Grand chelem électoral pour Andres Manuel Lopez Obrador qui a conquis haut la main, dimanche 1er juillet, la présidence au Mexique. La coalition menée par son parti de gauche a raflé la plupart des autres mandats législatifs, régionaux et municipaux aussi en jeu. Un tsunami qui lui donnera les coudées franches pour honorer ses promesses de " transformation profonde du pays ". Ces pleins pouvoirs suscitent autant l'espoir que les craintes dans un pays divisé.
Le président élu, surnommé par ses initiales " AMLO ", a battu plusieurs records électoraux. Il a décroché 53 % des suffrages. Du jamais-vu depuis l'époque de l'hégémonie du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) durant soixante et onze ans jusqu'en 2000, avant son retour au pouvoir en 2012. La fin du décompte préliminaire est prévue, jeudi 5 juillet, en regard de l'ampleur du scrutin (18 000 mandats).
Mais, lundi, les résultats partiels laissaient présager une majorité absolue à la Chambre des députés, et relative au Sénat pour son Mouvement de régénération nationale (Morena, gauche) et ses alliés du Parti des travailleurs (PT) et du Parti rencontre sociale (PES, évangélique). Un raz-de-marée inédit depuis 1997. A l'époque, le PRI avait perdu pour la première fois sa majorité au Congrès, ouvrant la voie au processus de démocratisation de l'Etat.
Baptisée " Ensemble, nous ferons l'histoire ", la coalition d'AMLO a aussi remporté au moins quatre des huit postes de gouverneur en compétition, dont celui de Morelos gagné par l'ancien footballeur, Cuauhtémoc Blanco. Sans compter l'Etat de Tabasco, terre natale d'AMLO, où son candidat, Adan Augusto Lopez, est crédité de 64 % des suffrages. Même succès annoncé aux municipales, mais on ne connaît pas encore son ampleur.
La coalition menée par le
parti d'AMLO a déjà mis la main sur la capitale avec l'élection de Claudia Sheinbaum (46,6 %), fidèle du président élu. Cette docteure en ingénierie de 56 ans sera la première femme édile de Mexico. Sa coalition a décroché onze des seize méga-arrondissements de la mégalopole, raflant le bastion historique du Parti de la révolution démocratique (PRD, progressiste), ancienne formation d'AMLO quand il était maire de la capitale (2000-2005).
" C'est une insurrection électorale, dit Virgilio Bravo, politologue à l'université du Tec de Monterrey.
AMLO devance de plus de 30 points ses adversaires présidentiels. "Ricardo Anaya (22 %), à la tête d'une coalition droite-gauche, et José Antonio Meade (16 %), candidat du PRI (centre), ont félicité le vainqueur avant la première estimation officielle. Selon M. Bravo,
" deux facteurs expliquent cette victoire écrasante. D'abord la volonté des électeurs d'en finir avec le système corrompu du PRI. Puis, l'habileté d'AMLO qui a incarné l'unique alternative crédible contre la corruption ".
Virage réformateurUne lutte que l'intéressé a menée au sein du PRI dès 1976, avant de rejoindre ses dissidents du PRD, créé en 1988, puis de fonder, en 2014, Morena. En quatre ans, son parti est devenu la première force politique du pays. AMLO a attiré des militants, issus de l'extrême gauche, des progressistes et des mouvements sociaux, tous excédés par la connivence entre les élites politiques et économiques. A la veille de la campagne, AMLO s'est aussi allié avec les conservateurs évangéliques du PES et d'anciens membres du PRI, du PRD et du Parti action nationale (PAN).
Le soutien du Congrès devrait lui donner les moyens de réaliser son virage réformateur à gauche. Prônant la justice sociale, son programme prévoit d'augmenter le salaire minimum journalier (3,80 euros), de bloquer la hausse des prix de l'essence ou de réduire de moitié les revenus des hauts fonctionnaires, dont le sien. Sans compter sa volonté d'annuler la réforme éducative de 2013, qui a retiré aux syndicats la nomination des professeurs sans, selon lui, améliorer le contenu de l'éducation publique, déficiente au Mexique. Sa légitimité électorale le renforce aussi face au président Donald Trump, avec qui AMLO s'est entretenu, lundi, par téléphone.
De quoi satisfaire la soif de changement de ses électeurs dans un pays où près de la moitié de la population est pauvre. Sans compter ceux qui soutiennent sa volonté de
" pacifier le pays " pour réduire la violence des cartels de la drogue (plus de 200 000 homicides en douze ans). Face à la polémique suscitée par sa proposition d'amnistie pour les petits délinquants, AMLO a promis une consultation populaire et un vote du Congrès.
Mais ces pleins pouvoirs ne font pas l'unanimité :
" Le grand écart idéologique qu'il a réalisé pour gagner les élections pourrait créer un nouveau régime de parti hégémonique “catch-all” - attrape-tout -
sur le modèle du PRI avec un président surpuissant ", avertit Jose Luis Reyna, politologue à l'université El Colegio de Mexico. Mêmes inquiétudes chez l'éditorialiste Denise Dresser, qui brandit le spectre d'un " lopezobradorisme " dans une tribune publiée, lundi, dans le très libéral quotidien
Reforma.
M. Bravo, lui, n'y croit pas :
" AMLO ne pourra pas reproduire le système du PRI tant décrié par ses électeurs. D'autant qu'il devra compter avec des contre-pouvoirs, comme les réseaux sociaux, les médias ou les patrons. En revanche, les promesses ambitieuses du président élu suscitent des attentes fortes au sein de la population auxquelles il doit répondre. " Le temps presse : AMLO entrera en fonction le 1er décembre. Les prochaines élections législatives sont prévues en 2021.
" S'il ne change pas vite le système, il pourrait avoir à faire face à un vent de contestation dans les rues ou dans les urnes ", prévoit le politologue. De quoi freiner le spectaculaire élan de popularité qui le porte.
Frédéric Saliba
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire