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vendredi 15 juin 2018

Nucléaire : la diplomatie à géométrie variable de Trump


14 juin 2018

Nucléaire : la diplomatie à géométrie variable de Trump

La faiblesse des exigences du président américain sur la Corée du Nord contraste avec son rejet de l'accord, âprement négocié, sur le nucléaire iranien

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En un peu plus d'un mois, Donald Trump a pris deux décisions lourdes de sens pour les Etats-Unis en matière de lutte contre la prolifération nucléaire. Le 8  mai, il a retiré son pays d'un accord multilatéral négocié par son prédécesseur, le démocrate Barack Obama, conclu en juillet  2015 au terme de longues années de tractations pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme atomique. Mardi 12  juin, à Singapour, il a conclu une rencontre historique amorcée trois mois plus tôt avec le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un, par la signature d'un document dont la brièveté a surpris la plupart des spécialistes d'une technologie militaire que Pyongyang assure désormais maîtriser, tout comme celle des missiles.
Le contraste ne se limite pas au fond. La rupture avec l'Iran a été accompagnée par une dénonciation des atteintes aux droits humains dont Téhéran se rendrait coupable, selon un président des Etats-Unis pourtant généralement discret sur le sujet. La rencontre du 12  juin s'est conclue par une longue conférence de presse de M. Trump, au cours de laquelle il a loué son interlocuteur, alors qu'il dénonçait voici un an " un régime brutal ".
" Il est très talentueux ", a-t-il assuré, jugeant que " très peu de gens ", à l'âge de Kim Jong-un, auraient été capables " de prendre en charge une situation comme il l'a fait, et de la gérer, en se montrant dur ". Interrogé sur le sort des prisonniers politiques nord-coréens, il s'est dit convaincu de la volonté de Kim Jong-un de " faire quelque chose ", ajoutant que les victimes du régime comptaient parmi les " grands gagnants "du jour.
La déclaration commune de Singapour, étirée sur deux courtes pages, ne peut pas être plus éloignée des 159 du texte du compromis iranien de 2015, pourtant qualifié par M. Trump de " pire accord " jamais négocié  par les Etats-Unis  et auquel l'actuel locataire de la Maison Blanche a surtout reproché ce qu'il ne concernait pas, comme l'influence régionale de l'Iran ou ses capacités en matière balistiques. Avant de se rendre à Singapour, Donald Trump avait assuré ne pas avoir besoin d'une préparation intensive." C'est d'abord une question d'état d'esprit, de volonté de faire avancer les choses ", avait-il expliqué le 7  juin.
Renversement de perspectiveIl pouvait compter sur une équipe d'experts mise sur pied par le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, composée notamment d'un ancien responsable de la CIA à Séoul, Andrew Kim, et d'un ancien ambassadeur en Corée du Sud, Sung Kim. Mais le président des Etats-Unis a imposé un renversement de perspective réduisant leur apport : créer d'abord une relation personnelle avec son interlocuteur nord-coréen pour laisser ensuite les équipes des deux pays négocier les détails d'une " dénucléarisation " qui reste en l'état incantatoire et définie principalement selon les termes de Pyongyang. Tentant de définir une " doctrine Trump " en matière de politique internationale, le rédacteur en chef du magazine The Atlantic, Jeffrey Goldberg, s'est pour l'instant arrêté à une formule brutale suggérée par un membre de l'administration resté anonyme : " On est l'Amérique, bordel ! "
