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mercredi 4 juillet 2018

Le " CP à 12 ", référence de la politique d'égalité des chances........." Un gain de deux à trois mois d'avance "


4 juillet 2018

" Un gain de deux à trois mois d'avance "

Durant toute l'année, des écoles labellisées éducation prioritaire nous ont ouvert les portes de leurs CP dédoublés. Dernier épisode

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200 000
C'est le nombre d'élèves de CP et de CE1 qui doivent être accueillis dans des classes dédoublées à la rentrée. Aux 2 200 classes de " CP à 12 " d'ores et déjà dédoublées dans les réseaux " REP + " doivent venir s'ajouter, en septembre, 3 200 classes de CP dans les réseaux REP (non renforcés) ainsi que de " 60 % à 70  % des CE1 en REP + et une soixantaine en REP ",précise-t-on au ministère de l'éducation. L'objectif est d'atteindre le chiffre de 300 000 en 2019-2020.
Elles n'ont pas vu filer l'année, mais les progrès de leurs élèves, ces " petits CP " qui se sont métamorphosés, sous leurs yeux et au fil des mois, en " presque CE1 ", sont là pour attester qu'elles n'ont pas redoublé d'efforts pour rien. Marine Caron et Justine Gérard, deux enseignantes volontaires pour expérimenter les fameux " CP à 12 " – dispositif qui s'est transformé dans leur école de la rue Manin, dans le 19e arrondissement parisien, en " 2 profs pour 24 élèves " faute de place pour dédoubler les classes –, ont clairement le sentiment d'avoir " redoublé de tout "durant l'année : d'énergie, de projets, d'ateliers…
Le bilan qu'elles font de leur -travail en binôme – si stimulant, disent-elles, qu'elles ont choisi de " rempiler " en septembre – pourrait se résumer à un prénom : Hervé. A force de travail, le petit garçon a fini, comme ses camarades, par devenir -" lecteur ". " Sa lecture n'est pas encore tout à fait fluide, mais il -décode très bien, souligne Justine Gérard. Il comprend tout, il sourit, il a de bons copains. "
Pourtant, à écouter les deux jeunes femmes, il revient de loin. " Débarqué le jour de la rentrée quelques heures seulement après avoir atterri du -Burkina Faso, n'alignant que -quelques mots de français, il était tout juste capable de se faire comprendre ",racontent-elles. Il ne connaissait pas l'alphabet, ne -savait pas écrire son prénom, alignait des croix et des bâtons… Dans une classe lambda, ces -enseignantes en sont sûres, il n'aurait pas " si vite rattrapé ". " A deux, au début, l'une de nous -s'asseyait systématiquement à côté de lui, on l'a beaucoup repris, se souviennent-elles. Il sera bien en CE1. Quel bonheur, pour nous, une belle histoire comme ça ! "
En ce vendredi de la fin juin, entouré de Rokiatou, Mouamadou et d'une poignée d'autres, Hervé donne le change : il restitue à l'oral une partie de l'histoire de Compère Lapin que Marine -Caron vient de leur lire. Les enfants volontaires passent au tableau. " Un travail sur le vocabulaire plus important que ça n'en a l'air ", souffle l'enseignante.
" On s'est choisies "Dans une autre salle, Justine -Gérard a pris en charge l'autre moitié de la classe – " une façon d'être à 12, et pas qu'à 24 ", glisse-t-elle. Une grosse horloge en plastique jaune entre les mains, elle lance des défis : " Comment faire pour qu'il soit 14  heures ? " " Et -minuit ? "… Sur la version miniature de l'horloge qui leur a été distribuée, Hamza, Sara, Maxime -bougent la grande aiguille, puis la -petite. L'enseignante complexifie la tâche :" A quelle heure -démarrent les activités périscolaires ? " Héloïse répond " 15  heures ",avant d'interroger à son tour l'enseignante : " Il y a aussi une troisième aiguille qui bouge tout le temps, non ? " " C'est pour les secondes ", lui explique le -petit Edouard.
A l'heure du bilan, la fierté de Marine Caron et de Justine -Gérard n'est pas forcément d'avoir avancé plus vite ni plus loin, mais de n'" avoir laissé personne sur le bord du chemin "." Ce doit être notre mission première en éducation prioritaire où les difficultés se -conjuguent souvent aux problèmes de comportement ", défend la première. " Deux regards sur la classe, c'est précieux, renchérit la seconde. On peut donner de la place à chacun et éviter que ne se détachent, déjà, des wagons. "
