Jair Bolsonaro, le " Trump tropical ", s'est abattu sur la démocratie brésilienne. Un vent de dégagisme d'une puissance inouïe a provoqué, dimanche 7 octobre au soir, une onde de choc dès ce premier tour d'une présidentielle qu'on annonçait pourtant plus mesuré. Avec 46 % des voix, le candidat d'extrême droite et sa petite formation ont balayé en un tournemain tous leurs adversaires, à l'exception notable du candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche), Fernando Haddad. L'ancien maire de Sao Paulo, désigné il y a trois semaines à peine par l'ex-président Lula aujourd'hui incarcéré, est arrivé en deuxième position avec 29 % des suf-frages. La vague a également déferlé sur le Parlement, engloutissant les caciques du vieux monde politique brésilien. Qu'on en juge : Geraldo Alckmin, l'homme fort de Sao Paulo, Dilma Rousseff, l'ancienne présidente, Marina Silva, l'ex-ministre écologiste, et tant d'autres ont été balayés.
Le candidat vainqueur n'a même pas eu besoin d'apparaître en public ou devant la presse, comme cela avait été annoncé. Sur son compte Facebook, il a annoncé, dans la soirée, face caméra, qu'il allait
" unir le peuple ", qu'
" unis, les Brésiliens deviendront une grande nation " et que
" personne n'avait le potentiel qu'ils avaient ". Avec sa femme, -Michelle, à ses côtés, qui traduisait ses mots en langage des sourds, il a émis des doutes, comme à son habitude, sur
" le système de vote - électronique -
qui a eu des problèmes " :
" Vous pouvez être sûrs que si ces problèmes ne s'étaient pas produits, nous aurions décidé du nom du futur président de la République dès aujourd'hui. " Et puis ceci :
" Je suis certain que nous sortirons victorieux. Il existe désormais deux voies : notre voie de prospérité, de liberté, de la famille et de Dieu, ou la voie du Venezuela… "
De quoi faire exulter ses partisans, rassemblés une bonne partie de la nuit à Rio de Janeiro, devant l'entrée de sa résidence du quartier chic de Barra de Tijuca.
" Il parle la langue du peuple ", s'écrie Joao, la vingtaine, vendeur
dans le quartier.
" Il est le candidat de la sécurité, de l'honnêteté et de la famille, les trois choses les plus importantes ", lâche Sergio Leite, électricien de 43 ans, voisin de quartier,
" sans religion " et électeur de Lula en 2002 et 2006.
" Je ne sais pas s'il est le meilleur, mais c'est le seul, en tout cas, pour -lequel on peut voter. "
A l'Hôtel Pestana, à Sao Paulo, où s'est retrouvée l'équipe de campagne de Fernando Haddad, l'annonce d'un second tour a été accueillie avec un soulagement aux allures de demi-victoire. En début de soirée, les rumeurs donnaient Jair Bolsonaro vainqueur avec 56 % des voix. L'électorat du Nordeste, décisif, a offert à l'héritier de Lula une place au second tour. Bien qu'offrant un avantage massif au militaire, le résultat définitif a été accompagné de cris de joie.
" On a été paniqués, raconte Leonardo Martins, militant du PT, sous le coup de l'émotion.
Un second tour nous donne de l'espoir. Il y a une résistance au Brésil. On peut gagner ! "
" Contre le fascisme "Freinant un enthousiasme inapproprié au regard du raz-de-marée de l'extrême droite, Fernando Haddad a dit
" prendre conscience du défi "." Ce second tour est une opportunité inestimable ", a-t-il poursuivi, appelant
" toutes les forces démocratiques du Brésil à s'unir "en remerciant le parti, sa famille et Lula, son mentor.
Le camp de la gauche mise sur l'habileté rhétorique de Fernando Haddad face à un candidat connu pour son agressivité, ses -dérapages et le manque de consistance de son programme. L'ancien ministre de Lula, poli et mesuré, pense reprendre l'avantage lors de débats
" les yeux dans les yeux " que Jair Bolsonaro a évités jusqu'ici, du fait de son hospitalisation après son agression au couteau, le 6 septembre.