Fidèle à sa détestation de toute forme de diplomatie collégiale qui, selon lui, bride dangereusement la puissance américaine, Donald Trump a ainsi pris par surprise ses alliés sud-coréens en évoquant mardi la fin des manœuvres militaires conjointes présentées comme " coûteuses " et désormais " inappropriées " et " provocatrices ". Il avait fait de même en balayant les objections de ses alliés européens sur l'Iran, désormais sommés de se ranger derrière Washington en dépit de leurs convictions s'agissant de l'efficacité de l'accord comme de leurs intérêts économiques.
Cette diplomatie non conventionnelle porte la marque de l'entrée en politique de Donald Trump, articulée autour de la stigmatisation des cadres de référence. Sa démarche a été consacrée, selon lui, par une victoire que bien peu de personnes avaient prédite. Elle continue d'alimenter un sentiment d'infaillibilité encore illustré mardi par les propos de Donald Trump sur sa capacité à conclure des " deals "" Je sais quand quelqu'un veut négocier, et je sais quand quelqu'un ne veut pas. Beaucoup de politiques n'ont pas ça. Ce n'est pas leur truc, mais c'est mon truc ", a-t-il assuré.
Comme avec la sortie de l'accord iranien, la " nouvelle ère " évoquée à Singapour va désormais nourrir le récit de la présidence Trump, capable dans le premier cas comme dans le second de rompre avec un consensus présenté comme lénifiant, voire mortifère, pour tracer sa voie. Un récit assez peu éloigné du petit film montré mardi à Kim Jong-un, selon Donald Trump, sacrifiant aux canons les plus éculés de la propagande politique pour vanter les dividendes d'une dénucléarisation.
La rencontre du 12  juin ne permet pas seulement d'éviter le péril d'une escalade militaire et d'une frappe préventive américaine envisagée il y a quelques mois encore, le " processus " engagé pourrait également geler un dossier difficile pendant la durée du cycle électoral qui s'ouvrira après les élections de mi-mandat, en novembre.
" J'ai peut-être tort "Au cours de sa conférence de presse, Donald Trump est revenu sur les transformations que le retrait américain de l'accord nucléaire iranien aurait d'ores et déjà entraînées au sein d'un régime iranien sur la défensive. Pour en tirer un bilan d'étape évidemment positif. Téhéran serait en effet déjà moins tenté, selon lui, d'étendre son influence " vers la Méditerranée " comme " en Syrie ", même si cette conviction peut apparaître particulièrement optimiste.
Après l'incertitude ouverte avec l'Iran, cette assurance et cette confiance en soi revendiquées vont à nouveau être testées avec la Corée du Nord. Tout en assurant n'avoir rien concédé, sinon le bénéfice symbolique pour le dirigeant d'un Etat paria d'une rencontre avec l'homme le plus puissant du monde, Donald Trump a tacitement renoncé à la politique de " pression maximale " – même si les sanctions, dont l'efficacité dépend du bon vouloir de Pékin, restent officiellement en place. Il a remisé l'arme rhétorique illustrée en  2017 par la menace de déchaîner " le feu et la fureur ", tout en ouvrant la voie à une réduction de l'empreinte des forces américaines en Corée du Sud, une vieille revendication nord-coréenne.
Compte tenu des antécédents de la Corée du Nord en matière d'engagements de dénucléarisation, celui du 12  juin reste sujet à caution. Le " processus " peut en effet dériver vers un gel en l'état des capacités nucléaires nord-coréennes et viser leur gestion plutôt que leur élimination. Dans son style inimitable, Donald Trump a d'ailleurs envisagé, mi-ironique, mi-sérieux, l'hypothèse d'un échec. " J'ai peut-être tort. Je veux dire, j'aurai peut-être à me présenter devant vous dans six mois et dire, “J'avais tort”. Je ne sais pas si je l'admettrai jamais, mais je trouverai bien une sorte d'excuse ", a assuré dans une pirouette le président des États-Unis.
Gilles Paris
© Le Monde

