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dimanche 3 juin 2018

Radicalisation : un fichier inquiète des psychiatres


3 juin 2018

Radicalisation : un fichier inquiète des psychiatres

Une base de données conservera trois ans les noms des malades internés d'office

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Le sujet agite une partie des professionnels de la psychiatrie depuis quelques jours. Le 23  mai, un décret paru au Journal officiel a validé l'extension du fichier des personnes ayant subi des soins psychiatriques sans consentement (Hopsy) dans un but de prévention de la radicalisation. En clair, l'élargissement de la durée de l'enregistrement dans ce fichier de toutes les personnes qui auraient été internées à la suite d'un épisode de fragilité mentale.
Alors que la préservation du secret médical est un sujet sensible chez beaucoup de praticiens, ce décret est l'aboutissement d'une des 60 mesures annoncées dans le dernier plan national de prévention de la radicalisation, dévoilé en février : la mesure 39 en particulier. Dans un langage très technique, celle-ci prévoyait d'" actualiser les dispositions existantes relatives à l'accès et à la -conservation des données sensibles "contenues dans le fichier Hopsy.
Le dernier décret ne crée pas de nouveau fichier, mais il allonge de un à trois ans la durée de conservation des données de toute personne ayant pu être concernée par un internement psychiatrique. Il centralise par ailleurs des données auparavant éparpillées dans les départements. Le fichier Hopsy pourra désormais être -interrogé nationalement. Une évolution qui marque la prise en compte de la dimension psychiatrique observée dans plusieurs passages à l'acte terroriste ces dernières années, comme lors de l'attentat de Nice, en juillet  2016.
" Stigmatisation "" Ce qui nous inquiète c'est la stigmatisation qu'opère cette conservation des données de toutes les personnes ayant pu subir un simple moment dépressif dans leur vie. Le décret ne prévoit aucune possibilité de s'opposer à son enregistrement ", alerte Michel David, psychiatre, président de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire et membre du bureau du principal syndicat des psychiatres ayant une activité hospitalière, le SPH. Selon le docteur David, son syndicat travaille à un recours gracieux auprès du premier ministre et à un référé-liberté au Conseil d'Etat. Une démarche non suivie, à ce stade, par d'autres organisations de praticiens.
Au cabinet de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, on se veut -rassurant : " Il n'y a pas de chan-gement fondamental. Les études montrent qu'une personne qui a été malade risque de rechuter dans une période qui va de un à trois ans. Il fallait donc simplement adapter le fichier à cette réalité. "" La radicalisation n'a pas plus de mono-causalité psychiatrique que de mono-causalité économique ou religieuse, mais la dimension psychologique ne peut pas être totalement écartée ", plaide pour sa part Muriel Domenach, la secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Au ministère de l'intérieur, on avance d'autres intérêts. " L'enjeu n'est pas juste la radicalisation, mais aussi toutes les procédures administratives qui prévoient une consultation préalable d'Hopsy telles que la délivrance d'autori-sations de détention d'armes qui revient aux préfets. " Ces derniers n'auront toutefois pas d'accès direct au fichier. Comme toute une liste de personnes destinataires (procureurs, maires, etc.), ils devront passer par le filtre des personnels habilités des établissements de soins ou des agences régionales de santé (ARS).
Cette extension d'Hopsy s'accompagne de recommandations faites par les ARS aux directeurs d'établissement de santé. Le but : qu'ils signalent dans un délai de moins de vingt-quatre heures les sorties définitives des personnes internées, comme a pu le constater Le Monde dans un courrier du 28  mars, adressé par l'ARS de -Normandie aux directeurs d'établissement. Des recommandations qui s'inscrivent là aussi dans le " renforcement " des relations entre professionnels de santé et préfectures voulu par le plan de prévention de la radicalisation.
Malgré quelques réserves – notamment sur la durée de conservation des données –, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a donné son feu vert, dans un avis du 3  mai, à l'extension du fichier Hopsy.
Elise Vincent
© Le Monde

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