L'école n'a pas besoin, à chaque alternance politique d'une nouvelle loi, nous avait confié Jean-Michel Blanquer quelques mois après son arrivée Rue de Grenelle. Elle peut se gouverner autrement. " Et pourtant, le ministre de l'éducation a dû en préparer une pour mettre en musique les réformes promises et qui imposent d'en passer par l'étape législative, à commencer par l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire de 6 à 3 ans, qui est la raison d'être initiale de cette loi.Le titre du projet de texte qui a commencé à circuler quelques jours avant sa présentation au Conseil supérieur de l'éducation, lundi 15 octobre, ne semble pas encore tout à fait stabilisé, mais il reflète une " certaine ambition " et une " certaine méthode " disent les syndicats d'enseignants.
Le premier document qui a fuité parlait d'un projet de
" loi pour une école de la confiance ". Le second, d'un projet de
" loi pour l'avenir de l'école ". On a beau répéter, au cabinet du ministre, qu'
" on ne cherche pas à faire une loi Blanquer ", la teneur des 24 articles que
Le Monde a pu consulter va au-delà de simples ajustements.
" Instance godillot "A lui seul, l'article 9 a déjà commencé à faire polémique. Il met fin au suspense de plusieurs mois, entretenu dans le petit monde de l'école, quant à cette
" instance de l'évaluation " promise par le candidat Emmanuel Macron. Ce ne sera pas, semble-t-il, à l'actuel Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) de prendre cette responsabilité, mais à un nouveau conseil d'évaluation de l'école. Placé auprès de M. Blanquer, il sera
" chargé d'évaluer en toute indépendance l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire ", peut-on lire dans le projet de texte. L'exposé des missions précise, notamment, qu'il
" veille à la cohérence des évaluations conduites par le ministère ", qu'il en
" définit le cadre méthodologique " et en
" analyse les résultats ".
Par rapport à l'actuel Cnesco, instance créée sous la gauche et qui peut s'autosaisir des sujets d'enquête – notamment l'évaluation des politiques publiques éducatives –, le futur conseil semble voir ses missions resserrées. Les détracteurs de M. Blanquer pronostiquent déjà une
" instance godillot " : " En clair, elle n'aura qu'à synthétiser les rapports des inspections et du service statistiques du ministère. "
Ces critiques s'appuient en partie sur les règles de composition de la nouvelle instance : elle comprendra dix membres, dont quatre
" choisis par le ministre de l'éducation pour leurs compétences en matière d'évaluation ou dans le domaine éducatif ", selon le projet de loi, un député et un sénateur, et quatre représentants du ministre. Le Cnesco est, lui, composé d'une douzaine de membres, dont huit personnalités qualifiées, dont la désignation est jugée par les syndicats plus indépendante de la Rue de Grenelle.
L'autre partie du projet de loi qui fait déjà débat rassemble les articles 10, 11 et 12. Il dit peu de choses de ce que seront les futures écoles de formation des enseignants, mais l'enjeu est suffisamment central pour que le changement de sigle – le texte instaure des Instituts nationaux supérieurs du professorat ou INSP, nouvel acronyme dans le paysage éducatif – soit perçu comme la promesse d'un bouleversement de fond.
Sous la précédente mandature avaient vu le jour trente Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation (une ESPE par académie),
placées sous la houlette des universités. C'est à leur gouvernance que touche aussi le projet de loi à travers la création d'un comité présidé par le recteur et le président de l'université.
" On ne nous donne que quelques pièces du puzzle ", réagit Franck Loureiro, du Sgen-CFDT. Comme lui, nombre d'acteurs de l'enseignement supérieur ne comprennent pas que l'essentiel de la réforme de la formation promise, pour 2019, par Jean-Michel Blanquer soit passé sous silence : la place du concours (aujourd'hui entre la première et la deuxième année de Master), tout comme le contenu des Masters de formation, vont être revus, mais nul ne sait, encore, dans quel sens.
Au fil des 15 pages que compte ce projet de loi, d'autres possibles controverses, que la communauté éducative n'attendait pas forcément, émergent. Ainsi de l'article 13 portant sur le recrutement des assistants d'éducation et qui prévoit que ces derniers, recrutés alors qu'ils préparent les concours de l'enseignement, pourront se voir confier des
" fonctions pédagogiques et d'enseignement ou des fonctions d'éducation ".
Des dérogations possibles
" C'est la négation de la nécessité d'avoir des enseignants formés devant les classes ", s'énerve Hervé Christofol, du SNESUP-FSU. L'article 6 prévoit que des établissements publics d'enseignement international, pour le premier et le second degré, pourront avoir un budget abondé, entre autres, par des
" personnes morales de droit privé " – des entreprises, subodorent les premiers lecteurs du projet de loi. L'article 8 donne la possibilité à des écoles publiques ou privées de déroger au code de l'éducation pour des
" expérimentations pédagogiques portant sur tout ou partie de l'école ou de l'établissement d'une durée limitée à cinq ans ".
Ce type de dérogation a beau être placé
" sous réserve de l'autorisation préalable des autorités académiques ", c'est bien un blanc-seing qui pourra ainsi être donné tant en matière d'organisation pédagogique que sur la répartition des heures d'enseignement sur l'année, le choix de partenaires ou l'utilisation du numérique. Enfin, l'article 18 porte sur les dispositions nécessaires pour redéfinir le périmètre des académies – elles seront 13, contre 30 aujourd'hui, à l'horizon 2020 –, le gouvernement pouvant le faire
" par ordonnance ".
Mattéa Battaglia, et Camille Stromboni
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