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Après le G7, union sacrée au Canada contre le président américain

Justin Trudeau se prépare " à tous les scénarios " pour répliquer à Donald Trump, après un sommet où ce dernier a brusqué ses alliés occidentaux

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Il faut bien quelques satisfactions, ces temps-ci, au premier ministre canadien, Justin Trudeau. L'hôte, les 8 et 9  juin, d'un G7 difficile, attaqué avec virulence par Donald Trump, a savouré, à distance, de faire l'unanimité à Ottawa parmi les députés. Tous partis confondus, ils l'ont félicité, le 11  juin, d'avoir tenu tête au président américain. Les louanges ne se sont pas répétées le lendemain à la Chambre des communes, mais il a tout de même été applaudi quand il a " remercié les députés et les -Canadiens qui ont fait preuve d'unité et de solidarité, au-delà des considérations partisanes ".
Sur la scène politique, où son étoile pâlissait ces derniers mois, le chef libéral a su redorer son image. Sa fermeté face aux prétentions protectionnistes américaines, appuyée par 70  % de Canadiens, selon un sondage d'avant le G7, est saluée même par ses adversaires conservateurs – d'Andrew Scheer, chef du principal parti d'opposition, à l'ex-premier ministre Stephen Harper et au nouveau premier ministre ontarien Doug Ford, dont la province ferait largement les frais d'une détérioration des relations commerciales. On est loin de l'élection de M. Trump qui avait enthousiasmé ces mêmes conservateurs.
" Le Trudeau nouveau est arrivé ", estime Radio-Canada sur son site Internet, ajoutant que sa fermeté et les appuis reçus pourraient l'aider à se présenter comme " le grand défenseur de son pays ", ayant " retrouvé la cape de “capitaine Canada” qui avait si bien servi son père ", l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau.
" Poursuivre le dialogue "Mardi, le premier ministre canadien a fait preuve de prudence à propos de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena), parlant de " discussions fort fructueuses " avec M. Trump au G7, en tête à tête, tout en rappelant la " position ferme " du Canada face aux concessions que demandent les Etats-Unis.
Pas question en tout cas de répondre du tac au tac à M. Trump, qui avertissait mardi que les propos de M. Trudeau (jugeant dimanche " insultants " les droits de douane sur l'acier et l'aluminium canadiens) allaient lui coûter " cher ". Le président américain a répété que les Etats-Unis avaient " un très gros déficit commercial avec le Canada " et a fait planer la menace de taxer les produits laitiers canadiens.
" Nous devons rester calmes et poursuivre le dialogue, malgré le psychodrame ", a cependant déclaré mardi la ministre des affaires étrangères canadienne, Chrystia Freeland, à la veille d'une visite à Washington, où elle tentera de rappeler à ses interlocuteurs l'importance de l'Alena pour les Américains. Mme Freeland rencontrera des membres du Congrès et du comité des affaires étrangères du Sénat et, peut-être, le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer, en plus de recevoir le prix de" diplomate de l'année " du magazine Foreign Policy.
Pour l'heure, l'équipe de M. Trudeau se prépare à " tous les scénarios " de réplique de la part de M. Trump, selon une source proche du premier ministre. Après l'Alena, les importations de bois, d'acier et d'aluminium, c'est l'automobile et les produits laitiers qui aiguisent la colère de l'hôte de la Maison Blanche. Toutes les provinces canadiennes sont ou seront touchées par de nouvelles entraves au commerce transfrontalier, équivalant à 674  milliards de dollars canadiens (440  milliards d'euros) par an.
L'Ontario est particulièrement inquiet pour son industrie métallurgique et son secteur automobile, fortement intégré à celui du Michigan voisin. Souffrant déjà des taxes sur le bois, le Québec vient de débloquer 100  millions de dollars pour aider ses PME de l'aluminium et de l'acier.
Les producteurs canadiens de lait sont aussi sur la défensive. Ils ont rencontré mardi M.  Trudeau. Un échange durant lequel ils ont rappelé au premier ministre que le problème principal du secteur était la surproduction de lait des Etats-Unis. Le premier ministre québécois, Philippe Couillard, a affirmé de son côté que Washington n'a pas de leçons à donner en matière d'aide " massive ", lui qui en accorde à " plusieurs secteurs de son agriculture dont le sucre, le tabac ou l'industrie laitière ".
Anne Pélouas
© Le Monde

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Séoul décontenancé par l'arrêt des manœuvres conjointes

