Au début de juillet, Andres Manuel Lopez Obrador a provoqué un tsunami électoral au Mexique. L'ancien maire de Mexico (2000-2005), que l'on surnomme par ses initiales, " AMLO ", a remporté la présidentielle avec 53 % des suffrages. Son Mouvement de régénération nationale (Morena) a aussi décroché une majorité absolue au Congrès. Cette victoire écrasante marque un virage à gauche inédit depuis trois décennies.
Le président élu ne prendra ses fonctions que le 1er décembre. Mais AMLO a déjà annoncé son ambitieux programme réformateur. Il promet la
" quatrième transformation du Mexique ", après l'indépendance de 1810, la réforme (instaurant la laïcité) de 1857 à 1861 et la révolution de 1910. Le sexagénaire à la fibre sociale représente une " gauche nationaliste " qui prône un Etat interventionniste, redistributeur des richesses. Son projet prévoit de combattre les inégalités criantes provoquées par les politiques néolibérales instaurées depuis trente ans par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre, au pouvoir) et le Parti action nationale (PAN, droite).
Sa priorité est la lutte contre la corruption qui permettrait de récupérer 500 milliards de
pesos (22,8 milliards d'euros)
par an. Le tout associé à un programme d'austérité, incluant une réduction drastique des salaires des hauts fonctionnaires, dont le sien, pour collecter entre 200 milliards et 300 milliards de pesos. Ces sommes seraient allouées au développement du marché intérieur, à la hausse de salaire minimum (88 pesos par jour actuellement, soit 4 euros), à des programmes sociaux et à la gratuité de la santé et de l'éducation. Des projets qui assureraient, sans hausse des impôts ni de la dette publique, une croissance de 4 % à 6 %, contre 2 % en moyenne ces six dernières années, pour réduire la pauvreté qui frappe quatre Mexicains sur dix.
TRANSITION PACIFIQUESon autre chantier phare est de " pacifier le pays ". La guerre contre les cartels de la drogue a mis le pays à feu et à sang (29 000 homicides en 2017, un record). AMLO propose une " recette mexicaine ", dont une amnistie des petits délinquants et des cultivateurs de marijuana et de pavot. Il se dit aussi prêt à légaliser les drogues. Ces réformes seront débattues par des experts avant d'être soumises au vote du Congrès, acquis au prochain président. La coalition menée par son parti, Morena, dispose de 303 des 500 sièges de député et 70 des 128 postes de sénateurs.
Candidat malheureux aux scrutins de 2006 et 2012, l'éternel opposant a incarné la soif de changement des électeurs. Le 1er juillet, les Mexicains ont rejeté en bloc le régime du PRI. L'ancien parti hégémonique de 1929 à 2000 est revenu au pouvoir de 2012 à 2018, après douze ans d'alternance du PAN qui a maintenu un système clientéliste et corrompu. La débâcle de ces deux partis laisse les -coudées franches à AMLO.
Sa légitimité incontestable a -renforcé la démocratie électorale, malmenée par des accusations de fraudes lors des précédents scrutins. Ses deux principaux -adversaires, Ricardo Anaya (22 %) à la tête d'une coalition droite-gauche, et José Antonio Meade (16 %), candidat du PRI, ont immédia-tement reconnu leur défaite. Le président sortant, -Enrique Peña Nieto, assurait au gagnant une transition ordonnée et pacifique. Même les grands patrons, qui avaient multiplié les attaques contre AMLO durant la campagne, lui ont accordé leur confiance.
La relation semble aussi courtoise avec son futur -homologue américain, Donald Trump, qui a cessé, depuis le 1er juillet, d'injurier les Mexicains sur Twitter. Ce dernier s'est déclaré
" prêt à travailler " avec AMLO, envoyant à Mexico une délégation de haut niveau pour rencontrer le vainqueur du plus important scrutin de l'histoire mexicaine.
Morena, créé quatre ans plus tôt, a gagné les élections législatives mais aussi les municipales et les régionales, organisées le 1er juillet. Pour remporter ce grand chelem, AMLO a joué la carte du pragmatisme face à une gauche divisée. Son alliance avec les conservateurs du Parti rencontre sociale (PES, évangélique) a fait grincer des dents. A l'instar des nombreux transfuges du PRI et du PAN qui ont rejoint les rangs de Morena, devenu la première force politique du pays.
Un tel pouvoir inquiète ses détracteurs qui le taxent de
" populiste autoritaire ". Certains l'associent à Hugo Chavez, le dirigeant vénézuélien défunt. Cette comparaison ne tient pas. L'ancien édile de Mexico ne remet pas en cause le capitalisme et n'a jamais été militaire. Les membres annoncés de son prochain gouvernement sont d'ailleurs tous des modérés.
Mais la domination politique de Morena, devenu un parti " attrape tout " faisant le grand écart entre les conservateurs et l'extrême gauche, pourrait instaurer un nouveau régime de parti hégé-monique, sur le modèle du PRI, dont AMLO a été membre jusqu'en 1988. Sa décision de garder la main sur la nomination du prochain procureur a déjà provoqué une levée de boucliers des organisations de la société civile qui réclament l'autonomie de la justice. Sans compter sa communication verticale. AMLO ne donne pas d'interview, se contentant de -déclarations quasi quotidiennes.
L'intéressé justifie son hyper-activité par l'ampleur des défis à relever pour transformer des institutions minées par la corruption. Sa " recette " contre l'insécurité fera-t-elle mouche auprès des barons de la drogue, devenus des seigneurs féodaux sur des territoires entiers ? Des doutes planent aussi sur la viabilité de son programme interventionniste sans hausse d'impôts. Le temps presse pour AMLO. 61 % des Mexicains espèrent des changements tangibles d'ici moins d'un an (sondage -Mitofsky). Un vote sanction aux législatives de 2021 ruinerait ses possibilités de réformes, faisant perdre à la gauche mexicaine une opportunité historique.
Frédéric Saliba
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