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dimanche 29 mars 2020

Jean-Luc Mélenchon : « Je veux poser la question du déconfinement maintenant - le 29.03.2020


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<<Jean-Luc Mélenchon : « Je veux poser la question du déconfinement maintenant >>

Le leader Insoumis revient pour l’Obs sur les dégâts de la marchandisation de la santé, la communication guerrière du gouvernement et les leçons à tirer de la crise.


Face à la crise sanitaire le leader de la France Insoumise a d’abord appelé à « la « solidarité » et à la « cohésion », mais il critique la rhétorique guerrière adoptée par l’exécutif et dénonce l’effet d’une « marchandisation de la santé » sur l’hôpital public. « On découvre avec horreur que l’Europe est presque aussi impuissante face au coronavirus qu’elle l’a été au XIVe siècle face à la peste noire », soutient-il. Considérant que le confinement n’est pas une « solution durable », il déplore que le gouvernement n’ait pas évalué « ce qui nous permettrait de le lever ». A l’issue de la crise, l’insoumis ne croit pas à l’inflexion politique promise par le chef de l’Etat à : « Il ne faut pas rêver. ’Le monde d’après’ à la sauce Macron sera un nouveau choc néolibéral », dit-il. Interview.
En avril 2017, pendant la dernière campagne présidentielle, vous aviez alerté sur un prochain « krach sanitaire ». Pourquoi ?
J’avais à l’esprit les innombrables alertes entendues sur les parcours de manifs sous Hollande. Le personnel hospitalier était déjà en bataille, il criait, il suffoquait. Et pourtant les élites dirigeantes étaient déjà dans le « cause toujours, tu m’intéresses ». Ceux-là comptaient sur l’épuisement. Mais dans l’hôpital public, l’épuisement est un luxe inaccessible. Les soignants ne pouvaient pas renoncer. Ils avaient sous les yeux le danger qui venait. J’avais beaucoup parlé avec eux. Non seulement ils étaient en souffrance professionnelle mais aussi sociale. Les importants les regardaient de haut. Bref je voyais bien que la santé était un sujet relégué. Pourtant il concentrait déjà toutes les tares des politiques néolibérales. Depuis des années déjà, les gouvernants pensaient que la santé devait se traiter comme un service marchand, soumis aux normes de rentabilité financière. Souvenez-vous de la T2A, la tarification à l’acte, cette absurdité. Et puis, dans la campagne de 2017, j’avais à cœur aussi de montrer comme se concrétiserait la crise écologique qui arrivait. Des amis épidémiologistes m’avaient alerté sur les changements sanitaires dus au changement climatique. Par exemple la migration vers le nord du Chikungunya ou de la Dengue ou les conséquences possibles de la fonte du permafrost qui pourrait libérer des virus inconnus. Et ainsi de suite.
C’est cette « marchandisation » de la santé qui explique selon vous la situation actuelle de l’hôpital public ?
Oui, les gouvernements ont sans aucun scrupule d’années en années diminué les lits, réduit le personnel pour faire baisser les dépenses publiques de santé. Il comptait que le secteur privé prendrait la relève. La méthode néolibérale est dangereuse dans la santé. On le voit bien à présent. Prenons l’exemple des tests. Ils sont produits dans très peu d’endroits parce qu’en temps ordinaire, il n’y a pas besoin de quantités extraordinaires. Quand la crise se déclenche, le marché fonctionne, le prix monte. Et les premiers servis sont ceux qui peuvent en acheter des grandes quantités. Ceux qui ne planifient rien comme le gouvernant français découvrent à présent avec stupeur que le stock de tests disponible dans une entreprise de l’Aveyron a été racheté par les Etats Unis. Ils ont d’ailleurs également acheté le stock disponible aux Pays-Bas. Cette même mésaventure va arriver avec les bouteilles d’oxygène médical. Tout est désormais de cet acabit. Il y a 30 ans, 80 % des médicaments étaient produits en Europe, maintenant c’est en Chine. Il n’y a plus aucune molécule de paracétamol produite en Europe. Les méthodes néolibérales ne valent rien pour la santé. Je ne dis pas ça par idéologie mais je le dis en observant les conséquences concrètes de la marchandisation de la santé. La crise que nous vivons ne fait que commencer. On découvre avec horreur que l’Europe est presque aussi impuissante face au coronavirus qu’elle l’a été au XIVe siècle face à la peste noire. Et on continue à sous-estimer la crise : elle ne s’éteindra pas tant qu’il restera un foyer de contamination dans le monde. Or nos voisins, le Maghreb et l’Afrique noire, entrent dans la pandémie et nous sommes en incapacité de les aider.
Emmanuel Macron considère qu’on est en « guerre », vous aussi ?