La Corée du Sud n'avait pas été prévenue de l'annonce de Trump

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L'annonce par le président des Etats-Unis, Donald Trump, de son intention de supprimer les exercices militaires organisés par l'armée américaine avec les troupes sud-coréennes a déconcerté toute la région, à commencer par les premiers intéressés. Le commandement des forces armées américaines en Corée a dit dans un communiqué " ne pas avoir reçu de nouvelles lignes directrices sur l'exécution ou la cessation des exercices d'entraînement ", dont le prochain exercice, Ulchi-Freedom Guardian, organisé d'ordinaire au mois d'août.
Si cet engagement se concrétise, M.  Trump aura cédé sur l'une des principales demandes de Pyongyang. La mesure permettra de rassurer le Nord sur la réalité des intentions du président américain, qui en prend note : Kim Jong-un a déclaré qu'il était" urgent " pour la Corée du Nord et les Etats-Unis de cesser " les actions militaires agaçantes et hostiles ". De son côté, Pyongyang n'a plus effectué de tirs de missiles balistiques depuis le 28  novembre 2017.
L'agence de presse KCNA soulignait, mercredi 13  juin, que Donald Trump avait " compris " la demande de la Corée du Nord en abandonnant ces manœuvres militaires. La République populaire démocratique de Corée les voit comme la répétition d'une possible invasion des Etats-Unis pour faire tomber le régime. Le président américain a considéré qu'il relevait du bon sens de ne plus faire de démonstration de force contre un pays dont il se rapproche, qualifiant les exercices de " provocateurs ". Ses détracteurs ne manqueront pas de souligner qu'il n'a pas obtenu de nouvelle contrepartie de la Corée du Nord en échange de ce renoncement.
Le locataire de la Maison Blanche n'a par ailleurs pas jugé nécessaire de prévenir le gouvernement sud-coréen des concessions qu'il s'apprêtait à faire. " A l'heure actuelle, il faut distinguer le sens exact et l'intention des commentaires du président Trump ", a réagi dans la précipitation le ministère de la défense sud-coréen, et ce alors que M. Trump avait échangé la veille par téléphone avec son homologue sud-coréen, Moon Jae-in. La Maison Bleue, siège de la présidence à Séoul, a confié à l'agence Associated Press faire l'exégèse des déclarations de M. Trump pour comprendre.
Solution du " gel pour gel "Ce dernier a rompu avec les éléments de langage habituels qui présentent les exercices comme de nature défensive, routiniers, et nécessaires pour maintenir un niveau de préparation suffisant entre les deux alliés dans une zone de tensions. " C'est quelque chose que - les Nord-Coréens - ont beaucoup apprécié (…). Alors que nous négocions un accord très complet, je pense qu'il est inapproprié de prendre part à des jeux de guerre ", a-t-il lancé en conférence de presse, à l'issue de sa rencontre avec le dictateur. Il contredit ainsi l'engagement pris par son secrétaire à la défense, James Mattis, de maintenir les troupes prêtes au combat.
M.  Trump a surtout utilisé l'argument financier. " Nous économiserons une somme d'argent considérable ", a-t-il ajouté, liant cette concession à une de ses promesses de campagne : réduire la voilure du coût des alliances des Etats-Unis. " Ces jeux de guerre sont très chers, nous avons payé en grande partie, nous envoyons des bombardiers de- la base militaire de - Guam ", a constaté l'ex-homme d'affaires, qui a dit avoir découvert récemment que les avions américains faisaient six heures de vol depuis l'île du Pacifique pour se rendre à ces entraînements.
Les moyens déployés illustrent la capacité de projection inégalée des Etats-Unis, qui inquiète l'armée nord-coréenne  et était une menace existentielle du point de vue du régime : bombardiers nucléaires, avions furtifs et porte-avions. En  août  2017, les exercices avaient duré onze jours et impliqué 17 500  soldats américains et 50 000 Sud-Coréens.
La Corée du Sud et les Etats-Unis avaient accepté en début d'année de décaler d'un mois une autre série d'exercices, prévus entre les Jeux olympiques et paralympiques de Pyeongchang, pour ne pas risquer une escalade durant les festivités. Il avait fallu pour cela que la Maison Bleue insiste auprès de Washington, qui était encore à l'heure de la " pression maximale " sur Pyongyang.
Le président sud-coréen, Moon Jae-in, a préféré retenir que l'accord de Singapour " restera - it - dans l'Histoire comme un événement ayant mis fin à la guerre froide " et rendre hommage à Kim Jong-un et Donald Trump pour " leur  courage et leur détermination ". M.  Moon, partisan de l'apaisement, avait, dès son élection en mai  2017, tendu la main à M. Kim. Ces derniers mois, il semblait demander que ces exercices soient réduits ou que la communication autour des manœuvres soit limitée, pour ne pas donner à Pyongyang des raisons de monter au créneau. Mais Séoul insistait sur le fait qu'ils étaient maintenus.
Donald Trump se range derrière la solution proposée de longue date par la Chine, un " gel pour gel " des essais balistiques et nucléaires nord-coréens et des exercices américano-sud-coréens, que refusaient jusqu'à présent les Etats-Unis, considérant légitimes leurs opérations avec leur allié du Sud. Pékin voyait en ces manœuvres une source de tensions dans la péninsule et un rappel malvenu de l'omniprésence des Etats-Unis à sa périphérie.
Harold Thibault
© Le Monde







14 juin 2018

Le Japon dépassé par le rapprochement Trump-Kim

Partisan de la ligne dure contre Pyongyang, le premier ministre, Shinzo Abe, se retrouve isolé

