Etat d’urgence sanitaire
Chère amie, cher ami,
C’est le nouveau venu.
Il vient de s’introduire dans notre système juridique.
Il constituerait la “base légale” de l’obligation de confinement à laquelle nous nous trouvons tous astreints1.
Chez les Députés, le texte a provoqué quelques réactions inquiètes.
Charles de Courson (Libertés et territoires) a dit “vous nous demandez là un effort considérable”.
Boris Vallaud (PS) a évoqué “un champ absolument infini de dérogations à l’état de droit” et Alexis Corbières LFI a estimé que le champ d’application de la loi était “beaucoup trop large”.
Enfin, Raphaël Schellenberger (LR) a prédit que cela "animerait" les discussions entre Assemblée et Sénat dimanche en vue d'un compromis, car cela offre un "pouvoir colossal au gouvernement".
Las.
Les Sénateurs ont validé le texte à 252 voix pour, 2 voix contre et 90 abstentions.
Ils étaient plus motivés que les Députés. Est-ce à cause de leur âge ?
Quelles sont les grandes mesures de ce texte2 ?
1 - Il est institué un “état d’urgence sanitaire”
Un simple décret en Conseil des Ministres permet de le déclarer.
La durée est de un mois maximum. Au-delà, c’est une loi qui doit en valider le prolongement.
Donc le gouvernement décrète, le parlement prolonge.
Au vu du vote des Sénateurs, obtenir cela des parlementaires semble être un jeu d’enfant !
2 - Un territoire est délimité
C’est là que l’état d’urgence sanitaire s’applique.
En ce moment, il est facile à localiser : la France entière est concernée, outre-mer y compris.
3 - Les libertés individuelles sont limitées
Sur le territoire déterminé, certaines libertés sont limitées et notamment :"la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion".
Rien que cela.
La liberté d’aller et venir existe en pratique depuis la fin du servage en France.
Celle-ci est intervenue en 1315, sous Louis X. Le décret royal précisait :
“ Toute créature humaine doit généralement être franche par droit naturel. Le Roi condamne avec énergie le joug et la servitude, qui est tant haineuse et fait qu’en leur vivant, les hommes sont réputés comme morts et, à la fin de leur douloureuse et chétive vie, ils ne peuvent disposer ni ordonner des biens que Dieu leurs a prêtés en ce siècle.”
Avant cela une partie de la population était attachée à une terre et n’avait guère le droit d’en sortir même si les serfs pouvaient parfois racheter leur liberté.
Plus tard, dans les colonies, l’esclavage est ré-instauré. Il sera définitivement aboli en 1848.
Evidemment, la situation actuelle n’a rien à voir avec les tragédies d’antan, où des populations entières pouvaient être déplacées, massacrées et mises en esclavage.
Si je cite ce texte du 14e siècle, c’est pour rappeler que confiner la population, c’est porter atteinte à une très précieuse liberté individuelle qui est reconnue depuis fort longtemps.
Jamais dans l’histoire des êtres humains, cette liberté n’avait été limitée pour un nombre de personnes aussi considérable.
La liberté d’entreprendre est plus récente. Elle date de la révolution française. Le décret d’Allarde de 1791 autorise tout citoyen à exercer le métier ou le négoce qu’il veut, pourvu qu’il paye ses impôts. Cela permettait d’échapper à la logique des corporations et de rang social où vous étiez plus ou moins lié par ce que faisaient vos parents avant vous.
Enfin, la liberté de réunion, comme la liberté d’expression, sont des libertés fondatrices de la IIIè République. Elles marquent le droit d’exprimer son désaccord avec le pouvoir en place. Elles ont permis la création des syndicats par exemple.
Ces libertés ont été acquises de haute lutte dans les larmes et le sang, souvent par des personnes très jeunes qui ont généreusement donné leur vie pour leurs idéaux afin que d’autres puissent en bénéficier.
Cela est vrai en France, et dans la plupart des démocraties. En Suisse, au Royaume Uni, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Amérique Latine etc., il a fallu des affrontements violents pour que ces idées s’imposent.
