 2,2  % en  2020 et à 2  % en  2021.
Signes de ralentissementCes engagements semblent néanmoins tenir du vœu pieux, eu égard au nombre de dépenses nouvelles déjà annoncées. " Sans réformes structurelles substan-tielles, une accélération de la croissance est peu crédible ", juge -Lorenzo Codogno, ex-économiste en chef du Trésor italien, aujourd'hui professeur à la London School of Economics. D'autant que l'économie de la Péninsule, qui montre des signes de ralentissement ces dernières semaines, est par ailleurs affaiblie structurellement par le vieillissement de la population. D'après la Commission européenne, la hausse du PIB ne devrait donc guère dépasser 1,1  % en  2019.
Aussi paraît-il très difficile, sans réelle inflexion, que le -scep-ticisme général s'estompe, à Bruxelles comme dans les milieux financiers. Mardi, le " spread " – l'écart entre les taux souverains à dix ans italiens et allemands, très suivi – a franchi la barre symbolique des 300  points, le taux des obligations italiennes (3,44  %) atteignant son niveau le plus haut depuis 2014. Une hausse que le M5S impute à une manipulation ourdie par l'Europe, et qu'il refuse officiellement de prendre en compte, au nom de la souveraineté nationale. Reste que si la hausse du spread s'installe, emprunter coûtera plus cher à l'Etat, mais aussi aux ménages, dont beaucoup sont endettés à taux -variable, et aux entreprises, ce qui fragiliserait d'autant l'activité.
Peu probable que la dette reflueCela rend les investisseurs nerveux. " L'amateurisme avec lequel la coalition gère ses prévisions de déficit public devrait se retrouver dans la préparation du budget 2019 et son examen au Parlement, ce qui devrait engendrer de nouveaux soubresauts sur les marchés ",résume Wolfango Piccoli, du cabinet Teneo Intelligence.
Amateurisme… et contradictions. Mardi matin, le président de la commission des affaires budgétaires de la Chambre des députés, Claudio Borghi, a jeté de l'huile sur le feu, en se déclarant " hyper-convaincu que l'Italie pourrait résoudre une grande partie de ses problèmes si elle avait sa propre monnaie ". Ses propos, destinés à son électorat, ont affolé les marchés. Quelques heures plus tard, il a tempéré ses déclarations, affirmant qu'il n'était " pas fou " et que le gouvernement n'avait " pas l'intention de quitter la zone euro ".
Dans tous les cas, il semble peu probable que la dette publique, qui dépasse les 130  % du PIB, puisse refluer ces prochaines années, comme l'assure le gouvernement. Le détail du budget permettra de mesurer la crédibilité de la trajectoire promise. Les économistes font déjà tourner leurs modèles. En se fondant sur une croissance de 1,1  % jusqu'en  2021, une inflation de 1,3  % et un déficit public supérieur de 0,5  % à celui annoncé par la coalition, les équipes de Capital Economics estiment que la dette publique devrait, au bas mot, grimper à 135  % du PIB en  2021.
Les agences de notation commencent aussi à émettre des signaux préoccupants. Mardi 2  octobre, la berlinoise Scope Ratings a fait savoir que la cible de 2,4  % pour le déficit mettait la note du pays en danger. De leur côté, les américaines Standard &  Poor's et Moody's rendront leur verdict fin octobre. Une dégradation de la note italienne par une ou plusieurs des agences la ferait tomber à un cran seulement de la catégorie spéculative, provoquant une nouvelle hausse du spread. Si la note chutait d'un cran encore, certains investisseurs, comme les assureurs, seraient contraints d'interrompre leurs achats de dette italienne. Au risque de déclencher une dangereuse spirale spéculative.
Jérôme Gautheret et Marie Charrel (À paris)
© Le Monde


La Commission européenne maintient la pression sur Rome

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Les invectives fusent ; la Commission de Bruxelles reste ferme. " Nous devons éviter que l'Italie réclame des conditions spéciales qui conduiraient à la fin de l'euro si elles étaient concédées à tous ", avait prévenu Jean-Claude Juncker, le président de l'institution, lundi 1er  octobre, quatre jours après l'annonce d'un accord entre le Mouvement 5 étoiles (M5S, " antisystème ") et la Ligue (extrême droite) visant à laisser filer le déficit public transalpin à 2,4  % du produit intérieur brut (PIB) entre 2019 et 2021 – loin des 0,8  % espérés par Bruxelles dès l'an prochain. La réponse du vice-premier ministre Matteo Salvini n'a pas tardé. " Je parle avec des personnes sobres qui ne font pas de comparaisons ne tenant pas la route ", a-t-il répliqué, mardi, attaquant M. Juncker sur son prétendu penchant pour l'alcool.
La Commission sait qu'elle fait face à un gros problème avec l'Italie, troisième économie de la zone euro, pays fondateur de l'Union et dont le gouvernement populiste donne le sentiment, non seulement de ne pas vouloir respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais aussi de chercher le conflit avec " Bruxelles " et " les marchés ", représentants patentés du " système ".
Pas question cependant d'adopter une ligne conciliante. Le commissaire européen à l'économie, Pierre Moscovici, avait déclaré dès vendredi qu'en l'état le projet de budget italien paraissait " hors des clous ". Son collègue letton Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission, a renchéri, mardi, expliquant que l'exécutif européen restait " ouvert à un dialogue " avec l'Italie, tout en soulignant que " ce que nous observons pour le moment ne semble pas être compatible avec le pacte de stabilité et de croissance ".
En mettant la pression sur Rome, afin que son projet de budget 2019 soit révisé, la Commission poursuit au moins deux objectifs, et envoie autant de messages aux acteurs financiers. Elle tient à faire respecter le pacte de stabilité et de croissance, une loi commune très contestée, mais encore considérée comme le seul outil de convergence des économies de la zone euro. Elle veut en sus préserver la stabilité de ladite zone, qui pourrait pâtir d'une perte de confiance des investisseurs dans la dette italienne.
Faire entendre raison à un gouver-nement qui la défie, sans provoquer de crise politique avec Rome et en empêchant une crise financière… Pour la Commission Juncker, pourtant rompue aux tempêtes, le pilotage du cas " Italie " s'annonce excessivement délicat.
Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)

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