Il devient de plus en plus compliqué de contester l'existence d'effets sanitaires des pesticides surles humains, par voie alimentaire. En témoignent de nouveaux travaux, rendus publics mercredi 27 juin, et publiés dans la revue Environmental Health Perspectives (EHP).
Conduits par des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ceux-ci montrent que des rongeurs mâles chroniquement exposés par leur alimentation à un cocktail de six pesticides courants, à des niveaux réputés sans risque, enregistrent une forte prise de poids, une augmentation du taux de masse grasse et un diabète.
Les femelles sont, elles, sujettes à d'autres effets, plus subtils. C'est la première fois que les effets obésogènes et diabétogènes d'un cocktail de produits phytosanitaires actuellement en usage sont ainsi mis en évidence. Ces résultats, notent les auteurs, sont d'autant plus importants qu'ils sont cohérents avec d'autres données, issues de la cohorte NutriNet.
L'étude de cette cohorte, qui suit les habitudes alimentaires de plus de 50 000 personnes, a montré, en 2013 puis en 2017, que les plus gros consommateurs d'aliments bio ont un risque moindre de souffrir de surpoids ou d'obésité et de développer un syndrome métabolique (précurseur du diabète de type 2), par rapport aux non-consommateurs de ces aliments produits sans pesticides de synthèse.
" Nos résultats sont importants pour l'interprétation des données de NutriNet ", explique Laurence Payrastre, chercheuse au laboratoire de toxicologique alimentaire de l'INRA (Toxalim), à Toulouse, et coauteure de ces travaux.
" Ils permettent de renforcer la présomption d'un lien de causalité entre l'exposition de la population à des pesticides et le risque de troubles métaboliques. "
Dose journalière admissiblePendant cinquante-deux semaines, les chercheurs de l'INRA ont exposé des souris à un mélange de six pesticides courants – quatre fongicides et deux insecticides (ziram, chlorpyrifos, imidaclopride, boscalide, thiophanate, captan).
" Nous avons sélectionné ces six substances parce qu'elles figurent parmi les plus fréquemment retrouvées dans les fruits et légumes, explique Mme Payrastre.
Nous avons procédé de manière à reproduire sur les animaux l'exposition possible des consommateurs. "
Les rongeurs ont ainsi été soumis à la dose journalière admissible (DJA) calculée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour chacun des six pesticides, et réputée ne faire courir aucun risque. La durée de l'expérience – un an –, correspond à environ trente ans pour un humain.
" Chez les mâles, on observe que l'excédent de prise de poids chez les animaux exposés, par rapport aux non-exposés, devient significatif au bout de six mois d'expérience, détaille Laurence Payrastre.
Au terme de l'expérimentation, le gain de poids des mâlestraités est environ le double de celui des mâles témoins. "
En outre, les chercheurs observent une augmentation du taux de masse grasse sur les mâles- -testés, par rapport au groupe -témoin, ainsi qu'une intolérance au -glucose, qui se développe au bout de quatre mois seulement.
" Cette intolérance au glucose persiste tout au long de l'expérience, poursuit la chercheuse.
Et on observe en fin d'expérience une hyperglycémie à jeun chez les animaux mâles exposés, ce qui est un signe évocateur du diabète. " Ces résultats sont d'autant plus frappants que les rongeurs ont été soumis à un régime alimentaire normal, non destiné à leur faire prendre du poids – comme c'est le cas dans certains protocoles expérimentaux. Chez les femelles traitées, ces troubles sont absents, malgré une légère hyperglycémie à jeun en fin d'expérience.
" Ce sont des travaux très sérieux ", commente Brigitte Le Magueresse, chercheuse au laboratoire en cardiovasculaire, métabolisme, diabétologie et nutrition (Inserm, INRA et université Lyon-I), qui n'a pas participé à ces travaux.
" Ils sont de plus complétés par une analyse des mécanismes impliqués, grâce aux techniques les plus fines. " En 2013, Mme Le Magueresse et son équipe avaient obtenu des résultats analogues en exposant des rongeurs à un cocktail d'autres polluants (bisphénol A, un phtalate, un PCB et une dioxine), également présents à bas bruit dans une grande partie de la population.
L'effet cocktail des pesticides
" Un fait marquant est le caractère imprévisible de l'effet cocktail que nous mettons en évidence, observe, de son côté, Hervé Guillou, chercheur à Toxalim et coauteur de la publication.
Nous avons testé sur des cellules de foie, un par un, les six pesticides que nous avons utilisés, et l'effet du cocktail n'est pas du tout la somme des effets de chacun de ses composants. " -Contactée, l'EFSA dit
" considérer comme très importante l'évaluation du risque présenté par des mélanges ".
L'agence européenne annonce pour cette année la publication de sa première évaluation des effets cumulés d'un groupe de pesticides ciblant la thyroïde et le système nerveux. L'agence, basée à Parme (Italie), ne
révèle
cependant pas si ces nouveaux travaux sont de nature à imposer une réévaluation des doses admissibles en vigueur pour les six pesticides testés. De plus, les chercheurs de l'INRA ne se sont pas contentés de mesurer les effets physiologiques de l'exposition au cocktail de pesticides. Ils ont également tenté d'élucider les mécanismes biologiques sous-jacents, expliquant notamment les différences de réaction entre mâles et femelles. Les auteurs ont, en particulier, identifié l'importance d'une protéine (un " récepteur nucléaire ") impliquée dans la détoxification cellulaire.
Augmentation du diabèteIls ont utilisé des souris génétiquement modifiées, dépourvues de cette protéine, et ont répété l'expérience. Plus aucune différence de prise de poids n'a pu être notée entre les animaux mâles exposés et non exposés, suggérant le rôle clé du récepteur nucléaire étudié (dit " récepteur constitutif des androstanes ").
" Pour les femelles, d'autres mécanismes sont vraisemblablement en cause, précise Hervé Guillou.
Nous nous sommes lancés dans d'autres travaux, afin d'étudier le rôle protecteur des œstrogènes- hormones féminines -
dont bénéficient les femelles. "
Le diabète est en augmentation très rapide, dans tous les pays. Selon la Fédération internationale du diabète, on comptait 425 millions de personnes atteintes dans le monde en 2017, soit un adulte sur onze. En France, la maladie coûte 8 milliards d'euros par an à l'Assurance-maladie ; 3,3 millions de Français étaient traités en 2015. Multifactorielle, la maladie reste liée à une alimentation trop riche, à la sédentarité et à certaines pollutions diffuses. Ce dernier facteur de risque fait l'objet d'un nombre croissant de travaux de recherche à travers le monde.
Stéphane Foucart
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