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Crise diplomatique entre Paris et le nouveau gouvernement italien
L'Italie, ulcérée par les déclarations de M. Macron, estime que la France a constamment manqué de solidarité dans la crise migratoire


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Non, monsieur le président, les autres peuvent nous donner des leçons, mais pas vous. " Réagissant à chaud, sur sa page Facebook, aux déclarations virulentes de l'Elysée, deux jours après la décision italienne de fermer l'accès de ses ports à l'Aquarius et aux 629 migrants qu'il a secourus en mer, le journaliste vedette de la télévision berlusconienne Enrico Mentana n'a fait que résumer un agacement partagé par l'immense majorité de l'opinion italienne.
En dénonçant la " part de cynisme " et l' " irresponsabilité " de l'attitude du gouvernement de Giuseppe Conte, Emmanuel Macron a réveillé le souvenir des incidents qui ont émaillé les mois passés. Par la suite, le rappel au droit international du premier ministre, Edouard Philippe, et plus encore la réaction du porte-parole d'En marche !, Gabriel Attal, jugeant l'attitude italienne " à vomir ", ont provoqué une avalanche de réactions courroucées et même à la convocation, mercredi 13 juin, de l'ambassadeur de France au ministère des affaires étrangères.
" Leçons hypocrites "Le communiqué publié par le Palais Chigi, le siège du premier ministre, dans l'après-midi de mardi, était déjà d'une vigueur inhabituelle : " Les déclarations venant de France autour du cas de l'Aquarius sont surprenantes et témoignent d'un grave manque d'informations sur ce qui se passe. L'Italie ne peut pas accepter les leçons hypocrites de pays qui, en termes de migrations, ont toujours préféré tourner le dos à leurs partenaires. " La même note poursuit : " Nous avons reçu un geste inédit de solidarité de la part de l'Espagne. Ce même geste n'est pas arrivé de la France, qui de plus a adopté à maintes reprises des politiques bien plus rigides et cyniques en termes d'accueil. " Plusieurs proches du président du conseil, Giuseppe Conte, ont même laissé entendre, auprès de médias italiens, que l'annulation de la visite en France du chef du gouvernement italien, vendredi, était envisagée. " Le pays le plus en tort par rapport à nous, c'est la France, qui n'a pris jusqu'à présent que 640 migrants quand elle s'était engagée pour 9 610 personnes ", a asséné le ministre de l'intérieur, Matteo Salvini.
" C'est l'hypocrisie de Macron qui est à vomir ", a estimé Giorgia Meloni, la dirigeante des postfascistes de Fratelli d'Italia. Dans le chœur de réactions indignées émanant de la grande majorité des responsables politiques italiens, revenait sans cesse le rappel d'un souvenir récent : celui de l'incident frontalier de Bardonecchia, fin mars. En pénétrant dans des locaux de cette petite gare piémontaise, pour effectuer une analyse d'urine sur un ressortissant nigérian accusé de trafic de stupéfiants, des douaniers français avaient alors déclenché une véritable tempête diplomatique entre les deux pays, le ministère des affaires étrangères du gouvernement Gentiloni convoquant déjà l'ambassadeur de France à Rome pour explications. Une procédure très inhabituelle qui traduisait la colère contre l'attitude des forces de l'ordre françaises dans les zones frontalières, de Vintimille aux cols alpins.
Bonnes parolesDepuis la fermeture progressive des frontières entre les deux pays, en 2014, l'immense majorité des Italiens ont l'impression que l'Italie a été abandonnée par ses partenaires européens. Un sentiment qui a culminé à l'été 2017, quand, au plus fort de la crise migratoire (plus de 100 000 personnes secourues de janvier à juillet), le ministre de l'intérieur, Marco Minniti, avait demandé un geste de solidarité, menaçant lui aussi de fermer ses ports aux bateaux des ONG humanitaires. A l'époque, l'Italie ne s'était attirée en retour que quelques bonnes paroles.
Depuis, l'intensité du flux d'arrivées s'est considérablement affaiblie (80 % d'arrivées en moins depuis le début de l'année 2018), par l'effet d'accords très controversés entre l'Italie et diverses autorités locales libyennes. Mais le Parti démocrate (centre gauche), au pouvoir depuis 2013, a essuyé une cuisante défaite électorale, et son incapacité à obtenir une aide concrète par la voie du dialogue n'est pas pour rien dans l'arrivée au pouvoir de partis extrémistes, qui, désormais, entendent bien faire entendre leur différence.
