Mener une campagne dans l'urgence peut nuire aux finances. Voilà l'une des leçons de la course présidentielle de Benoît Hamon, désigné candidat sur le tard, le 29 janvier 2017, à l'issue de la primaire à gauche. Son sprint électoral s'est accompagné d'une débauche de moyens pas vraiment proportionnels aux résultats finaux obtenus : l'ancien socialiste est arrivé en cinquième position, au soir du premier tour, le 23 avril 2017, avec 6,36 % des voix. Une déception amère à la vue des plus de 15 millions d'euros dépensés, le deuxième total le plus élevé derrière Emmanuel Macron, légèrement en deçà du plafond de 16,8 millions d'euros autorisé pour les prétendants du premier tour.
L'immense majorité de cette somme a été déboursée entre janvier et avril 2017, comme l'illustrent les comptes déposés par l'équipe Hamon à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), que
Le Monde a consultés.
" Véhicules événementiels "Parmi les postes de dépenses les plus importants, le
" personnel salarié recruté spécifiquement pour la campagne " a représenté 1,198 million d'euros, sans compter le personnel
" mis à disposition "(470 898 euros). Ce qui en fait l'un des candidats les plus dispendieux en la matière, loin toutefois derrière Marine Le Pen, particulièrement généreuse avec ses troupes (2,408 millions).
Même si M. Hamon s'est défendu d'avoir constitué une " armée mexicaine ", son équipe était richement fournie, à l'image de ses deux directeurs de campagne et de ses sept porte-parole. Au total, 72 personnes ont été salariées par l'association de financement du candidat.
Un choix quasi politique, à écouter les anciens de la campagne.
" Nous avons limité le recours aux prestations extérieures par volonté de salarier les membres de l'équipe, alors que d'autres équipes ont eu un recours massif à la rémunération d'autœntrepreneurs, d'entreprises ou d'associations “amies” ", explique au
MondeRégis Juanico, le président de l'association de financement de la campagne, qui dénonce une forme de
" salariat déguisé " chez ses concurrents.
" En ce qui nous concerne, nous n'avons jamais voulu échapper au versement des cotisations sociales ", ajoute, piquant, le député hamoniste.
Hormis quelques erreurs de déclarations auprès de l'Urssaf, ces dépenses en salaires, régulières, n'ont pas suscité d'observation de la part des rapporteurs de la Commission. La CNCCFP s'est en revanche interrogée sur le coût de certains meetings, notamment à Bercy, le 19 mars 2017, et surtout place de la République, un mois plus tard, le 19 avril, à quatre jours du premier tour de l'élection.
Les prestations fournies par la société RégieTeK, lors de ce dernier meeting, pour un total de 463 680 euros, sont apparues élevées aux yeux des rapporteurs, tant au niveau des frais de personnel que de la location de matériel.
Dans une réponse argumentée, l'entreprise a contesté toute facturation excessive, point par point, et souligné les contraintes qu'il a fallu surmonter.
" Nous avons dû travailler dans l'urgence sur cette opération, indiquent les dirigeants de RégieTeK,
ce qui induit des coûts supplémentaires de la part de l'ensemble de nos partenaires et fournisseurs. "
Du côté du candidat, on justifie également ces montants par l'importance de l'événement.
" Il ne s'agissait pas d'un simple meeting avec une prise de parole, mais bien d'une manifestation avec un village associatif et un concert qui se sont déroulés tout l'après-midi et la soirée ", rappelle Régis Juanico.
D'autres dépenses plus anecdotiques offrent des indications tout aussi éclairantes sur une campagne durant laquelle les cordons de la bourse furent relativement lâches. Ainsi en est-il de l'utilisation de
" véhicules événementiels ".
Contrainte dans le tempsAu printemps 2017, M. Hamon peine toujours à convaincre sur le revenu universel, l'une des mesures phares de son programme. Début avril, trois camions sont donc loués à la société Podiocom pour en faire la promotion. Décorés d'une grande photo du candidat, d'un hashtag #HamonTour et d'une mention " revenu universel ", ces véhicules transformables en podiums, semblables à ceux utilisés sur le Tour de France, ont roulé sur les routes du pays, du 3 au 21 avril, soit jusqu'à deux jours du premier tour. Coût de l'opération auprès de Podiocom, chauffeurs inclus : 141 854 euros. L'utilisation d'un autre camion fera monter l'enveloppe globale des " caravanes " à 202 314 euros.
La Commission n'a rien trouvé à y redire, ces dépenses étant conformes à ses règles. Tout comme elle a validé le paiement de notes rédigées à l'intention
de l'équipe de campagne et au contenu parfois déroutant, à l'image de celle, facturée 21 600 euros par un prestataire, dont le principal enseignement résidait dans le conseil au candidat d'éviter de porter des costumes aux manches trop longues et des pantalons trop grands.
Benoît Hamon et son équipe ont su faire de meilleures affaires en obtenant des ristournes de la part de la société Match Event, qui a fourni du matériel de sonorisation et d'éclairage pour certains meetings, du 4 mars au 19 avril. La facture globale, initialement de 1,723 million d'euros, a été réduite de 311 270 euros, dont des remises de 40 % sur certaines prestations. De quoi alerter les rapporteurs, alors que ne sont normalement autorisées que les remises habituelles et inférieures à 20 %.
L'équipe de M. Hamon a mis en avant le caractère courant des rabais accordés par Match Event, qui avait déjà réduit ses factures dans le même ordre de grandeur pour une autre société.
" Ces exemples concrets nous permettent de répondre à la justification que ce taux était indépendant de notre activité politique et qu'il était par ailleurs utilisé de manière usuelle ", a argumenté l'entourage du candidat auprès de la Commission.
S'ils reconnaissent au final la cherté de la campagne due selon eux à sa contrainte dans le temps, les proches de M. Hamon réfutent tout laisser-aller financier, comme certains socialistes avaient pu les en accuser après la défaite du premier tour.
" Cette attaque sur le coût de la campagne est peut-être la plus absurde à laquelle nous ayons eu à faire face ", répond Régis Juanico, qui estime au contraire que la campagne de M. Hamon a été
" sobre malgré l'impréparation initiale du PS " et rappelle que
" le budget prévisionnel, construit avec le PS, était de 14,5 millions d'euros ". Soit, à l'arrivée, un dépassement d'à peine 0,5 million
" validé à chaque étape avec le trésorier du PS ".
Bastien Bonnefous, et Yann Bouchez
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