Certains verrous sont plus difficiles à faire sauter que d'autres, surtout quand ils sont anciens. Voilà près d'un siècle, depuis la loi de 1920 sur la pénalisation de la fraude fiscale, que l'administration des finances gardait jalousement le monopole du déclenchement des poursuites pénales contre les fraudeurs.
Au fil du temps, les oppositions à ce système se sont multipliées, dénonçant son opacité et le suspectant de ne pas suffisamment garantir l'équité entre les contribuables. Leur but : faire sauter le " verrou de Bercy ". La réforme en cours de discussion au parlement montre que le vieux mécanisme sait encore opposer une certaine résistance aux tentatives d'effraction.
L'adoption, le 25 juillet, par la commission des finances de l'Assemblée nationale d'un amendement au projet de loi sur la fraude fiscale met de l'huile dans les rouages pour dégripper le verrou de Bercy, sans toutefois le faire sauter totalement. La réforme a le mérite de trouver un équilibre entre exigence de transparence et nécessité d'efficacité.
Jusqu'à présent, seule l'administration fiscale pouvait transmettre un dossier au parquet, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF). Cette prérogative était justifiée par la volonté d'optimiser le recouvrement des infractions. En clair, une bonne négociation vaut mieux qu'une procédure judiciaire longue et aléatoire.
La règle du
" non bis in idem ", qui implique qu'un contribuable ne peut-être sanctionné deux fois, par l'administration et par la justice, prive de fait cette dernière d'intervenir dans l'immense majorité des affaires. Sur les 15 000 dossiers se traduisant par de lourdes pénalités, seul un millier est ainsi transmis à la CIF, avant que le parquet ne soit saisi dans 95 % de ces cas.
Mais la multiplication des scandales d'évasion fiscale et de fraude au sortir de la crise financière n'a fait que souligner l'incohérence qui pouvait parfois exister entre la gravité du délit et le régime dérogatoire autorisé par le verrou de Bercy. De ce point de vue, l'affaire Cahuzac a été emblématique. La justice n'avait pu lancer des poursuites contre l'ex-ministre du budget que par un moyen détourné : pour blanchiment de fraude fiscale et non simple fraude fiscale.
La réforme répond à cette attente légitime en obligeant désormais à transmettre les dossiers les plus graves à la justice (au-delà de 100 000 euros, notamment), selon des critères définis par la loi. Par ailleurs, le juge pourra lui-même se saisir, s'il découvre un cas de fraude connexe en enquêtant sur une première affaire. Enfin, c'est désormais le parquet qui examinera l'opportunité des poursuites, mettant ainsi fin à cette situation où l'administration se substituait à lui.
En théorie, la réforme devrait permettre un doublement du nombre de dossiers qui sont adressés à la justice. Certains estiment que les avancées sont trop timides, pointant notamment le fait que le contrevenant pourra toujours plaider coupable et éviter ainsi un procès grâce à un règlement financier à l'amiable.
L'argument est recevable, mais, en même temps, il aurait été inconséquent de basculer dans une juridicisation à tous crins. Permettre au parquet d'engager mécaniquement des poursuites sans plainte préalable de l'administration aurait exposé au risque de saisir le juge pénal d'un nombre excessif de petites affaires, alors que les tribunaux sont déjà surchargés. Le pragmatisme l'a emporté. Le verrou est mort, vive le verrou.
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