Jérôme Gautheret
© Le Monde
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Voulu par l'UE, le principe " pays tiers sûr " est jugé inconstitutionnel par le Conseil d'Etat
Le renvoi hors d'Europe des demandeurs d'asile ne peut se faire sans examen du dossier par l'Ofpra


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Toucher au droit d'asile, c'est s'attaquer à " l'identité constitutionnelle de la France ". Le 16 mai, lorsque l'assemblée générale du Conseil d'Etat a adopté un " avis portant sur l'application de la notion de “pays tiers sûr” ", elle voulait rappeler le pays de la -Déclaration des droits de l'homme à ses valeurs. Cette analyse, que Le Monde s'est procurée, pourrait aussi influer sur la position de l'Union européenne sur la question migratoire.
En précisant que notre Constitution interdit de bouter un -demandeur d'asile vers un pays tiers jugé " sûr " sans avoir au préalable étudié son dossier sur le fond, les sept pages signées de la main du conseiller d'Etat -Patrick Stefanini (ancien directeur de campagne de François Fillon lors de la présidentielle de 2017) pourraient infléchir le cours de l'histoire de l'Europe. Pour contrer une opposition interne entre les pays du Nord et ceux du Sud, confrontés aux arrivées de migrants, l'Europe voulait en effet tenter avec son nouveau règlement de décentrer le poids de l'accueil à une ceinture de pays riverains – Turquie, -Maroc, Algérie, Tunisie… et peut-être un jour la Libye.
Mais la France ne pourra pas appliquer ce règlement, sauf à risquer l'inconstitutionnalité, dit le Conseil d'Etat, saisi par -Matignon. L'avis le précise -clairement en rappelant qu' " un règlement européen qui imposerait à la France, et plus précisément à l'Ofpra - Office français de protection des réfugiés et apatrides - , de rejeter comme irrecevable une demande d'asile au motif qu'un pays peut être regardé comme un pays tiers sûr pour le demandeur (…) ne serait pas conforme au quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie la Constitution de 1958 ".
Cet alinéa rappelle que " tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". S'il ne couvre a priori que l'asile dit " constitutionnel ", celui dû aux combattants de la liberté, l'analyse de M. Stefanini aura forcément un effet de contagion sur l'asile conventionnel (celui pour lequel n'est pas invoquée la Constitution, mais la Convention de -Genève) ; d'autant qu'il existe un seul guichet à l'Ofpra.
La France partagéeSi ce règlement en préparation était adopté, tous les pays européens pourraient (ou devraient) renvoyer leurs demandeurs d'asile vers des Etats situés en -dehors de l'Union européenne et désignés comme " sûrs ", où ils solliciteraient un statut de -réfugiés. L'Europe cherche en -effet à imposer ses " pays tiers sûrs " pour -refermer ses frontières, quitte à payer ses voisins pour retenir les migrants. C'est aujourd'hui déjà le cas de la -Turquie.
Depuis le 18 mars 2016, et la -signature de l'accord UE-Turquie, le pays de Recep Tayyip -Erdogan, érigé au rang de " pays tiers sûr ", reprend les migrants passés en Europe depuis ses -côtes. Si l'Allemagne a été l'artisan de cet accord, la France, elle, est restée partagée. Officiellement, elle n'avait pas de dogme clair en la matière et restait de ce fait perméable au souhait allemand de voir fleurir un peu partout des pays tiers sûrs, afin de -limiter les arrivées.
Si des fonctionnaires du ministère de l'intérieur français ont été missionnés en Grèce pour gérer l'accord, l'Ofpra a refusé de participer à des examens de recevabilité fondés sur les pays tiers sûrs dans les îles grecques, et marqué sa réticence à l'égard d'un concept éloigné du droit d'asile.
En 2013, Paris n'avait d'ailleurs pas transposé la directive européenne, qui aurait institué ce concept dans le droit français. Or, en 2018, la situation est différente. Cette fois, la France n'aurait pas le choix de s'y soustraire comme il y a cinq ans, puisque le texte européen n'est plus une directive, mais un règlement communautaire. Or, ce format n'aura pas besoin d'être transposé dans le droit national. Il sera effectif dans tous les pays dès son adoption.
Ce sujet des pays tiers sûrs est revenu sur le devant de la scène à l'automne 2017. En France, ses partisans sont le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, conforté sur cette ligne par la Direction générale des étrangers en France (DGEF) de son ministère, qui -continue à se féliciter de " la conformité générale à la Constitution du règlement en cours de négociation ". C'est encore ce que conclut une note confidentielle de son directeur adressée aux services du premier ministre, que Le Monde s'est procurée. La DGEF, qui souhaite bloquer les flux d'entrée sur le Vieux Continent, reste déçue que le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, ait lui-même biffé le concept de pays tiers sûr de la loi Collomb, avant sa présentation en conseil des ministres le 22 février.