Non, pas du tout. Je trouve ce vocabulaire absurde. Il a une fonction métaphorique qu’on peut juger utile : inciter au sentiment d’une mobilisation absolue. Mais le vocabulaire guerrier donne l’impression de cibler un ennemi davantage que d’organiser une action méthodique. C’est risible. Evidemment cet ennemi ne sait pas qu’il est notre ennemi. Le coronavirus n’est pas au courant de notre existence. La seule chose qu’on a à faire est de limiter la contamination et de soigner les malades. Ce n’est pas d’agressivité dont on a besoin mais d’empathie et de planification des moyens matériels concrets et quantifiables pour agir. Le vocabulaire de la guerre est essentiellement un truc de communication. Il est destiné à suggérer un rôle héroïque du chef de l’Etat. Il a aussi pour fonction d’obliger au « silence dans les rangs ». Le vocabulaire guerrier sert à disqualifier tout point de vue hétérodoxe. Prenons la discussion autour des thèses du Professeur Raoult. Elle aurait dû se dérouler entre scientifiques, autour d’arguments scientifiques. Elle a vite tourné aux invectives contre lui et contre tous ceux qui montraient un intérêt ou de l’intérêt respectueux comme c’est mon cas. Depuis le début, je dis que je n’ai aucune compétence scientifique pour savoir si son médicament est bon ou pas. Mais dire que je n’étais pas d’accord avec la manière dont on traitait le Pr Raoult a été vu comme un soutien et jugé irresponsable ! Cette volonté d’empêcher toute discussion va continuer et même se durcir, car les gouvernants ont peur que leur responsabilité pénale soit mise en cause. Je redoute l’évolution de ce régime qui a déjà manifesté de si lourdes tendances autoritaires. La liberté de critique ou de discussion est déjà presque égale à zéro, la répression se banalise avec les mêmes abus dans les quartiers populaires. Le confinement forcé est nécessaire mais ça ne doit pas nous faire oublier que c’est la prison volontaire. Les Français se sont enfermés et se surveillent entre eux. Quand le Président dit que « le monde d’après » ne sera plus le même, il ne faut pas rêver. « Le monde d’après » à la sauce Macron sera un nouveau choc néolibéral. Souvenons-nous de Nicolas Sarkozy après la crise de 2008. Il avait tenu des propos limites gauchistes contre le monde de « l’argent roi ». Rien n’a changé. Au contraire sous prétexte de relance, ça s’est même aggravé. Macron est pire avec son obsession à tout propos contre les droits sociaux et les libertés.
Peut-on d’ores et déjà tirer des conclusions de cette crise ?
Nous sommes confirmés dans nos thèses. Le productivisme néolibéral est dangereux pour l’humanité. Le rejet massif va venir. Rappelez-vous : la phase de grandes révolutions du XXe siècle n’est pas née dans des choix idéologiques. Elle est liée à la responsabilité de la mondialisation telle qu’elle était à l’époque et à l’incapacité de répondre au problème qui en résultait : la tuerie de la Grande Guerre. Et au bout de trois ans, les dirigeants répondaient : « encore un effort, on va y arriver ». Mais les gens ont exigé l’arrêt de la guerre. Cela va se reproduire. Les gouvernants néolibéraux ont été incapables de prévoir l’entrée de la crise. Mais à l’heure où nous parlons, ils n’ont pas commencé à penser ni la manière de la surmonter réellement (à part le confinement, l’équivalent de la quarantaine moyenâgeuse) ni évidemment la sortie. On vient de reporter le confinement de quinze jours, mais personne n’a évalué ce qui nous permettrait de le lever. La question du déconfinement devrait se poser dès maintenant. Il faut la penser. Le confinement forcé n’est pas une solution durable. C’est un état contre naturel. Le confinement forcé, en temps normal, s’appelle la prison. 65 millions de gens se sont mis en prison eux-mêmes et se surveillent. Je veux poser la question du déconfinement maintenant, comme je pose la question de la planification sanitaire. C’est la même : prévoir et planifier. Pour moi, le monde d’après doit commencer maintenant. La lutte entre les deux mondes est sous nos yeux. D’un côté ceux qui augmentent le temps de travail, qui n’imaginent que des actes de répression et des ripostes individuelles et de l’autre ceux qui veulent généraliser le comportement du personnel hospitalier : altruisme, solidarité, entraide. Cette crise est aussi une démonstration de l’absurdité des principes néolibéraux pour conduire une société. Il y aura d’autres épidémies. Il y aura des catastrophes climatiques. On a la démonstration sous nos yeux que le néolibéralisme ne fonctionne pas dans ces circonstances. Je fais le choix de ne pas douter de la bonne volonté de ceux qui nous dirigent pour pouvoir les juger seulement sur pièces. Ils sont incapables de comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas. Ils me font penser aux derniers bureaucrates de l’Union soviétique : « On n’y arrive pas, il faut donc en faire davantage dans la même direction pour y arriver ». Ils sont en plein aveuglement idéologique.

Propos recueillis par Cécile Amar


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