Ce soir-là, Jean Asselborn est en meeting dans la petite ville d'Esch-sur-Alzette, dans le sud du Luxembourg. Costume gris, chemise blanche à col mao, le ministre des affaires étrangères et européennes, célèbre pour le récent " Et merde alors ! " qu'il a adressé à l'Italien Matteo Salvini, rentre de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, et doit mobiliser les militants locaux du Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (LSAP).
Ici comme ailleurs, les sociaux-démocrates ne vivent pas leurs meilleures heures, les sondages sont moroses avant les élections du 14 octobre. Mais le ministre – en fonction depuis 2004 – ne craint pas pour sa réélection : il reste la figure la plus populaire de sa formation, même s'il n'en est ni le dirigeant ni le principal responsable au sein du gouvernement dirigé par le libéral Xavier Bettel.
La coalition sortante est inédite au Grand-Duché, avec les partis écologiste et social-démocrate. Conservera-t-elle la majorité, même si le Parti chrétien-social (CSV) semble promis à la victoire ? C'est l'inconnue du scrutin. Le CSV a participé à quatorze des seize gouvernements de l'après-guerre et compte bien revenir aux affaires après l'éclipse de 2013 et l'éviction de Jean-Claude Juncker.
Jean Asselborn, lui, se verrait bien poursuivre une carrière internationale. Au fil des années, l'ancien ouvrier de l'usine Uniroyal de Steinfort est devenu une figure emblématique de la diplomatie européenne.
" Je l'ai vu conduire des réunions quand une présidence pataugeait, il m'a souvent étonné par son ascendant ", confie une diplomate française. Jovial, faussement naïf, bon connaisseur des règles des médias, il n'a toutefois acquis que sur le tard une notoriété dépassant le cadre de son pays ou des cénacles bruxellois.
C'était à Vienne, en septembre, lors d'une réunion informelle. Matteo Salvini prône l'abolition de la Convention internationale sur le statut des réfugiés, parle des "
esclaves africains " que toléreraient certains pays membres et dit vouloir inciter ses concitoyens à faire des enfants plutôt qu'à accepter lesdits " esclaves ". Jean Asselborn, retrouvant la fougue qui l'amena à réclamer, en 2016, l'exclusion de la Hongrie de l'UE, bondit, rappelle que son pays a accueilli de nombreux Italiens pauvres et ponctue sa diatribe du mot de Cambronne. Il ignore que la délégation italienne a filmé la scène et la diffuse, en dépit de toutes les règles.
Aujourd'hui, il n'en démord pas :
" C'était un cri du cœur contre des paroles indignes de l'Europe humaniste de 2018. " Mais il s'interroge :
" Qui osera encore dire aux Européens que, compte tenu du vieillissement, il faudra sans doute organiser la migration de dizaines de millions de personnes d'ici à 2050 ? " Le ministre a des convictions et de la mémoire : il sait que ce fut l'une des conclusions d'un sommet Europe-Afrique, en 2015…
" Pas de débat sur les réfugiés "Ce soir, toutefois, le public d'Esch-sur-Alzette attend autre chose : il faut défendre le bilan de la coalition. Le chômage et l'inflation rendus presque inexistants, le taux d'investissement le plus élevé de l'après-guerre, une réforme fiscale qui a bénéficié tant aux ménages qu'aux entreprises. Et aussi le vote du mariage pour tous, la réforme du divorce et la séparation de l'Eglise et de l'Etat, avec la suppression des cours de religion et une fête nationale qui ne se célèbre plus à la cathédrale. Sans oublier
" le rétablissement de l'image du pays " qui aurait vraiment cessé d'être ce paradis fiscal maintes fois dénoncé.
" Ici, pas de débat sur les réfugiés ou l'avenir de l'Europe ", sourit Diego Velazquez, un journaliste du
Luxemburger Wort. Et, pourtant, on pourrait assister à la percée d'un courant populiste qui insiste sur la nécessité d'apprendre la langue luxembourgeoise, que 48 % des 600 000 résidents, d'origine étrangère, ignorent. Eux ne pourront pas voter dimanche : un référendum, en 2015, a vu 80 % des Luxembourgeois dire non à l'octroi du droit de vote à cette partie de la population. Même riche, ouvert sur le monde et capable de s'interroger sur les bienfaits de la croissance, le pays n'est pas à l'abri de certains réflexes.
Jean-Pierre Stroobants
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