Olivier Faure donne de sa personne. Presque trois cents invités sont présents ce dimanche 30 septembre pour le barbecue de rentrée de la fédération socialiste de Seine-Maritime, à Grand-Quevilly, et c'est autant de bises à distribuer, de photos tout sourire sur lesquelles il faut poser. Les selfies enregistrés dans les téléphones et les saucisses-patates avalées, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) peut repartir, satisfait de ce moment chaleureux, une " bouffée d'air ". D'autant plus appréciable que l'atmosphère reste lourde au-dessus de son parti, près de dix-huit mois après la catastrophe électorale de la présidentielle et des législatives de 2017. Des dissensions en interne avec lesquelles il faut jongler, une campagne pour les européennes de mai 2019 qu'il va bien falloir démarrer, une oreille qui reste à trouver dans l'opinion. Un sacerdoce.
Le dernier épisode en date l'oppose à l'aile gauche du PS qui lui reproche sa stratégie pour les prochaines élections européennes. Ses représentants, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, après avoir menacé pendant des semaines de rompre avec leur formation historique, se sont enfin décidés à partir – M. Maurel l'annonce dans
Le Monde ce vendredi, tandis que Mme Lienemann doit officialiser son choix samedi.
Pas de nouvelle crise pour autant dans la maison socialiste, veut croire son patron.
" La raison pour laquelle Emmanuel Maurel a retardé son départ, c'est qu'il a du mal à entraîner derrière lui ", soutient M. Faure. L'eurodéputé annonce emmener dans son sillage
" de très nombreux militants, des centaines de cadres et d'élus sur l'ensemble du territoire " ?
" Extravagant, répond le premier secrétaire.
Ceux qui partent, c'est Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et leurs assistants parlementaires. On est sur des logiques ultrapersonnelles. "
Trop discret
" Au bureau national, ils n'emmènent pas la moitié des membres du courant ", appuie Laurent Baumel, signataire de la motion de M. Maurel au congrès. L'ancien député frondeur se dit en désaccord avec la stratégie de son collègue et ce
" ralliement prématuré et inconditionnel " à Jean-Luc Mélenchon.
Mi-septembre, quand le parti a présenté ses propositions pour l'Europe dans un texte penchant largement à gauche, Mme Lienemann y a vu
" un leurre, une manœuvre cynique ". Elle a présenté avec M. Maurel un texte alternatif,
qui a été, comme son -concurrent, soumis au vote des militants,
jeudi 11 octobre. Or, pour M. Faure,
" il n'y a aucune justification sur le fond " dans le différend.
" Quand je vois Marie-Noëlle Lienemann, je me dis que tout m'éloigne de ce type de personnage, grince-t-il.
Députée européenne, ministre, sénatrice, maire… Tout ça elle le doit à qui sinon à ce parti qu'elle vomit tant aujourd'hui ? C'est tout ce que j'abhorre en politique. "
En tout cas, le projet pour l'Europe, premier texte de cadrage idéologique de " l'ère Faure ", aura réussi à contrarier une partie de la gauche du PS… et de sa droite. Pierre Moscovici, qui a longuement hésité à candidater pour être tête de liste aux européennes, a finalement renoncé, reprochant à son parti, dans une interview au
Monde, de
" n'avoir pas pris la mesure du défi existentiel auquel fait face l'Europe ".
Voilà donc six mois qu'Olivier Faure occupe le poste de patron du PS, au terme d'un affrontement avec Stéphane Le Foll, Emmanuel Maurel et Luc Carvounas qui n'a passionné que les initiés. Son installation dans le bureau du premier secrétaire s'est accompagnée de nombreuses critiques en interne. On le dit isolé, méconnaissant les rouages de son propre parti, manquant de flair politique comme de punch. En un mot : discret, trop discret.
Paradoxalement, des cadres lui reprochent aussi une certaine rudesse, comme lorsqu'il qualifie, en juillet, François Hollande de
" champion du déni ". Ou, plus récemment, quand il déclare à la radio que Manuel Valls, en partance pour Barcelone, est
" l'un des hommes politiques aujourd'hui les plus détestés dans ce pays " et qu'il quitte la France
" avec le goudron et les plumes ". " Je lui ai dit que ce n'était pas bien, raconte un parlementaire.
Si le PS pense qu'il peut se reconstruire en tapant sur ses anciens dirigeants, il ne prend pas le bon chemin. "
Olivier Faure, lui, trouve que le plus dur dans la fonction, ce sont
" les comportements ". Il s'agace contre tel secrétaire national qui se répand en " off " acrimonieux dans la presse, et plus généralement contre
" les gens qui se comportent comme si on avait fait 35 % - aux élections -
et qu'on -pouvait se permettre le luxe d'une division sur rien ".
Attendu au tournantSe positionner à gauche, dans l'opposition à Emmanuel Macron, et en même temps assumer une histoire longue de plus d'un siècle – y compris celle, récente, du quinquennat Hollande : le Parti socialiste d'Olivier Faure est sur une ligne de crête. Et il est attendu au tournant, surtout que ces cinq années au pouvoir sont en train d'être auscultées pour un travail d'inventaire qui doit être rendu courant novembre. Les " frondeurs " sont déjà en alerte.
Etre premier secrétaire aujourd'hui,
" c'est un rôle souvent ingrat, mais que j'ai pris avec enthousiasme et comme une responsabilité à un moment historiquement difficile ", assure Olivier Faure. Quitte à courir le risque d'être un patron de transition, avant que quelqu'un ne reprenne la main quand les temps seront moins durs ?
" Si on se casse la gueule, il n'y aura plus rien. Si on y arrive, les militants se souviendront de qui les a menés sur le chemin de la renaissance ", veut-il croire.
Alors peu importe les orages au-dessus de sa tête.
" Je ne veux pas lâcher. C'est l'histoire d'une vie. Je sais ce que je dois à la gauche, qui est à l'origine de tous les progrès sociaux depuis un siècle. Si j'étais né cent ans plus tôt, j'aurais travaillé à 6 ans, j'aurais été de ceux qui n'ont pas le baccalauréat. "
Accéder au poste n'était pourtant pas un rêve – contrairement, par exemple, à Jean-Christophe Cambadélis, qui l'a précédé dans la fonction – mais
" c'est la plus belle des missions, c'est cent fois plus beau que d'être ministre ". Alors malgré les difficultés, malgré les épisodes de tension qui se suivent,
" je n'accepte pas ce qui paraît un acquis pour beaucoup : que la gauche de gouvernement devrait disparaître ".
Enora Ollivier
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