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jeudi 18 octobre 2018

Climat : une dernière chance pour la planète





9 octobre 2018.

Climat : une dernière chance pour la planète

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 Les experts internationaux du climat ont présenté, lundi 8 octobre, leur nouveau rapport sur l'évolution du réchauffement de la Terre
 Les scientifiques estiment qu'il est encore possible de contenir la hausse moyenne des températures sous la barre fatidique de 1,5 °C  Mais cet objectif ne sera atteint que si des mesures draconiennes de réduction des émissions de CO2 sont mises en place par tous les Etats d'ici à 2030  Si la hausse devait être supérieure à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle, l'impact écologique et économique serait dramatiquement démultiplié
" Ne pas dépasser 1,5 °C n'est pas impossible, mais cela demanderait des transitions sans précédent ", résume le texte
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© Le Monde





Climat : le rapport de la dernière chance

Les experts prévoient qu'au rythme de réchauffement actuel le seuil de 1,5 °C sera franchi entre 2030 et 2052

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Y croire encore, envers et contre tout. Et surtout, agir. Même si la bataille est très mal engagée… Un rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), présenté lundi 8  octobre au terme d'une semaine de discussions tendues entre les représentants de 195 Etats, à Incheon (Corée du Sud), entretient l'espoir ténu qu'il reste une chance de limiter le réchauffement planétaire à 1,5  °C par rapport à la période préindustrielle.
Cela, alors même que tous les voyants sont au rouge : une concentration atmosphérique de gaz à effet de serre sans précédent depuis au moins 800 000 ans, des records de température battus année après année, des vagues de chaleur, des pluies diluviennes et des ouragans dévastateurs attestant que le dérèglement climatique est à l'œuvre. Mais cet ultime espoir ne sera préservé, montre le rapport, qu'au prix d'un sursaut international dans la lutte contre le réchauffement.
L'accord de Paris, scellé en décembre  2015 lors de la COP21, prévoit de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète " nettement en dessous de 2  °C par rapport aux niveaux préindustriels ". A la demande des pays les plus vulnérables, comme les nations insulaires menacées de submersion, a été ajoutée la nécessité de poursuivre " l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5  °C ". Les Etats ont alors commandé au GIEC un rapport spécial sur " les impacts d'un réchauffement global de 1,5  °C et les trajectoires d'émissions mondiales de gaz à effet de serre associées ".
Négociations " rugueuses "Ce rapport de 400 pages, établi par près d'une centaine d'auteurs de quarante pays sur la base de plus de 6 000 études scientifiques, donne lieu à un " résumé à l'intention des décideurs " d'une vingtaine de pages, destiné à éclairer les gouvernements.
Cette synthèse, qui doit être approuvée ligne à ligne par les représentants des Etats, a été adoptée, à l'unanimité, mais à l'issue de négociations qualifiées par un observateur de " rugueuses ", notamment avec la délégation des Etats-Unis et avec celle de l'Arabie saoudite. " Des reformulations ont été faites, des précisions apportées, mais il y a eu finalement consensus sur les conclusions du rapport ", indique Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe de travail sur les sciences du climat du GIEC.
" Ce rapport - du GIEC - délivre quatre grands messages, résume-t-elle. Le changement climatique affecte déjà les populations, les écosystèmes et les moyens de subsistance. Chaque demi-degré de plus compte et il y a des avantages indéniables à limiter le réchauffement à 1,5  °C plutôt que 2  °C. Ne pas dépasser 1,5  °C n'est pas impossible, mais cela demanderait des transitions sans précédent dans tous les aspects de la société. Enfin, contenir le réchauffement à 1,5  °C peut aller de pair avec la réalisation des objectifs du développement durable, pour améliorer la qualité de vie de tous. "
Le tableau brossé par le GIEC est sans appel. Depuis l'ère préindustrielle, la température planétaire a déjà augmenté d'environ 1  °C. Il ne reste donc que quelques fractions de degré avant d'atteindre le seuil fatidique de 1,5  °C. Selon les projections des chercheurs, au rythme de réchauffement actuel, ce seuil sera franchi entre 2030 et 2052. Les travaux antérieurs du GIEC indiquaient que, sans inflexion de la courbe des émissions de gaz à effet de serre, la surchauffe pourrait avoisiner 5,5  °C à la fin du siècle.