Ce choix était pourtant d'une prudence justifiée, si l'on en croit l'analyse juridique de M. Stefanini. Sans appel, ce texte précise même qu'il faudrait réviser la Constitution pour que notre pays ne rejette pas la greffe des pays tiers sûrs, puisque " seule une loi constitutionnelle pourrait dispenser la France de cette obligation d'examiner les dossiers d'asile au fond ".
A moins, autre porte de sortie proposée, plus praticable peut-être, que le règlement européen ajoute que " les Etats concernés pourront ne pas mettre en œuvre le concept de pays tiers sûr ".
Maryline Baumard
© Le Monde
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Josep Borrell : " L'Europe fait la politique de l'autruche "
Pour le ministre espagnol des affaires étrangères, en désaccord avec la politique de Rome, l'Union européenne " ne peut pas laisser l'Italie seule "


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Le ministre espagnol des affaires étrangères, le socialiste Josep Borrell, en fonction depuis le 7 juin après la chute de Mariano Rajoy, revient, dans un entretien au Monde et à d'autres journaux (Financial Times, Guardian, Stampa etSüddeutsche Zeitung), sur le prochain accueil par l'Espagne, à Valence, des 629 migrants bloqués à bord de l'Aquarius du fait du refus du gouvernement italien de les débarquer sur son territoire.
Matteo Salvini a dit que le geste espagnol est une " victoire ". Que répondez-vous à ceux qui pensent que la décision de l'Espagne d'accueillir l'" Aquarius " justifie les positions les plus radicales anti-immigration en Italie ?Effectivement, c'est une victoire, mais de ceux qui sont sur le bateau, parce que sans la décision espagnole, je ne sais pas où ils seraient. Je ne vais pas critiquer les autorités italiennes. Le problème de l'immigration n'est pas un problème italien, comme il n'était pas un problème grec hier et ne peut pas être espagnol après-demain. Si l'Europe a une frontière extérieure commune, elle ne peut pas laisser l'Italie seule et regarder ailleurs. M. Salvini a été élu sur un programme sur l'immigration que je ne partage pas, mais on ne peut pas dire que c'était inattendu.
Comment s'explique la décision du gouvernement espagnol ?C'est une tentative de générer dans l'Union européenne - UE - une réflexion et surtout une action sur ce que signifie le problème migratoire. L'Europe fait la politique de l'autruche. C'est un problème collectif et il faut l'aborder comme tel. Si nous ne sommes pas capables de prendre les frontières extérieures comme une frontière commune, c'est l'espace Schengen qui va s'écrouler. Il faut une politique commune de l'UE, d'un côté pour les demandeurs d'asile et de l'autre pour ceux qui génèrent un flux migratoire parce qu'ils sont en quête d'une vie meilleure.
Selon un porte-parole du Parti populaire, cette décision peut provoquer un effet d'appel…Il n'y a pas besoin d'appel. J'ai été récemment au Sénégal. L'appel est structurel : c'est le différentiel démographique et de richesse. A court terme, le développement de l'Afrique va augmenter le nombre de candidats à l'immigration de populations dotées de plus de moyens et de capacité, car ceux qui partent ne sont ni les plus pauvres ni les plus faibles. Il faut stimuler le développement mais le développement va encourager dans un premier temps l'immigration, avant que les opportunités créées dans les pays de départ soient suffisantes pour y rester.
L'Espagne a-t-elle donné un exemple à suivre à d'autres pays comme la France ?L'Espagne a pris une décision politique symbolique pour que l'Europe regarde en face les problèmes qu'elle a. Nous ne sommes pas en train de jouer les Don Quichotte.
C'est un premier pas pour accueillir plus de migrants ?L'Espagne est très loin d'avoir rempli les quotas de prise en charge de demandeurs d'asile sur lesquels nous nous étions engagés et nous avons donc de la marge pour agir dans le cadre des décisions prises par l'UE. On peut discuter si ces quotas sont judicieux ou pas. Ce n'est probablement pas suffisant, et ce choix a suscité de grandes tensions au sein de l'UE.