Difficile d'imaginer un duo mieux assorti : " On s'est choisies ", font-elles valoir. Ce n'est pas toujours le cas dans d'autres classes. Les volontaires ne se bousculent d'ailleurs pas pour prendre en charge, l'an prochain, ces CP qui imposent un travail en binôme et, nouveauté de la rentrée, les CE1 que l'école inaugure… au prix de la salle informatique " sacrifiée " pour gagner de l'espace.
A une vingtaine de mètres de là, l'autre école labellisée REP + (réseau d'éducation prioritaire renforcé) de la rue Manin n'a pas ces problèmes de place : " Nos effectifs ont tendance à fondre, raconte Mme Luton, la directrice. La mixité sociale en prend un coup ! "
Son école a commencé l'année avec quatre classes de CP à 12 ; elle la termine avec deux classes de 11 enfants, deux de 9 seulement. " Les familles pauvres s'en vont de l'autre côté du périphérique, voire plus loin quand le 115 les reloge, poursuit la directrice. Les classes moyennes, au troisième enfant, s'éloignent d'elles-mêmes. Quant aux plus aisées, beaucoup demandent une dérogation ou se tournent vers le privé. On est en train de me vider l'école ! " En septembre, selon ses calculs, la rentrée devrait se faire " sous la barre des 200 élèves ", contre 215 cette année et même 250 il y a trois ans.
" La magie de l'école a opéré "Sur les photos de classe affichées devant chaque salle, " on est tenté de chercher les absents ", sourit Marlène Egloff, affectée ici en -février pour un remplacement de congé maternité, et passée, du jour au lendemain, de 22 élèves face à elle à quasiment moitié moins. " Une surprise, confie-t-elle. Le changement est dans -l'interaction rendue possible avec -chacun. " Un écueil en découle : " Comme tout va plus vite, on a tendance à les faire travailler plusIl faut savoir lever le pied, respirer… "
Son collègue, Jean-Baptiste -Laumond, lui donne raison. " En début d'année, c'était un peu bizarre de se retrouver face à un si petit effectif ; je me demandais comment j'allais dynamiser le groupe… Comme les enfants sont deux fois moins nombreux, on est tenté d'être deux fois plus sur eux, poursuit-il. Il faut savoir organiser des “plages de rien”, des moments de jeu… Savoir dire “non” ou “débrouille-toi”, ne pas être dans le question-réponse permanent. " L'an prochain, Jean-Baptiste prendra en charge un CE1 dédoublé, Marlène un CE2, mais ils partagent une crainte : voir leurs élèves qui avancent si vite perdre cet " élan " s'ils repassaient dans une classe lambda.
Pas d'inquiétude de ce type pour le petit Abdoulaye : l'équipe a plaidé pour son maintien en CP, et l'a obtenu même si les redoublements sont de moins en moins fréquents. Une " seconde chance " pour ce petit garçon arrivé il y a quelques mois d'Afrique non francophone sans avoir -jamais mis les pieds à l'école. Il y a tout appris en même temps : le français, les codes de l'école, les bases de la lecture et de l'écriture. " En six mois, il a fait les trois années de maternelle, reprend Mme Luton, etabandonné les -dessins d'hommes armés pour des dessins de sa maîtresse… Avec l'aide de sa famille, la magie de l'école a opéré. "
Si, face à la grande difficulté scolaire, les dédoublements ne peuvent pas tout – ils ne remplacent ni l'intervention des maîtres spécialisés ni celle des psychologues scolaires ou des assistantes sociales, préviennent les syndicats –, pour Abdoulaye, il semble que le CP à 12 ait beaucoup joué, en lui offrant, disent les enseignants, un " cadre serein ".
Tranquillité des enfantsDe fait, quand on entre dans la classe de Marlène Egloff, c'est d'abord la tranquillité des enfants qui saute aux yeux. " Hier, nous avons fait des brochettes avec des fraises, leur dicte l'enseignante. Mon fruit préféré est le kiwi. " Sur son cahier, Sylvie a écrit " ai " au lieu de " est ", Enzo " ière " et non " hier ", mais il suffit d'un bref rappel de la maîtresse pour qu'ils se corrigent. Au tableau, Maximilien copie ces phrases, sans oublier les pluriels, les accords ou la ponctuation. " Tous les CP n'ont pas une écriture ou une lecture aussi fluides, mais ils sont tous déchiffreurs, observe Marlène, ce qui n'est pas systématique à l'entrée en CE1. " La directrice estime, elle, le " gain " à " deux à trois mois d'avance ".
" Il faut attendre de voir où en seront nos élèves en fin d'élémentaire, défend Jean-Baptiste Laumond. On saura à ce moment-là si le sacrifice consenti par certains collègues, qui voient leurs classes gonfler pour nous permettre de dédoubler les nôtres, et qui nous en veulent parfois un peu pour cela, vaut réellement le coup. "
Mattea Battaglia
© Le Monde