Le représentant du PT peut aussi compter sur l'appui de Ciro Gomes, candidat de -centre gauche pour le Parti démocratique travailliste (PDT, centre gauche), crédité de 12,5 % des voix.
" Ele nao - Pas lui -
, sans aucun doute ", a expliqué l'ex-gouverneur du Céara, Etat du Nordeste, quelques minutes après l'annonce des résultats, faisant référence au mot-clé #EleNao employé lors des grandes manifestations de femmes contre Jair Bolsonaro.
" L'histoire de ma vie est marquée par la défense de la démocratie, contre le fascisme ", a-t-il ajouté.
Mais il faudra plus qu'une poignée de voix supplémentaires pour permettre au poulain de Lula, lors du second tour, prévu le 28 octobre, de vaincre le représentant d'une nouvelle droite, extrême, militaire, avocate des " valeurs " et portée par la haine du PT et de son leader emprisonné, Lula. Au moment d'aller voter, dans le quartier de Mœma, à Sao Paulo, Fernando Haddad n'a pu ignorer les bruits de casseroles qui tentaient de faire taire la petite foule venue l'acclamer.
" Allez maintenant, les gens du PT, vous allez devoir travailler ", a lancé, narquois, Ricardo Requena, électeur de Bolsonaro, à leur adresse.
Le triomphe de Jair Bolsonaro, même s'il ne l'emporte pas au premier tour, est réel. Son ascension, vertigineuse, irrationnelle, reflète à la fois ce vote
saco cheio (" ras-le-bol ") d'un pays exaspéré par ses élites, fatigué par douze années de pouvoir du PT, et nostalgique d'un passé fantasmé. Presque malgré lui, le sexagénaire, député insignifiant pendant vingt-sept ans, considéré -jusqu'ici comme un élément du " bas clergé " au Congrès, a su séduire, incarnant aux yeux des électeurs une figure de l'" antisystème " en costume de militaire.
Beaucoup ignorent l'essentiel du programme de l'ex-capitaine d'infanterie. Et la plupart négligent son profil phallocrate, raciste et homophobe, pour ne voir en lui que le représentant d'un ordre et d'une autorité perdus. Bien qu'attachée à la démocratie, une partie du pays se plaît ainsi à encenser la dictature militaire (1964-1985) à l'instar de son nouveau champion.
" A cette époque, le pays était prospère et on pouvait marcher tranquillement dans les rues. Lorsqu'il y avait des bandits, la police les arrêtait ", assure Ademar Bueno Jr, retraité de la métallurgie, à Sao Bernardo do Campo, ville ouvrière de la périphérie de Sao Paulo, hier fief de Lula et de la gauche.
L'" utopie " de la dictature
" Il y a un désir de voir la dictature comme une utopie qui améliorerait la sécurité, l'économie, la stabilité… tout ce qui va mal aujourd'hui. (…)
Les Brésiliens ont tendance à voir leur gouvernant comme un père. Quelqu'un qui aurait de meilleures idées qui déciderait à leur place, qui exercerait leurs droits ", observe l'historienne Lilia Schwarcz, interrogée par le site
El Pais Brasil, le 7 octobre.
Sauveur autoproclamé d'une patrie en danger, Jair Bolsonaro est né sur les cendres fumantes d'une crise économique historique et d'une soif d'éthique provoquée par l'opération anticorruption " Lava Jato " (" lavage express "). Fatigués par l'oligarchie au pouvoir depuis des décennies, ne croyant plus aux institutions, les Brésiliens ont choisi une solution radicale. Un homme aux accents autoritaires, d'abord considéré comme un personnage effrayant par les milieux d'affaires avant d'apparaître, progressivement, comme un futur chef d'Etat acceptable. Une dédiabolisation favorisée par les différents candidats qui, du représentant de la droite, Geraldo Alckmin, à l'écologiste Marina Silva, ont mis dos à dos Bolsonaro et le PT. Deux candidatures présentées comme deux " extrêmes ", deux " aventures " aussi dangereuses l'une que l'autre. Un face-à-face qui, dans un pays où le désir de chan-gement était perceptible à chaque coin de rue, a largement profité à Jair Bolsonaro.
Nicolas Bourcier, et Claire Gatinois
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