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dimanche 29 juillet 2018

Après l'accord avec Washington, Bruxelles doit préparer un plan B

 
28 juillet 2018

Après l'accord avec Washington, Bruxelles doit préparer un plan B

A la suite de la rencontre entre Donald Trump et Jean-Claude Juncker, les Européens doivent rester vigilants, car l'administration Trump entend toujours casser l'ordre commercial multilatéral, estiment le chercheur Charles Kupchan et le journaliste Edward Alden

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Au cours de leur rencontre, le 25  juillet, le président Donald Trump et le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker ont désamorcé, en tout cas pour l'instant, la menace de guerre commerciale entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Les deux dirigeants sont convenus de travailler ensemble pour éliminer les barrières entravant les échanges commerciaux. L'Europe s'est engagée à acheter plus de soja et de gaz naturel américains.
C'est une bonne nouvelle. Les deux parties se parlent. Une trêve sur l'instauration de nouveaux droits de douane a été conclue. Et plutôt que de qualifier l'UE d'" ennemi " comme il l'a fait lors de son récent déplacement en Europe, Trump s'est montré optimiste, annonçant " une nouvelle phase dans les relations entre les Etats-Unis et l'Union européenne ".
Pourtant l'Europe devrait se méfier. Bruxelles doit absolument s'engager dans des négociations commerciales avec Washington. Mais les Européens -devraient garder à l'esprit la versatilité de Trump ainsi que son apparente détermination à démanteler l'ordre commercial multilatéral actuel. Le discours accommodant de Trump, il y a deux jours, n'a peut-être été qu'une manœuvre tactique visant à s'assurer le soutien des producteurs de soja américains qui pâtissent des représailles chinoises aux droits de douane américains. En outre, renégocier un nouvel accord commercial -transatlantique soulève de formidables obstacles.
L'administration Obama et l'UE ont travaillé sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement pendant des années pour un résultat nul. Et Trump a déjà fait savoir qu'il souhaitait instaurer de nouveaux droits de douane sur les importations de véhicules européens. L'UE doit donc élaborer un plan B. L'Europe et ceux de ses partenaires qui partagent son point de vue devraient définir une feuille de route afin de préserver l'ordre commercial multilatéral que Trump semble tellement impatient de saborder. Il faudrait notamment que l'UE, le Japon, le Canada et d'autres pays, qui jusqu'à présent se sont contentés d'être les avocats passifs d'un système commercial fondé sur des règles, s'en fassent les champions militants et se servent de l'ordre multilatéral existant pour remédier aux inégalités du commerce mondial que dénonce à juste titre Donald Trump.
enrayer l'escaladeLa guerre des droits de douane que Trump a lancée menace d'entraver les échanges et la croissance, et de porter des coups irréparables au système commercial. Il apparaît en effet que l'administration actuelle étudierait la façon dont les Etats-Unis pourraient se retirer de la pièce maîtresse de ce système : l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Depuis sept décennies, un ordre commercial institutionnalisé a permis de diminuer les droits de douane et a impulsé la croissance la plus rapide de l'histoire humaine. Ce bilan contraste avec ce qui se passait auparavant : entre 1919 et 1939, les mesures protectionnistes avaient alimenté le nationalisme économique qui a contribué à déclencher la guerre en 1939.
Il est possible que des accords dans le genre de celui qu'ont négocié Trump et Juncker cette semaine parviendront à enrayer l'escalade. Mais c'est peu probable. S'ils entendent enrayer cette spirale,-l'Europe, le Canada, le Japon et les autres démocraties partageant un point de vue similaire doivent adopter une stratégie alternative autre que les représailles au coup par coup. Cette stratégie alternative doit s'organiser autour de trois axes.
Tout d'abord, faire en sorte que toute négociation d'accord commercial se -déroule dans le cadre de l'OMC. Trump voudrait mener ce genre de discussions dans un cadre bilatéral, car il pense qu'un tel format procure aux Etats-Unis une position avantageuse dans les négociations. Mais les autres pays devraient répondre aux légitimes préoccupations américaines d'une façon qui renforce, et non affaiblisse un ordre fondé sur des règles. Pour réparer le système, il faut travailler à l'intérieur du système, pas en dehors de lui.
En deuxième lieu, centrer la discussion sur la question qui gêne et dont personne ne parle – la Chine. Oui, on peut rendre plus équitable le commerce en Amérique du Nord et à travers l'Atlantique, cela ne demande que quelques ajustements. Le point de loin le plus épineux sera de parvenir à convenir d'un règlement commun avec la Chine, dont l'économie sous contrôle de l'Etat fausse le commerce mondial. Il faut imposer de nouvelles règles pour réduire les subventions à l'industrie chinoise, empêcher les transferts forcés de technologie et réprimer le vol de propriété intellectuelle. Pour affronter la Chine, les Etats-Unis devront travailler avec l'UE et leurs autres partenaires commerciaux démocratiques – une raison supplémentaire pour que les négociations se déroulent dans le cadre de l'OMC.
Troisièmement, ne pas se contenter de discuter de l'équité du commerce, mais aborder les questions de l'automatisation et de l'avenir du travail. Partout les gouvernements font face au même défi : aider leurs concitoyens à prospérer dans un monde dans lequel la technologie et la concurrence mondiale accroissent les inégalités. Et si les bénéfices de la mondialisation ne sont pas mieux répartis, les pays vont avoir tendance à se protéger de la concurrence en recourant au protectionnisme – ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis.
Depuis 1945, les Etats-Unis sont restés à la barre de l'économie mondiale, qu'ils ont orientée vers plus de prospérité. Or ils viennent d'abdiquer, au moins temporairement, leur rôle de capitaine, abandonnant pour la première fois depuis les années 1930 l'économie mondiale à elle-même. D'autres doivent donc occuper ce vide. Le président Emmanuel Macron a appelé à " retrouver le chemin d'un multilatéralisme fort ", et exhorté l'UE à travailler avec d'autres pays afin de dresser une feuille de route pour relancer de nouvelles négociations à l'OMC. Donnons une chance à un round de négociations commerciales entre les Etats-Unis et l'UE. Mais M. Macron a sans doute raison d'estimer qu'il faut ramener ces négociations dans le cadre de l'OMC. Cette reprise en main est nécessaire avant qu'une nouvelle salve de taxes douanières réciproques ne cause la ruine de l'ordre commercial mondial.
Edward Alden et Charles Kupchan
© Le Monde

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