4 juillet 2018

Le " CP à 12 ", référence de la politique d'égalité des chances

Selon un sondage du syndicat SNUipp-FSU, les enseignants plébiscitent le dispositif

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UNE PRIME POUR ENSEIGNER EN REP +
C'est en septembre que les personnels des réseaux " REP + " commenceront à toucher la prime de 3 000  euros promise, durant la campagne, par Emmanuel Macron. Une partie, du moins : 1 000 euros nets mensualisés leur seront versés durant l'année 2018-2019, précise-t-on au ministère de l'éducation. En bénéficieront 41 000 enseignants, mais aussi 900 personnels d'encadrement et 3 800 personnels administratifs, techniques ou médicaux. Le reste de la prime devrait leur être versé, en deux tranches, sur les deux années suivantes. Mais une part " minoritaire " pourrait être conditionnée à la " réalisation d'un projet d'établissement collectif ou aux résultats des élèves ",confirmait-on dans l'entourage de M. Blanquer, le 2 juillet, après l'annonce, dans Les Echos, d'une prime en partie " modulable ". " C'est une piste de travail, parmi d'autres,avec les syndicats. "
Difficile de retracer l'émergence du " CP à 12 ",slogan de campagne d'Emmanuel Macron qui résonne, aujourd'hui, comme la mesure sociale de ce début de quinquennat. " C'est la première chose dont nous avons parlé avec Emmanuel Macron lorsqu'il préparait sa campagne ", écrit Jean-Michel Blanquer dans son dernier livre, Construisons ensemble l'école de la -confiance (Odile Jacob, 240 pages, 17,90  €). Dans L'Ecole de demain (Odile Jacob, 2016), celui qui était encore directeur de l'Essec plaidait déjà pour une division par deux de la taille des classes, mais plutôt à l'école maternelle.
Depuis la rentrée 2017, les " CP12 " – comme les surnomme le ministre de l'éducation –, inspirés du projet américain STAR (pour Student-Teacher Achievement Ratio) mené dans le Tennessee il y a trente ans, sont devenus la référence en matière de politique d'égalité des chances. Un mantra politique résonnant bien au-delà du périmètre de l'école. Les dédoublements sont aussi au cœur du " plan pauvreté " qui devrait être présenté en juillet. Dans le champ des solidarités et de la santé, à la cohésion des territoires, dans les ministères, dans les cabinets et dans les assemblées, l'expression est dans toutes les bouches. Une illustration de l'idée, partagée en Macronie, que " faire du préventif vaut mieux que du curatif ".
Dans les classes, en revanche, le dispositif est encore circonscrit. Même si les dédoublements montent en puissance en septembre  2018 – pour concerner quelque 5 400 classes de CP et désormais aussi de CE1 –, la division des effectifs ne concerne, jusqu'à présent, que 2 200 classes dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés – les REP +. Et encore : si, pour les quatre cinquièmes d'entre elles, un enseignant fait classe à une douzaine d'élèves, dans le cinquième restant, à défaut de pouvoir " pousser les murs ", comme disent les professeurs, ils sont deux à se partager une classe de 24 enfants.