A la frontière sud de l'Espagne, il arrive presque 500 personnes chaque week-end en ce moment et déjà 8 000 depuis le début de l'année. Des organisations humanitaires ont prévenu qu'il y a un manque d'infrastructures en Espagne…Je ne vais pas dire le contraire. Ces derniers mois, j'ai travaillé sur la migration dans le cadre de la Fondation européenne d'études progressistes, le think tank du Parti socialiste européen. Comme président de la commission d'aide au développement du Parlement européen, en 2008, j'ai visité des centres de rétention, qui sont réellement de détention. J'ai constaté les conditions peu acceptables qui y prévalent. Evidemment, il y a un problème à notre frontière.
Avec le changement de gouvernement en Italie, l'Espagne renforce sa position de partenaire fiable en Europe ?Nous devons jouer un rôle plus actif. Les circonstances le permettent parce que les équilibres politiques ont changé. Le Royaume-Uni s'en va. En Italie apparaissent des partis eurosceptiques. En France, si nous additionnons les votes de Mélenchon et de Le Pen, ce n'est pas non plus fantastique. Et on connaît la dynamique de l'Europe de l'Est. L'Espagne peut modestement jouer un rôle pour promouvoir l'intégration de l'Europe, parce que nous sommes convaincus que notre avenir passe par la construction européenne.
Etes-vous plus proche des positions de Macron ou de Merkel ?Je préfère définir mes positions de manière autonome. Mais M. Macron a mis sur la table des propositions auxquelles j'adhère personnellement mais je ne suis que ministre des affaires étrangères. J'ai été agréablement surpris par les récentes déclarations du ministre des finances allemand, qui parle de renforcer la stabilité de l'euro avec des instruments collatéraux dont un complément européen aux assurances-chômage. Il faut stabiliser l'euro pour éviter qu'il y ait une nouvelle crise.
propos recueillis par Sandrine Morel
© Le Monde
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Merkel et son ministre de l'intérieur s'opposent sur les réfugiés


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Rien ne va plus entre Angela Merkel et son ministre de l'intérieur, le conservateur bavarois Horst Seehofer (CSU). Après avoir reporté la présentation, prévue mardi 12 juin, de son " plan global " visant à durcir la politique sur l'asile, M. Seehofer a décidé de bouder, mercredi, le dixième sommet sur l'intégration, organisé à la chancellerie. Il devait être représenté par un secrétaire d'Etat. Le ministre a préféré s'entretenir avec Sebastian Kurz, le chancelier conservateur autrichien allié à l'extrême droite, de passage à Berlin. Tout un symbole.
Le désaccord entre Mme Merkel et son ministre porte sur les migrants déjà enregistrés dans un autre Etat européen. Pour M. Seehofer, aucun d'eux ne doit plus pénétrer en Allemagne, et ceux qui s'y trouvent déjà doivent être reconduits à la frontière. Il s'agit d'une lecture stricte du règlement de Dublin, selon lequel un migrant doit déposer sa demande d'asile dans le pays où il est entré en premier. Mme Merkel s'oppose à un tel systématisme. Depuis la crise de 2015, son gouvernement a l'habitude de traiter les demandes d'asile sur le territoire allemand et de ne renvoyer les personnes concernées qu'une fois achevé l'examen de leur dossier. Favorable à une réforme du règlement de Dublin, la chancelière ne veut pas que l'Allemagne agisse " unilatéralement ", afin de ne pas compliquer les négociations sur la future politique migratoire de l'UE. Sur le front intérieur, Mme Merkel doit aussi tenir compte de ses alliés sociaux-démocrates, vent debout contre M. Seehofer.
Aucun " compromis boiteux "Ce bras de fer entre Mme Merkel et M. Seehofer n'est pas le premier. Le président de la CSU est un adversaire résolu de la politique d'accueil des réfugiés décidée par la chancelière. Plus d'une fois, il a menacé de rompre l'alliance historique entre son parti et la CDU de Mme Merkel. Mais il est toujours rentré dans le rang. Aujourd'hui, M. Seehofer se sait en position de force face à la chancelière. A quatre mois des élections régionales en Bavière, la montée du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) l'encourage à tenir un discours de grande fermeté. Mardi, une réunion du groupe CDU-CSU au Bundestag lui a montré qu'il comptait aussi de nombreux soutiens dans le parti d'Angela Merkel, notamment chez des élus d'ex-Allemagne de l'Est, confrontés eux aussi à une forte poussée de l'AfD.
Les prochains jours seront déterminants pour l'avenir de la " grande coalition " mise en place il y a trois mois. Mardi, M. Seehofer a déclaré que son intention était de trouver une " solution ". Mais il a prévenu qu'il n'accepterait aucun " compromis boiteux ". Pour la chancelière, il s'agit de la première véritable épreuve de son quatrième mandat.
Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
© Le Monde
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