En un peu plus d'un mois, Donald Trump a pris deux décisions lourdes de sens pour les Etats-Unis en matière de lutte contre la prolifération nucléaire. Le 8 mai, il a retiré son pays d'un accord multilatéral négocié par son prédécesseur, le démocrate Barack Obama, conclu en juillet 2015 au terme de longues années de tractations pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme atomique. Mardi 12 juin, à Singapour, il a conclu une rencontre historique amorcée trois mois plus tôt avec le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un, par la signature d'un document dont la brièveté a surpris la plupart des spécialistes d'une technologie militaire que Pyongyang assure désormais maîtriser, tout comme celle des missiles.
Le contraste ne se limite pas au fond. La rupture avec l'Iran a été accompagnée par une dénonciation des atteintes aux droits humains dont Téhéran se rendrait coupable, selon un président des Etats-Unis pourtant généralement discret sur le sujet. La rencontre du 12 juin s'est conclue par une longue conférence de presse de M. Trump, au cours de laquelle il a loué son interlocuteur, alors qu'il dénonçait voici un an
" un régime brutal ".
" Il est très talentueux ", a-t-il assuré, jugeant que
" très peu de gens ", à l'âge de Kim Jong-un, auraient été capables
" de prendre en charge une situation comme il l'a fait, et de la gérer, en se montrant dur ". Interrogé sur le sort des prisonniers politiques nord-coréens, il s'est dit convaincu de la volonté de Kim Jong-un de
" faire quelque chose ", ajoutant que les victimes du régime comptaient parmi les
" grands gagnants "du jour.
La déclaration commune de Singapour, étirée sur deux courtes pages, ne peut pas être plus éloignée des 159 du texte du compromis iranien de 2015, pourtant qualifié par M. Trump de
" pire accord " jamais négocié par les Etats-Unis et auquel l'actuel locataire de la Maison Blanche a surtout reproché ce qu'il ne concernait pas, comme l'influence régionale de l'Iran ou ses capacités en matière balistiques. Avant de se rendre à Singapour, Donald Trump avait assuré ne pas avoir besoin d'une préparation intensive.
" C'est d'abord une question d'état d'esprit, de volonté de faire avancer les choses ", avait-il expliqué le 7 juin.
Renversement de perspectiveIl pouvait compter sur une équipe d'experts mise sur pied par le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, composée notamment d'un ancien responsable de la CIA à Séoul, Andrew Kim, et d'un ancien ambassadeur en Corée du Sud, Sung Kim. Mais le président des Etats-Unis a imposé un renversement de perspective réduisant leur apport : créer d'abord une relation personnelle avec son interlocuteur nord-coréen pour laisser ensuite les équipes des deux pays négocier les détails d'une
" dénucléarisation " qui reste en l'état incantatoire et définie principalement selon les termes de Pyongyang. Tentant de définir une " doctrine Trump " en matière de politique internationale, le rédacteur en chef du magazine
The Atlantic, Jeffrey Goldberg, s'est pour l'instant arrêté à une formule brutale suggérée par un membre de l'administration resté anonyme :
" On est l'Amérique, bordel ! "
Fidèle à sa détestation de toute forme de diplomatie collégiale qui, selon lui, bride dangereusement la puissance américaine, Donald Trump a ainsi pris par surprise ses alliés sud-coréens en évoquant mardi la fin des manœuvres militaires conjointes présentées comme
" coûteuses " et désormais
" inappropriées " et
" provocatrices ". Il avait fait de même en balayant les objections de ses alliés européens sur l'Iran, désormais sommés de se ranger derrière Washington en dépit de leurs convictions s'agissant de l'efficacité de l'accord comme de leurs intérêts économiques.
Cette diplomatie non conventionnelle porte la marque de l'entrée en politique de Donald Trump, articulée autour de la stigmatisation des cadres de référence. Sa démarche a été consacrée, selon lui, par une victoire que bien peu de personnes avaient prédite. Elle continue d'alimenter un sentiment d'infaillibilité encore illustré mardi par les propos de Donald Trump sur sa capacité à conclure des
" deals ".
" Je sais quand quelqu'un veut négocier, et je sais quand quelqu'un ne veut pas. Beaucoup de politiques n'ont pas ça. Ce n'est pas leur truc, mais c'est mon truc ", a-t-il assuré.
Comme avec la sortie de l'accord iranien, la
" nouvelle ère " évoquée à Singapour va désormais nourrir le récit de la présidence Trump, capable dans le premier cas comme dans le second de rompre avec un consensus présenté comme lénifiant, voire mortifère, pour tracer sa voie. Un récit assez peu éloigné du petit film montré mardi à Kim Jong-un, selon Donald Trump, sacrifiant aux canons les plus éculés de la propagande politique pour vanter les dividendes d'une dénucléarisation.
La rencontre du 12 juin ne permet pas seulement d'éviter le péril d'une escalade militaire et d'une frappe préventive américaine envisagée il y a quelques mois encore, le
" processus " engagé pourrait également geler un dossier difficile pendant la durée du cycle électoral qui s'ouvrira après les élections de mi-mandat, en novembre.
" J'ai peut-être tort "Au cours de sa conférence de presse, Donald Trump est revenu sur les transformations que le retrait américain de l'accord nucléaire iranien aurait d'ores et déjà entraînées au sein d'un régime iranien sur la défensive. Pour en tirer un bilan d'étape évidemment positif. Téhéran serait en effet déjà moins tenté, selon lui, d'étendre son influence
" vers la Méditerranée " comme
" en Syrie ", même si cette conviction peut apparaître particulièrement optimiste.
Après l'incertitude ouverte avec l'Iran, cette assurance et cette confiance en soi revendiquées vont à nouveau être testées avec la Corée du Nord. Tout en assurant n'avoir rien concédé, sinon le bénéfice symbolique pour le dirigeant d'un Etat paria d'une rencontre avec l'homme le plus puissant du monde, Donald Trump a tacitement renoncé à la politique de
" pression maximale " – même si les sanctions, dont l'efficacité dépend du bon vouloir de Pékin, restent officiellement en place. Il a remisé l'arme rhétorique illustrée en 2017 par la menace de déchaîner
" le feu et la fureur ", tout en ouvrant la voie à une réduction de l'empreinte des forces américaines en Corée du Sud, une vieille revendication nord-coréenne.
Compte tenu des antécédents de la Corée du Nord en matière d'engagements de dénucléarisation, celui du 12 juin reste sujet à caution. Le "
processus " peut en effet dériver vers un gel en l'état des capacités nucléaires nord-coréennes et viser leur gestion plutôt que leur élimination. Dans son style inimitable, Donald Trump a d'ailleurs envisagé, mi-ironique, mi-sérieux, l'hypothèse d'un échec.
" J'ai peut-être tort. Je veux dire, j'aurai peut-être à me présenter devant vous dans six mois et dire, “J'avais tort”. Je ne sais pas si je l'admettrai jamais, mais je trouverai bien une sorte d'excuse ", a assuré dans une pirouette le président des États-Unis.
Gilles Paris
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