Pari budgétairePour les premiers concernés, au terme de cette année scolaire, le satisfecit n'en est pas moins largement partagé. L'enquête rendue publique, le 25  juin, par le SNUipp-FSU – syndicat qui n'a jamais fait secret de ses réserves sur le financement de la mesure – le confirme. Neuf enseignants sur dix, parmi ceux qui expérimentent ces dédoublements, estiment que le climat scolaire s'est amélioré, que leurs pratiques ont évolué, qu'ils peuvent individualiser leurs pratiques… Pour sept sur dix d'entre eux, les compétences des élèves sont acquises plus rapidement.
Mais ces enseignants racontent aussi, même si c'est dans une moindre mesure, la pression hiérarchique qui s'est accrue ; des tensions avec les " collègues " qui voient, en CM1 et CM2 notamment, les effectifs dans leur classe " grimper " ; enfin, leur incompréhension face à l'objectif assigné par le gouvernement : atteindre " 100  % de réussite au CP ". Comme si le fait d'être douze, d'un coup de baguette magique, pouvait gommer toutes les difficultés.
Budgétairement, même si 3 881 créations de poste sont prévues au primaire pour 2018-2019, mettre en place des classes de 12 élèves n'en relève pas moins du pari. Des postes du dispositif" plus de maîtres que de classes " porté par la gauche ont dû être rendus – les trois quarts, estime-t-on au SNUipp-FSU. Les territoires ruraux et les maternelles ont aussi été contraints de se serrer la ceinture, même si le gouvernement, baisse des effectifs d'élèves à l'appui, dément le " jeu de vases communicants " dénoncé sur le terrain. Autrement dit, qu'il " déshabillerait " les zones rurales pour " rhabiller "les zones prioritaires.
Les observateurs de l'école ont, eux, sorti leur calculatrice : d'après l'Observatoire des inégalités, un peu plus d'un quart des élèves défavorisés du primaire bénéficient des dédoublements de CP sur l'ensemble du territoire. Même si la mesure se déployait tout au long du quinquennat, encore beaucoup d'enfants passeraient entre les mailles de ce" filet pédagogique ", soit parce qu'ils sont scolarisés ailleurs qu'en ZEP, soit parce qu'ils ne sont ni au CP ni au CE1. " On ne peut pas parler d'une politique sociale quand on touche un tel ratio de la population ciblée ", dénonce le sociologue Louis Maurin. Selon une note du service statistique du ministère de l'éducation publiée en février, les écoles labellisées REP + accueillent moins de 8  % des écoliers du public.
Comme d'autres spécialistes, Louis Maurin s'interroge sur le choix du " seuil " de 12 élèves. " A 16, on dégagerait des moyens pour réduire, plus largement, la taille des CP ", assure-t-il. C'est aussi le calcul qu'a fait l'universitaire Pierre Merle, arguant d'une dépense en professeurs et en espaces " bien moindre " à quatre élèves près. " Grâce aux moyens économisés en CP et en CE1 avec des classes de 16 élèves, il serait possible d'appliquer aussi cette mesure, en REP +, aux classes de 6e, pour favoriser la transition entre l'élémentaire et le collège ", fait valoir ce chercheur.
De fait, si le cours préparatoire est reconnu comme une classe charnière, beaucoup, au sein de la communauté éducative, ne veulent pas croire pour autant que " tout est joué au CP ".
Mattea Battaglia

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