Thierry André Charles Pierre. " Eric Zemmour s'applique à inscrire les quatre prénoms sur la première page de son best-seller annoncé. Son admirateur y tenait. " Je suis un bon client pour vous ", lance le quinquagénaire avant de repartir avec son exemplaire dédicacé du Destin français (Albin -Michel, 576 pages, 24,50 euros). Le journaliste-essayiste ricane. Ici, sa dernière sortie, où il considère le prénom de la chroniqueuse télé Hapsatou Sy comme une " insulte à la France ", amuse plus qu'elle ne choque.
Le polémiste préféré de la droite dure, qui écoule ses ouvrages à des dizaines voire des centaines de milliers d'exemplaires, est en terrain conquis à La Nouvelle Librairie. Cette boutique très droitière, elle aussi, vient d'ouvrir à la lisière du Quartier latin à Paris. Mercredi 26 septembre, la séance de dédicace s'annonçait mouvementée, des groupes antifascistes ayant promis de perturber la soirée.
En fin de journée, un cordon de policiers a pris position devant la librairie. Mais durant plus de deux heures et demie, Eric Zemmour n'aura vu défiler que les remerciements de Perceval, Jeanne, Christine ou Hilda. Cette dernière a bien du mal à lâcher la main du journaliste en le bénissant pour son omniprésence médiatique :
" On a besoin de vous à la télé pour dire ce qu'on pense. " En attendant leur tour, sur le trottoir face au jardin du Luxembourg, les générations et les droites se mélangent. Un ancien filloniste en veste Barbour frôle un royaliste à gants de cuir ; marinistes et marionistes
tiennent les mêmes sacs en plastique ; une jeune fille à serre-tête patiente sagement derrière le représentant d'un groupuscule identitaire.
A chaque vente, le libraire prend soin de glisser deux petites publicités entre les pages : l'une pour la webtélé préférée de l'extrême droite, TV Libertés, et l'autre pour Polémia, la fondation dirigée par le très identitaire ancien député européen frontiste Jean-Yves Le Gallou… Un homme que l'on retrouve d'ailleurs dans la file d'attente, comme Philippe Martel, ex-collaborateur d'Alain Juppé passé chez Marine Le Pen, François de Voyer, un proche de Marion Maréchal, ou encore Erik Tegnér, un ancien frontiste passé au parti Les Républicains qui en appelle au dialogue entre
" toutes les droites ", extrêmes incluses. Tous voient Eric Zemmour comme un martyr de la cause " réactionnaire ", une victime sacrifiée sur l'autel du " on peut plus rien dire ".
" Réaction ". Le mot est chargé, mais il ne fait plus peur. Il devient presque un badge d'honneur, comme aurait pu dire Steve Bannon. En mars, l'ex-éminence grise de Donald Trump enjoignait aux militants du Rassemblement national (RN, ex-Front national) de porter les accusations de racisme en étendard.
" La réaction est en train d'envahir tous les esprits, elle est majoritaire dans le pays, malgré l'étouffement que veulent imposer les médias mainstream ", affirme l'essayiste Paul-Marie Coûteaux. Après avoir soufflé à l'oreille de Marine Le Pen et de François Fillon, l'ancien député européen souverainiste cherche à gonfler les voiles de Nicolas Dupont-Aignan.
" Cela fait dix ans que les idéologies de gauche dérivent et s'effacent. Les gens de gauche ont perdu la parole et l'initiative. " A l'entendre, la
" réaction " s'insinue partout et frappe à toutes les portes : médias, immigration, questions de société… Et à toutes les heures.
Marquer l'opinionFrance Inter, lundi 24 septembre.
" 7 h 49, Léa Salamé, ce matin votre invitée est essayiste, journaliste au Figaro
, et publie Le Porc émissaire, terreur ou contre-révolution
, c'est aux éditions du Cerf.
– Bonjour, Eugénie Bastié.
– Bonjour Léa. "
Dix minutes durant, une conservatrice tendance catholique de 26 ans ouvre l'actualité de la semaine sur la première matinale radio de France en mitraillant le mouvement #metoo,
" cette libération de la parole - des femmes -
qui instaure un messianisme progressiste ", niant l'
" asymétrie du désir masculin et féminin, qu'on ne peut pas effacer ". La journaliste finit par justifier une sentence de son livre, qui sera reprise partout, du site d'Alain Soral Egalité et réconciliation jusqu'aux
Inrockuptibles :
" Une main aux fesses n'a jamais tué personne. " Buzz assuré.