4 - Des élections suspendues
L’état d’urgence sanitaire a fait annuler le deuxième tour des élections municipales. C’est pour cela que certains Ministres, dont le premier d’entre eux ou le Ministre de l’agriculture, sont encore en poste.
Mais les hésitations du gouvernement ont provoqué une situation bizarre : le premier tour a été maintenu. On a incité les gens à voter, puis on les a critiqués pour être sortis de chez eux. Et c’est vrai, le 15 mars dernier, alors que le printemps semblait faire son apparition, beaucoup de jeunes gens sont allés prendre le soleil sur les bord de Seine. Les photos de ces personnes auraient choqué le Président de la République.
Sans doute eût-il mieux valu qu’ils fussent masqués.
Mais je ne parviens pas à blâmer la légèreté de ces personnes.
Dans cette affaire, l’incohérence de la communication au plus haut niveau est largement fautive.
Il n’empêche, tout le monde a applaudi la suspension des élections.
Mais c’est tout de même un précédent inquiétant.
5 - Des sanctions pénales renforcées
Pour que le confinement soit bien appliqué, les sanctions pénales ont été renforcées.
L’amende est désormais de 135 euros et la récidive est punie de 1500 euros. Si vous êtes pris quatre fois, vous risquez 3700 euros d’amende et une peine de prison.
Dans un pays où le salaire médian est de 1700 euros, cette menace frappe nécessairement l’imagination.
Cette sanction paraît toutefois excessive. Et comme toujours lorsque les lois vont trop loin, soit elles ne sont pas appliquées, soit elles ne sont appliquées qu’au compte goutte contre ceux qui embêtent le système.
C’est ce que l’on appelle l’arbitraire.
Sachant que dans le même temps, 10 000 prisonniers sur les 70 000 du moment ont été libérés pour éviter que le virus ne se propage en prison…
Comprenne qui pourra.
Certains pensent que le confinement ne va pas assez loin
Un syndicat de jeunes médecins, auquel s’est associé l’Ordre des Médecins a demandé le confinement total de la population3.
Ils veulent notamment interdire la possibilité de pratiquer une activité physique ainsi que l’ensemble des activités non essentielles.
Pour eux, il est nécessaire d’effectuer “un tour de vis” car les mesures actuelles ne sont pas assez respectées.
Leur argument, compréhensible, est que sans cela le système de santé ne pourrait pas tenir.
Il n’y aurait pas assez de lits pour les futurs malades.
Tout cela est-il adapté ?
Peut-être, comme les Sénateurs et les Députés, êtes-vous 100% d’accord avec ces mesures.
Vous approuvez le confinement, vous acceptez les condamnations sévères.
Peut-être est-ce parce que, comme moi, vous respectez scrupuleusement le confinement et que vous trouvez injuste et dangereux que d’autres ne le fassent pas.
C’est en effet un manque de civisme.
Est-ce que cela justifie de durcir les sanctions existantes ? Est-ce que cela justifie de mettre en place un état d’urgence sanitaire qu’un simple décret gouvernemental peut décider ?
Je n’en suis pas sûr.
Le contexte de peur généralisée où l’on se méfie du voisin - quand ce n’est pas le soignant - infecté est renforcé par la présence de policiers patrouillant dans les rues et les déclarations martiales des responsables politiques.
Certaines personnes ont été jusqu’à placer des papiers sur des voitures d’infirmières pour leur demander de se garer plus loin, voire de déménager parce qu’elles étaient en contact avec des patients atteints du coronavirus !
Peut-être ne s’agit-il que d’exceptions…
Elles traduisent néanmoins l’effroi et le repli sur soi que l’angoisse génère et que le confinement accentue.
Vous me direz que la situation est grave, que le système de santé est à bout, que la perte d’êtres chers et proches augmente encore la crainte.
C’est juste. Et j’ai des pensées émues pour les soignants, pour les malades qui combattent le virus dans leur corps et ceux qui vivent la double peine du deuil et de l’enterrement en comité restreint.