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Le Japon a été marginalisé dans le processus qui a conduit au -sommet entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président américain Donald Trump, à Singapour, mardi 12  juin. Directement concerné par toute évolution de la situation sur la péninsule coréenne de par sa proximité géographique, Tokyo semble avoir été pris de court, réagissant avec un temps de retard aux initiatives de Donald Trump.
Le premier ministre Shinzo Abe a -salué le sommet comme un " premier pas ", se félicitant que le président américain ait mentionné, au cours des entretiens, la question des Japonais enlevés par les agents nord-coréens dans les années 1970-1980. Il a également déclaré qu'il chercherait à établir un dialogue avec Pyongyang.
Le laconisme du premier ministre est symptomatique de la position inconfortable du Japon : quelles que soient les suites du processus de désescalade amorcé entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC), Tokyo apparaît en retrait par rapport Pékin et à Séoul qui sont partie prenante dans le processus en cours.
A l'avant-garde des partisans de la " pression maximale " sur Pyongyang, M.  Abe a tout d'abord salué, à contrecœur, le " courage " de M. Trump de rencontrer Kim Jong-un puis, à la suite de l'annonce de l'annulation du sommet, n'avait pas caché son soulagement… pour souhaiter, vingt-quatre heures plus tard, le succès de cette rencontre qui finalement aurait bien lieu.
Des volte-face révélatrices de l'impasse dans laquelle se trouve le Japon " Si Tokyo change de position en fonction des orientations américaines, il perdra toute crédibilité d'acteur dans la stabilisation de la région " écrivait le quotidien Asahi Shimbun avant le sommet de Singapour.
Sans avancée sur la question de l'arsenal nucléaire nord-coréen, les entretiens entre Kim Jong-un et Donald Trump suscitent des inquiétudes légitimes au Japon. D'autant que Kim Jong-un a annoncé être prêt à démanteler un site de missiles à longue portée, qui pourraient menacer les Etats-Unis, mais n'a fait aucune mention des engins à moyenne portée visant l'archipel qui sont la première préoccupation du Japon. L'arrêt des manœuvres militaires américano-sud-coréennes décidées par Donald Trump a aussi été un choc pour -Tokyo : ces manœuvres conjointes, comme celles menées par l'armée japonaise et les troupes américaines basées au Japon, sont une démonstration de force accroissant la crédibilité à l'engagement des Etats-Unis à défendre leurs alliés.
Par sa proximité géographique, le Japon est appelé à jouer un rôle dans toute reconfiguration du système de sécurité dans la région. Mais il a aussi des handicaps : une histoire – la colonisation de la péninsule de 1910 à 1945 – qui a laissé des blessures à vif, comme la question des " femmes de réconfort " coréennes contraintes à se prostituer pour l'armée impériale. Avec la RPDC, l'affaire des Japonais enlevés est devenue une entrave à tout dialogue entre Pyongyang et Tokyo. Jouant de l'émotion suscitée par cette question, M.  Abe en a fait l'un de ses chevaux de bataille alors que Pyongyang la considère classée.
Manque d'initiativeCes enlèvements sont dramatiques mais l'insistance de M. Abe à faire du règlement de cette question une priorité tend à isoler le Japon dans les négociations multilatérales avec la RPDC. Ce fut le cas lors des pourparlers à six (Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie) de 2003 à 2009 : ses partenaires avaient d'autres priorités.
L'évolution de la situation dans la péninsule invite le Japon à réfléchir à sa stratégie diplomatique. " La dénucléarisation de la RPDC prendra beaucoup de temps et le Japon doit en profiter pour renforcer sa coopération avec la Chine et les Etats-Unis et ouvrir des canaux de communication avec Pyongyang ", estime Hitoshi Tanaka, ex-vice-ministre des affaires étrangères.
Par son manque d'initiative, le Japon risque de perdre sur deux tableaux, diplomatique et sécuritaire : marginalisé dans la négociation de son allié américain, il peut devenir, en cas de -regain de tension, la cible d'une attaque nord-coréenne, estime Yoichi -Funabashi, président du think-tank Asia Pacific Initiative.
Le Japon n'est pas sans carte en main face à la RPDC : la normalisation des relations entre les deux pays s'accompagnera du versement d'une aide financière importante au titre de compensation pour la colonisation (comme ce fut le cas pour la Corée du Sud lors de l'établissement des relations diplomatiques en  1965).
Mais ce pactole risque de perdre une partie de son attrait pour Pyongyang si la détente se traduit par un afflux de capitaux chinois et sud-coréens. Or, le Japon doit " éviter que les deux Corées n'entrent davantage dans la sphère -chinoise ", fait valoir Narushige -Michishita, de l'Institut national d'études politiques à Tokyo. Cela suppose que le gouvernement Abe se dégage d'un suivisme des Etats-Unis qui, lorsque la cadence s'accélère, le conduit à l'immobilisme.
Philippe Pons
© Le Monde

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