Chère lectrice, cher lecteur,
Dans l’endroit du monde qui se veut le plus disruptif, on n’aime pas se faire à son tour balayer par plus malin que soi. C’est pourtant ce qui pourrait se passer. Un récent papier de The Economist fait grand bruit ici, car il met le doigt sur ce qui ne fonctionne plus. L’industrie de la technologie a gonflé dans de telles proportions qu’elle produit des effets collatéraux dangereux.
San Francisco, c’est la ville où les employés de Google rentrent le soir dans leur magnifique car blanc aux vitres noires équipé de wifi… pendant que des manifestants les caillassent car ils ne peuvent plus vivre dans les quartiers où les salaires des ingénieurs ont fait exploser les loyers. C’est un Chinatown où fleurissent des affiches pirates pour dénoncer les propriétaires qui louent leurs biens sur Airbnb et participent ainsi à la gentrification du quartier. Ce sont des infrastructures tellement défaillantes qu’Uber y est synonyme de transport public.
Entre la ville la plus «libérale» des Etats-Unis – comprenez à gauche – et cette fameuse «vallée» qui accueille trois des plus grandes capitalisations boursières mondiales, il existe de multiples points de tension. Nous assistions cette semaine à un moment fort, la convention de Salesforce, un des leaders de la technologie qui accueille chaque année près de 200 000 personnes dans une cité déjà dépassée par les problèmes de congestion.
La nouveauté? Salesforce peut désormais les accueillir dans sa gigantesque tour tout juste inaugurée. Voulue par son fondateur, Marc Benioff, cette dernière change la skyline de la ville: c’est la plus haute, très loin à la ronde. Le bâtiment qui trônait jusqu’ici – une pyramide étirée en hauteur – n’a jamais inquiété personne car il est solidement implanté sur sa base. Quid de la Salesforce Tower, en forme de gros boudin, dont on se demande si elle résisterait longtemps à un tremblement de terre?
Le problème avec le système d’innovation de rupture, c’est qu’il ouvre un gigantesque boulevard pour que les ego s’expriment. Marc Benioff vient d’être couronné roi, mais pour combien de temps? Cette même semaine, des icônes de la tech vivaient leurs heures les plus difficiles. Comme Mark Zuckerberg, qui devait confesser sa énième boulette (la perte des données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook), ou Elon Musk, sèchement recadré par le gendarme boursier, qui l’empêche de présider Tesla, sa compagnie.
Le doute plane. Et si la route vers la Silicon Valley ne menait nulle part? Déjà de nombreuses start-up se détournent de la Mecque de l’innovation pour s’établir dans d’autres villes. Les loyers y sont moins chers, les gens ne veulent pas tous devenir le prochain patron star et on s’y souvient qu’il est bon d’avoir une vie en dehors du boulot.
– Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef
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