Cela ne m’empêche pas, malgré ma compassion, de regarder aussi ce que font les autres pays. Et de constater que tous les gouvernants n’ont pas recours à de nouveaux systèmes juridiques...
D’autres stratégies ont été mises en place
En Corée du Sud, la réaction de l’Etat a été remarquable. Ils ont dépisté puis isolé les malades ainsi repérés et les ont soigné avec des remèdes que nous hésitons à utiliser : la chloroquine et la vitamine C en intraveineuse.
L’ensemble de la population s’est mise à porter des masques et des gants et a respecté la distanciation sociale. Résultat : l’économie tourne encore, le nombre de décès est 10 fois plus faible qu’en France et le nombre de cas s’est stabilisé autour de 10 000, alors qu’il y a deux semaines nous en étions au même stade.
En Chine, seule la région de Hubei, d’où est partie le virus, a été confinée totalement. Donc 60 millions de personnes sur 1,3 milliard ont connu une restriction de liberté aussi sévère qu’en France.
Et les autorités se sont hâtées de construire des hôpitaux pour répondre aux besoins du système de santé. En revanche, une surveillance accrue de la population s’est faite via les smartphones, ce qui n’est pas non plus une très bonne nouvelle...
En Espagne, où la situation est assez dramatique, un hall de foire commerciale a été transformé en hôpital et devrait pouvoir accueillir 5000 lits supplémentaires. L’activité économique continue dans ce pays. Sans doute parce qu’à défaut, la population tomberait dans la misère.
En Allemagne, le gouvernement n’a pas imposé le confinement et encourage les gens à faire du vélo, ce qui est interdit en France. En effet, la mémoire du totalitarisme est encore là. Et toucher aux droits de l’Homme dans ce pays est particulièrement sensible. Ils ont payé pour apprendre !
Le “tour de vis” n’est donc pas la seule stratégie envisageable.
Il est du reste possible qu’en Italie le confinement sans dépistage ait accru l’épidémie. Car à confiner ensemble des personnes infectées et saines, on est sûr d’augmenter le nombre de personnes infectées...
Vers une nouvelle forme de gouvernement
L’exécutif français s’est entouré d’un “conseil scientifique”.
Pourtant, il existe déjà des instituts de recherche nationaux, comme l’INSERM et le CNRS, des académies de médecine et de pharmacie…
Les avis scientifiques ne manquent pas.
Cette décision vient mêler un peu plus le scientifique au politique à un moment où la science est en complète perte de sens.
Ce n’est pas moi qui le dis.
Mais Jean-Dominique Michel dans article très complet que vous retrouverez ici. Il est expert de la santé publique à Genève et anthropologue médical.
Il analyse la passe d’armes entre Le Pr Raoult qui vante le pragmatisme médical et l’usage de la chloroquine et les experts du ministère qui préfèrent la prudence.
Jean-Dominique Michel rappelle notamment que des chercheurs, depuis 15 ans, doutent de plus en plus des résultats des études publiées dans les grandes revues scientifiques.
Il rappelle que, en 2016, des universitaires indépendants ont voulu “tester” des études publiées dans les grandes revues prestigieuses. Ils ont cherché à en reproduire 53. Mais n’ont trouvé les mêmes résultats que pour 7 d’entre elles…
85% des études pourraient donc être peu ou pas fiables.
C’est considérable !
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent ce phénomène, à commencer par les conflits d’intérêts et le mélange des genres.
Il n’est donc pas très rassurant de voir notre démocratie glisser petit à petit vers une technocratie sanitaire s’appuyant sur une science sans âme ni conscience.
Même en temps de crise, les libertés individuelles comptent, même en temps de crise sanitaire, la démocratie doit continuer !
Je ne parle pas ici de valeurs qui sont conceptuelles et subjectives mais de lois, d’institutions.
Il est impératif de garder en tête à quel point ces libertés sont précieuses. Le pouvoir les a cédées difficilement. N’applaudissons pas trop lorsqu’il les reprend au bénéfice des crises que nous traversons.
Il en va de l’avenir de vos enfants et petits-enfants.
Naturellement vôtre,
Augustin de Livois
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