Au cœur du " système " médiatique tant décrié par les extrêmes, une autre bretteuse de la droite décomplexée n'a rien à envier à sa consœur du
Figaro. Charlotte d'Ornellas, journaliste à
Valeurs actuelles, chroniqueuse à TV Libertés et fondatrice de l'éphémère revue
Franceavec le militant identitaire Damien Rieu, fait son nid dans les médias " traditionnels ". De l'émission " 28 minutes " sur Arte à celle de Pascal Praud sur CNews, en passant par France Culture, la trentenaire diffuse depuis la rentrée son discours anti-PMA et anti-immigration sur toutes les ondes.
Des saillies toujours pensées pour marquer l'opinion et lancées parfois un peu trop vite. Comme lorsque la journaliste attribue à Manuel Valls une phrase prononcée par l'humoriste Nicolas Canteloup. Et quand elle se fait reprendre sur sa propension à exagérer les chiffres de l'immigration sur le plateau de CNews, elle répond :
" Au fond, qu'est-ce que ça change ? " La " gauchosphère " se moque, l'ultradroite l'adore. Le message passe.
Certains appellent cela, avec un rien d'emphase, de la métapolitique
: les idées ne s'imposent pas seulement lors du combat électoral, mais aussi dans les médias. Ou encore dans les écoles de sciences politiques, comme le répète l'ancienne députée frontiste Marion Maréchal depuis qu'elle a fondé, à Lyon, son Institut des sciences sociales économiques et politiques.
D'autres préfèrent la rue. Mardi 25 septembre, une jeune fille aux longs cheveux blonds, à peine sortie de l'adolescence, grimpe sur une camionnette et saisit un micro :
" Notre civilisation se situe à la croisée des chemins. Non à la PMA post-moderne… Euh, post mortem. " La foule de plusieurs centaines de personnes réunie à proximité du Comité consultatif national d'éthique aura corrigé d'elle-même. Le matin même, cette instance s'est prononcée en faveur de l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.
Les militants de La Manif pour tous, qui n'ont
" rien " lâché depuis leur combat contre le mariage pour tous, en 2012 et 2013, donnent déjà de la voix, alors que le gouvernement n'a pas encore mis son projet sur les rails. Le mensuel
L'Incorrect, lancé par des proches de Marion Maréchal, a aussi sonné le rappel sur les réseaux sociaux.
" Eh oui, M. Macron, nous sommes là, nous sommes de retour, et nous allons battre le pavé ", prévient une autre militante, qui s'est emparée du micro.
C'est ensuite au tour de la patronne du mouvement conservateur, Ludovine de La Rochère, de donner de la voix contre ce qu'elle nomme la
" PMA sans père " :
" Est-ce qu'un papa c'est secondaire ? Est-ce qu'on peut dire qu'un papa ce n'est pas important ? " Un acteur de la droite hors les murs, cette mouvance identitaire qui ne se retrouve ni au RN ni chez LR, se réjouit de voir dans cette bataille à venir
" la fin de la neutralité de l'électorat de droite vis-à-vis d'Emmanuel Macron, s'il va au bout ".
L'ombre de Patrick Buisson plane une nouvelle fois sur l'automne de la droite conservatrice. Avec Philippe de Villiers et Eric Zemmour, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy incarne la vieille garde du mouvement, une des figures de cette sainte trinité identitaire à laquelle se réfèrent les jeunes fantassins. Le 21 septembre, le groupe TF1 annonce le départ de l'ex-journaliste de l'hebdomadaire d'extrême droite
Minute de la direction de la chaîne Histoire. Une mise en retrait volontaire, selon des sources concordantes. Le maurrassien de 69 ans veut se consacrer à de nouveaux projets, dont l'écriture d'un
" gros livre ",
" anthropologique, sociologique, philosophique ", rapporte un proche.
Recomposition de la droiteOn le retrouve, deux jours plus tard, à la tribune de l'université d'été de La Manif pour tous, dans l'Essonne. Le conseiller qui encourage depuis plusieurs mois Nicolas Dupont-Aignan à œuvrer en faveur de l'union des droites se mue ce jour-là en harangueur de foules.
" Le temps est venu de la résistance " contre le
" progressisme sociétal ", clame-t-il.
" Faute d'un débat apaisé, il faudra bien investir la rue pour y faire entendre l'immense clameur de tous ceux qui, face au projet barbare de la fabrication de l'enfant, voudront faire entendre le “non possumus” des apôtres, le cri de leur conscience ", prévient Patrick Buisson, qui appelle cette mobilisation anti-PMA à se traduire en voix aux élections européennes de mai 2019. La recomposition de la droite, pense-t-il, va s'accélérer à cette occasion.
" Une échéance électorale d'autant plus importante, selon lui,
qu'elle interviendra dans un contexte européen de révolte générale des peuples. " L'occasion d'essayer de valider par les urnes un mouvement de fond qui reste, pour l'heure, cantonné à la conquête des esprits.
Olivier Faye, et Lucie Soullier
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