Bien sûr, ce n'était qu'un scrutin régional. Bien sûr, seuls 9,5 millions d'électeurs – sur les 62 millions que compte l'Allemagne – étaient appelés aux urnes. Mais le séisme politique qui a secoué la Bavière, dimanche 14 octobre, est d'une telle intensité que la grande coalition d'Angela -Merkel, à Berlin, en subira nécessairement l'onde de choc.
D'abord, à cause du revers historique infligé à l'Union chrétienne-sociale (CSU), le parti conservateur bavarois allié à l'Union chrétienne-démocrate (CDU), la formation qu'elle préside depuis 2000. Dimanche, la CSU n'a recueilli que 37,2 % des voix, soit 10,5 points de moins qu'en 2013. Si la plupart des partis européens rêveraient aujourd'hui d'atteindre un tel score, celui-ci est en réalité un cruel camouflet pour les conservateurs bavarois qui, depuis 1958, n'étaient jamais passés sous la barre des 43 % lors d'élections régionales. La formation d'extrême droite, Alternative pour l'Allemagne, a récolté 10,2 %.
Certes, Mme Merkel n'est sans doute pas mécontente du camouflet infligé au président du parti, Horst Seehofer, avec qui elle entretient des relations exécrables, surtout depuis qu'il a rejoint son gouvernement, en mars, comme ministre de l'intérieur. En se trouvant ainsi fragilisé, M. Seehofer deviendra-t-il pour autant un partenaire plus docile ? Rien n'est moins sûr. Dimanche soir, s'il a admis une
" part de responsa-bilité " dans le
" mauvais résultat " de son parti, le président de la CSU s'est en effet empressé d'ajouter que
" les causes " de ce revers se trouvaient aussi
" à Berlin ", sous-entendu à la chancellerie.
Les relations entre la CSU et la CDU risquent donc de se dégrader d'autant plus que s'ajoute désormais un autre facteur, lié à l'avenir de M. Seehofer lui-même. Dimanche, celui-ci est resté très évasif sur son sort, excluant dans un -premier temps toute perspective d'une retraite anticipée, avant de déclarer qu'il
" discuterait volontiers ",
" le moment venu ", des
" questions de personnes ". Le mandat de M. Seehofer à la tête de la CSU doit s'achever à l'automne 2019, date du prochain congrès. Mais plusieurs responsables du parti estiment qu'il n'a plus la -légitimité pour se maintenir -jusqu'à cette date. Une chose est en tout cas certaine : la guerre de succession a commencé.
" Piètre performance "Même si personne ne s'est pour l'instant risqué à ouvrir les hostilités, le jeu des pronostics est lancé, avec déjà deux noms qui reviennent avec insistance parmi les bons connaisseurs de la CSU : Manfred Weber, chef de file des députés conservateurs au Parlement de Strasbourg, et possible candidat à la présidence de la Commission européenne après les élections de mai 2019, et Alexander Dobrindt, le chef de file des députés bavarois au sein du groupe CDU-CSU du Bundestag, de profil plus droitier que le premier.
Fragilisée sur son flanc droit par une CSU électoralement sonnée, la coalition de Mme Merkel l'est aussi sur son flanc gauche, les élections de dimanche ayant encore aggravé la situation du Parti social-démocrate (SPD). Certes, la Bavière n'a jamais été un bastion du SPD. Certes, les derniers sondages laissaient entrevoir une -défaite cuisante. Mais rares étaient ceux qui avaient imaginé que les sociaux-démocrates passeraient sous le seuil symbolique des 10 %. C'est pourtant le cas : avec 9,7 % des voix, ils reculent de 10,9 points par rapport à 2013.
Le teint blême et la voix blanche d'Andrea Nahles parlaient d'eux-mêmes. Dimanche soir, depuis Berlin, la présidente du parti a ainsi reconnu qu'il s'agissait d'un
" très mauvais résultat " pour le SPD, avant d'expliquer que, pour elle,
" l'une des principales causes " de cette déroute était
" la piètre performance de la grande coalition à Berlin " et l'incapacité de son parti
" à se libérer des querelles incessantes entre la CDU et la CSU ".
Le résultat des élections bavaroises pourrait donc rendre également plus rugueuses les relations entre le SPD et ses partenaires de coalition. Ces dernières semaines, plusieurs responsables du parti ont en effet estimé que le temps était venu d'ouvrir un débat sur le maintien ou non du SPD au gouvernement. D'après le " contrat de coalition " qui a été signé en février, une
" évaluation " du travail gouvernemental doit être faite au mitan de la législature, c'est-à-dire début 2020. Mais certains souhaiteraient qu'elle ait lieu dès les prochains mois.
A défaut de remettre en cause sa participation au gouvernement – hypothèse peu probable dans la mesure où le SPD, crédité de 16 % à 17 % des voix dans les sondages nationaux, n'a aucun intérêt à provoquer des élections anticipées –, les sociaux-démocrates pourraient se montrer moins accommodants avec la chancelière, eux qui étaient jusqu'alors des alliés beaucoup moins turbulents que les conservateurs bavarois.
Pour Mme Merkel, les prochaines semaines seront donc compliquées. Le 25 septembre, déjà, elle avait subi un affront personnel avec la défaite inattendue de Volker Kauder, un fidèle parmi les fidèles, qui lui avait succédé à la présidence du groupe CDU-CSU en 2005, quand elle avait été élue chancelière, et avait toujours été reconduit depuis. Le 28 octobre, c'est un autre de ses proches, Volker Bouffier, qui pourrait à son tour essuyer un revers. Candidat à sa réélection à la présidence du Land de Hesse, il est crédité de seulement 29 % des voix. En 2013, la CDU avait recueilli 38,3 % des voix.
Or, c'est dans ce contexte difficile qu'aura lieu le prochain -congrès de la CDU, à Hambourg, les 7 et 8 décembre. Pour l'instant, rien ne semble pouvoir empêcher Mme Merkel d'être réélue à la tête du parti qu'elle préside depuis dix-huit ans. Mais – et c'est une première – trois " petits " candidats se sont déjà déclarés, un entrepreneur de la Hesse, un professeur de droit public de Bonn, et un étudiant en droit de Berlin. D'autres, avec plus de poids politique, se lanceront-ils à leur tour ? Aucun, parmi les bons connaisseurs de la CDU, ne se risque à une prédiction.
Professeur de science politique à l'université de Trèves, Uwe Jun considère, comme beaucoup, que
" rien ne se passera à l'intérieur de la CDU avant les élections dans la Hesse ". Il n'en estime pas moins que le résultat du scrutin bavarois est
" un terrible signe de fragilisation pour les -partis de la grande coalition ", la CSU et le SPD ayant perdu 21,4 points à eux deux en l'espace de cinq ans dans ce Land.
Au déclin des deux partis de gouvernement, M. Jun oppose le succès spectaculaire des Verts qui, avec 17,5 %, ont gagné 8,9 points par rapport à 2013 et deviennent la deuxième force politique de la région.
" Les Verts ont renouvelé leur direction cette année, ils ont présenté des candidats jeunes, ils donnent l'impression de vouloir faire de la politique autrement. Leur succès est le signe que les électeurs veulent essayer autre chose, qu'ils souhaitent tourner une page. " Celle, à l'évidence, des années Merkel.
Thomas Wieder
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