Ce n'est pas seulement la chaleur de l'été qui cloue les Bédouins de Khan Al-Ahmar chez eux. Mercredi 1er août, la Cour suprême israélienne doit une nouvelle fois statuer sur l'évacuation et la démolition de leur village, situé à l'est de Jérusalem, en Cisjordanie occupée. Alors, en attendant, ils montent la garde. " Les gens sont très anxieux. Plus personne n'ose sortir de chez soi, de peur que l'armée israélienne ne vienne détruire sa maison en son absence ", explique Eid Abou Khamis, le porte-parole du village.
Les bulldozers viendraient facilement à bout des habitations bédouines, considérées comme illégales par les autorités israéliennes. Ces fragiles cabanes, assemblages de planches de bois ou de tôle, parfois recouverts d'une bâche noire ou beige, ont été bâties sans le permis délivré par l'administration militaire israélienne, chargée des affaires civiles dans la zone C, en Cisjordanie. Leurs habitants expliquent qu'il est quasi impossible d'en obtenir un. Faute de quoi, ils ont toujours fait avec les moyens du bord : les murs de l'école primaire, bâtie en 2009 avec l'association italienne Vento di Terra et le soutien de l'Union européenne, ont été montés avec des pneus usagés et de la terre.
Depuis près de dix ans, Israël menace d'expulser la communauté de Khan Al-Ahmar. Mais les Bédouins entendent bien rester sur cette terre aride, à mi-chemin entre Jérusalem et Jéricho, où ils se sont installés dans les années 1970, après leur expulsion du Néguev par l'armée israélienne en 1953. L'arrêt précédent de la Cour suprême israélienne, le 24 mai, a néanmoins sonné le glas, en approuvant la démolition des
" structures illégales à Khan Al-Ahmar ".
" Décharge publique "L'évacuation des 190 résidents n'est plus qu'une question de temps. Le 4 juillet, à la suite de l'ordre de démolition émis la veille par l'armée israélienne, une route a été aménagée à l'entrée du village pour assurer le passage des bulldozers. Des heurts ont éclaté entre les forces de l'ordre israéliennes et des manifestants, bédouins ou militants. Le lendemain, une dizaine de diplomates européens se rendaient sur place pour témoigner aux habitants leur solidarité.
La Cour suprême israélienne a suspendu provisoirement l'ordre de démolition, le temps d'examiner les deux derniers recours, déposés respectivement les 5 et 9 juillet par les avocats chargés du dossier.
" Nous récusons, dans le premier, la démolition du village et, dans l'autre, son évacuation ", explique l'un d'eux, Tawfiq Jabareen. Le 1er août, les juges de la Cour suprême devront se prononcer sur ces deux aspects.
Les autorités israéliennes n'ont pas attendu la décision de la Cour suprême pour anticiper le transfert des résidents de Khan Al-Ahmar vers Al-Jabel, près de la localité palestinienne d'Abu Dis. Sur place, des logements et une école sont prêts, reliés à l'eau et à l'électricité.
" Sauf que le site se trouve à côté d'une décharge publique, sans aucun espace pour faire pâturer les bêtes, précise Angela Godfrey-Goldstein, une Israélienne engagée de longue date dans la défense du village.
Cette sédentarisation imposée contredit le mode de vie bédouin. " De leur côté, les pays de l'UE, dont la France, ont plusieurs fois rappelé, à l'attention d'Israël, que le transfert forcé de populations civiles était une violation de la 4e convention de Genève.
La démolition de Khan Al-Ahmar est réclamée depuis des années par la droite nationaliste israélienne, relayée par les chefs de colonies voisines du village, dont Maale Adumim (40 000 habitants).
" Leur objectif est de poursuivre la colonisation à l'est de Jérusalem, pour y assurer une continuité juive territoriale qui déconnectera définitivement Jérusalem de la Cisjordanie ", explique Amit Gilutz, porte-parole de l'ONG israélienne B'Tselem. La dizaine de communautés bédouines installées dans cette zone désertique, désignée sous le sigle E1 par Israël, est particulièrement visée. Si la démolition de Khan Al-Ahmar est actée, les organisations de défense des droits de l'homme craignent qu'elle ne crée un précédent qui facilitera l'expulsion de communautés voisines, moins aidées par l'extérieur et surtout moins médiatisées.
Depuis peu, l'Autorité palestinienne semble prendre la mesure de l'enjeu. Au risque d'une récupération politique, elle commence à soutenir la cause du village bédouin. Avec son autorisation, la rentrée scolaire dans l'école de Khan Al-Ahmar a été avancée au 16 juillet, pour que les locaux soient occupés. Le 26 juillet, son ministère du gouvernement local érigeait officiellement la communauté bédouine en " village palestinien ". Jour de fête à Khan Al-Ahmar, de franches poignées de main s'échangèrent entre dirigeants de Ramallah et Bédouins au keffieh rouge et blanc.
" Ce nouveau statut nous permet de bénéficier des services délivrés par l'Autorité palestinienne aux villages palestiniens, se félicitait Eid Abou Khamis, devenu à l'occasion maire de Khan Al-Ahmar.
A deux kilomètres d'ici, les colons - israéliens -
de Kfar Adumim ont tout et nous n'avons rien. Il est temps que cela change. "
Claire Bastier
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