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samedi 16 juin 2018

Le gaz renouvelable, nouvelle production agricole


15 juin 2018

Le gaz renouvelable, nouvelle production agricole

Des cultivateurs français alimentent le réseau de gaz naturel avec du biométhane pour accroître leurs revenus

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Masquées par un rideau d'arbres, deux énormes cuves aux teintes boisées, à demi enterrées, tentent de se fondre dans le paysage. Impossible pourtant de dissimuler ces citernes de la taille de quatre bassins olympiques. Au reste, Pierre-Henri Roland, président de la société Valois Energie, est fier de faire visiter cette installation flambant neuve. Ici, sur un site de 2,5 hectares de la commune de Senlis (Oise), germe une nouvelle filière énergétique, industrielle et agricole : celle de la production de biogaz destiné non pas à être brûlé pour générer de la chaleur ou de l'électricité (ou les deux en cogénération), mais à être injecté dans le réseau de gaz naturel.
A l'origine du projet, quatre agriculteurs de la région désireux de relancer leur activité, relate l'entrepreneur aux allures de gentleman-farmer qui, après des études de biologie et un début de carrière dans le recyclage de ferraille, a repris l'exploitation familiale où il fait pousser céréales, colza et betteraves. " Nous étions dépendants des aides européennes et des cours mondiaux des céréales et des engrais, explique-t-il. Ces dernières années, nous ne gagnions plus d'argent, quand nous n'en perdions pas. Maintenant, notre travail nous permet à nouveau de vivre. "
La recette ? Une unité de méthanisation, l'une des plus grosses de l'Hexagone dévolues à l'injection de gaz. Elle est alimentée, pour 20 %, par des " cultures intermédiaires à vocation énergétique " : du maïs d'été ou du seigle d'hiver cultivés entre deux récoltes de blé et de betteraves, ou de colza et de tournesol. Le reste provient du secteur agroalimentaire (pulpe de betteraves, drêches de blé, déchets d'oignons), à l'exclusion des effluents d'élevage (fumier et lisier), afin d'éviter les nuisances olfactives.
Un " estomac " de 6 000 m3Cette matière organique, après être passée dans un malaxeur, macère environ cinquante jours, à 40  °C, dans un digesteur – un " estomac " géant de 6 000  m3 –, où elle est dégradée par des bactéries. Il en résulte du biogaz, composé, ici, à 53 % de méthane (CH4) et à 47 % de gaz carbonique (CO2). Après filtration par un système de membranes, le CO2 est relâché dans l'atmosphère, tandis que le CH4 rejoint, à l'entrée du site, le réseau de distribution de gaz de GRDF.
Depuis août 2017, ce sont 200  m3 de gaz par heure qui sont ainsi injectés dans les tuyaux, vers la commune de Senlis et le village voisin de Chamant. Soit l'équivalent de la consommation annuelle, en chauffage et eau chaude, d'environ 2 000 foyers. A terme, la ville de Chantilly devrait être raccordée à la boucle, avec une production portée à 400  m3/heure.
Les quatre associés se sont endettés pour financer un investissement de 6,2  millions d'euros, avec une subvention de 700 000  euros du Fonds européen de développement régional. La dépense sera amortie " en sept ou huit ans ", escompte Pierre-Henri Roland. Cela, grâce à la vente du biométhane à Engie (ex-GDF Suez), à un tarif garanti sur quinze ans, qui génère un chiffre d'affaires mensuel de 165 000  euros.
La rentabilité n'est pas leur unique motivation. " Les cultures intermédiaires nous permettent de valoriser nos exploitations, mais aussi de maintenir une couverture végétale permanente qui, grâce à la photosynthèse, accumule le maximum d'énergie à l'hectare, vante le président de Valois Energie. Le CO2 relâché en fin de processus est celui capté par les plantes, si bien que le bilan est neutre. "
S'y ajoute, à raison de 10 000 tonnes de matière végétale " digérées " par an, la production de la même quantité de digestat, le résidu du processus de méthanisation. Un " jus de plante " qui remplace avantageusement les engrais chimiques, même si, souligne France Nature Environnement, " on manque encore de recul sur l'impact de ce type de fertilisant sur les sols ".
Ces arguments, ainsi que de multiples réunions publiques, ont fini par balayer les craintes de certains élus ou riverains, qui s'inquiétaient des odeurs, du trafic des camions acheminant la matière première, ou des risques inhérents à une installation gazière. Pascale Loiseleur, maire (DVD) de Senlis, voit aujourd'hui dans ce méthaniseur agricole le symbole qu'" une ville chargée d'histoire, berceau des Capétiens ", peut se tourner " vers la transition énergétique et le développement durable ".
Pierre-Henri Roland, quant à lui, dit ne s'être " jamais senti autant agriculteur " que dans ses habits d'" énergiculteur ". " L'agriculture n'a pas seulement vocation à nourrir la planète, défend-il. Elle l'habille déjà, avec le coton et le lin. Elle peut aussi lui fournir de l'énergie. C'est également une façon de recréer du lien entre le monde rural et le monde urbain : les paysans nourrissent les citadins et, en plus, ils vont les chauffer. " A condition, précise-t-il, de ne pas reproduire les excès de l'Allemagne, où les champs de maïs sont massivement affectés à la méthanisation, au détriment de la production alimentaire. En France, la réglementation plafonne à 15  % de l'approvisionnement des méthaniseurs la part des cultures consacrées.
361 projets en attenteOutre-Rhin, plus de 200 unités injectent déjà leur gaz renouvelable dans les réseaux. Cette filière fait encore ses premiers pas dans l'Hexagone où, sur les 592 sites de production de biogaz recensés fin 2017, seulement 44 alimentaient les réseaux de gaz naturel, les autres étant destinés à la production de chaleur et d'électricité. Mais la croissance est rapide : ils n'étaient que 26 en  2016, et 361 nouveaux projets sont en file d'attente.
Si le gaz renouvelable ne représente encore que 0,1 % de la consommation nationale de gaz naturel, la proportion pourrait grimper à 30 % d'ici à 2030, assurent le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et les industriels du secteur, dans leur dernier panorama annuel. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a même bâti un scénario qui prévoit un " gaz 100  % renouvelable en  2050 ". Ce qui éviterait, à cet horizon, l'émission de 63  millions de tonnes de CO2 par an (environ 13 % des émissions actuelles de la France), par substitution de gaz renouvelable au gaz naturel d'origine fossile.
Les fermiers-gaziers de Senlis veulent faire leur part du chemin. Non contents de " cultiver " du biogaz, ils projettent d'en transformer une partie en carburant et d'installer des stations de " BioGNV " (gaz naturel véhicule). Et ils prévoient de mettre en service cet été, à Coudun, près de Compiègne (Oise), un second méthaniseur.
Pierre Le Hir
© Le Monde

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