" Il n'existe pas de trajectoire unique et définitive pour limiter le réchauffement à 1,5  °C ", préviennent les experts. Le chemin pour y parvenir est étroit. Deux scénarios principaux sont envisagés. Dans le premier, la hausse de la température est stabilisée à 1,5  °C ou juste en dessous. Dans le second, qui apparaît hasardeux, ce plafond est dépassé vers le milieu du siècle pendant quelques décennies, et redescend à 1,5  °C avant 2100.
Mais il faudrait alors, pour compenser ce dépassement temporaire, recourir ensuite à des " émissions négatives ". En clair, extraire du CO2 de l'atmosphère, par exemple en plantant d'immenses forêts absorbant du carbone, ou en faisant pousser des cultures ensuite brûlées dans des centrales, avec des systèmes de captage et de stockage dans le sous-sol du dioxyde de carbone. Or ces techniques ne sont pas éprouvées à grande échelle et pourraient avoir des conséquences délétères pour les écosystèmes et les ressources naturelles.
Sortie accélérée du charbonL'un des points forts du rapport est de mettre en évidence la différence d'impacts entre un monde plus chaud de 1,5  °C et de 2 °C, même si ces impacts seront sévères dans l'une et l'autre hypothèses. Ainsi, dans le premier cas, la hausse du niveau des mers à la fin du siècle sera comprise entre 26  cm et 77  cm, soit 10  cm de moins que dans le second cas, ce qui réduira de plus de 10  millions le nombre de personnes exposées à ce risque. Une fonte complète de la banquise arctique en été surviendra une fois par siècle dans le premier cas, une fois par décennie dans le second.
Dans la plupart des régions habitées, l'intensité des vagues de chaleur grimpera de 3  °C dans un cas, de 4  °C dans l'autre. Les précipitations torrentielles seront encore plus importantes avec 2  °C, en particulier dans les hautes latitudes de l'hémisphère Nord, en Amérique du Nord et en Asie.
Deux fois plus d'animaux vertébrés (8  %), trois fois plus d'insectes (18  %) et deux fois plus de plantes (16  %) perdront plus de la moitié de leur aire naturelle de vie dans le second scénario que dans le premier. Entre 70  % et 90  % des récifs coralliens risquent d'avoir disparu à la fin du siècle dans un cas, mais 99  % dans l'autre.
Les pêcheries verront leurs prises annuelles chuter de 1,5  million de tonnes dans le premier cas, de plus de 3  millions de tonnes dans le second. Les grandes cultures céréalières, dont dépend la subsistance de milliards d'individus, seront elles aussi moins affectées par un demi-degré de moins, notamment en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-Est et en Amérique Centrale et du Sud. Et plusieurs centaines de millions de personnes seront moins menacées de sombrer dans la pauvreté.
Pour éviter le pire, calculent les chercheurs, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient commencer à décroître " bien avant 2030 ", en baissant d'ici là de 45  % par rapport au niveau de 2010. Un gigantesque défi, sachant que ces émissions, après deux années de stagnation, sont reparties à la hausse en  2017 et, selon les premières données, atteindront un nouveau record cette année. Une sortie accélérée des énergies fossiles, à commencer par le charbon, est donc indispensable.
" Big bang écologique "" Nous sommes à la croisée des chemins, souligne Valérie Masson-Delmotte. Des mondes à + 1,5  °C ou + 2  °C seront très différents. Contenir le réchauffement exige des actions très ambitieuses dans tous les domaines – énergie, industrie, gestion des terres, bâtiments, transports, urbanisme –, ce qui signifie un changement radical de comportements et de modes de vie. Si nous n'agissons pas d'ici à 2030, la porte se refermera. "
Voilà pourquoi, de son côté, le Fonds mondial pour la nature (WWF) appelle à " un big bang écologique, pour les décideurs et pour l'humanité tout entière ". Directrice de Greenpeace international, Jennifer Morgan ajoute : " Les gouvernements ont demandé ce rapport. Ils doivent agir sur cette base. "
Ce document viendra nourrir les travaux de la COP  24 qui se tiendra du 3 au 14  décembre en Pologne et qui devra définir le processus de révision des engagements de réduction de leurs émissions pris par les Etats lors de la COP  21 de Paris. Ces engagements – à supposer qu'ils soient tenus – conduisent pour l'instant la planète vers un réchauffement de l'ordre de 3 °C à la fin du siècle.
Pierre Le Hir
© Le Monde



9 octobre 2018

" Le seuil de 1,5 °C peut être un point d'ancrage pour les négociations "

Selon l'universitaire Stefan Aykut, les conclusions du GIEC pourraient servir de levier politique aux pays les plus vulnérables

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Le sociologue Stefan Aykut, professeur assistant à l'université de Hambourg, est l'auteur, avec Amy Dahan, d'un ouvrage de référence sur les négociations climatiques (Gouverner le climat ?, Presses de Sciences Po, 2015).


Pourquoi un rapport sur le seuil de 1,5°C a-t-il été commandé au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ?

Pour comprendre, il faut se situer dans le sillage des négociations de 2009, à Copenhague, qui n'avaient pas abouti. Les pays y ont quand même adopté un objectif important : rester en deçà de 2°C d'élévation de la température moyenne, par rapport à l'ère préindustrielle. Cette limite était le fruit d'un compromis politique, mais elle avait aussi un fond scientifique. Au-delà de ce seuil, les risques d'un réchauffement dangereux et incontrôlable augmentent significativement. Or depuis 2009, les recherches sur les impacts ont beaucoup progressé, et on sait que, même à 2°C, on pourrait voir des dommages irréparables – notamment en raison de l'élévation du niveau des mers. Les petits pays insulaires et les pays du Sud les plus vulnérables ont donc durci leur position depuis, et se sont retrouvés autour d'un seuil plus ambitieux, de 1,5°C.
Ces discussions ont pris de l'ampleur avant le sommet de Paris en  2015. Beaucoup de pays du Nord pensaient que cette alliance de pays du Sud autour d'un seuil de 1,5°C n'était qu'un outil de négociation, une monnaie d'échange pour obtenir plus de contreparties. Mais il s'est avéré que ce chiffre avait une valeur symbolique très importante pour ces pays. C'est devenu une ligne rouge et, de fait, ce chiffre est présent dans l'Accord de Paris : les 2°C sont une limite légalement contraignante, et les 1,5°C, la limite à laquelle on aspire. La commande du rapport sur les 1,5°C résulte de ces discussions. Certains délégués disaient " rester sous 1,5°C, c'est impossible ". D'autres affirmaient le contraire. On a donc décidé de demander l'avis du GIEC sur la question. Cela a donné lieu à des situations assez ubuesques : le délégué de l'Arabie saoudite – opposée aux 1,5°C – s'est fendu d'une défense du GIEC en expliquant que c'était un objectif politique, et qu'on ne pouvait demander aux scientifiques un rapport sur un tel objectif !


Etait-il réaliste de fixer un seuil aussi bas, sachant que nous sommes déjà à environ 1°C de réchauffement ?

Toute l'ironie est que les 2°C, quand on les a fixés comme objectif en  2009, paraissaient déjà très difficiles à atteindre. Entre 2009 et 2015, c'est devenu une perspective encore plus improbable pour deux raisons. La première est que les émissions ont crû plus vite qu'on ne l'avait anticipé. La seconde est que les nouvelles connaissances sur les effets amplificateurs du système climatique - des effets provoqués par le réchauffement, accentuant en retour le réchauffement - indiquent que le changement climatique devrait se produire encore plus vite que prévu. Ainsi, devant un objectif plus difficile à atteindre, on n'a pas assoupli cet objectif, on l'a au contraire renforcé. C'est une logique politique qui s'est imposée.


N'est-il pas inquiétant de constater que c'est une logique purement politique qui semble l'emporter dans les négociations sur le climat ?

On peut effectivement penser que c'est inquiétant parce que l'on constate que ces négociations ont une logique autonome, et qu'elles fonctionnent comme une " fabrique de lenteur ". Chaque désaccord est susceptible de créer un nouveau processus, comme on le voit avec le rapport qui vient d'être adopté. Tout cela prend énormément de temps, pendant lequel le réchauffement ne s'arrête pas. Mais pour les pays les plus vulnérables, ce seuil de 1,5°C pourrait avoir un intérêt bien réel : ce peut être un point d'ancrage pour les négociations à venir, notamment en termes financiers. Le fait que cette limite ait été inscrite dans l'Accord de Paris comme un seuil déjà dangereux pourrait être utilisé pour obtenir plus de compensations. De même, dans le règlement des litiges qui vont se multiplier autour des dégâts du réchauffement, les juges pourront dans l'avenir rendre des décisions en considérant que, déjà en  2015, un réchauffement de 1,5°C était considéré comme une limite à ne pas dépasser.
propos recueillis par, Stéphane Foucart
© Le Monde






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