Dans cette région du nord-est de l'Allemagne, plate et peu peuplée, ni usines ni camions ne viennent perturber la rumeur du vent dans les prés. La Prignitz, à quelques kilomètres de la frontière polonaise, est connue pour ses lacs sablonneux, ses forêts et la vigueur de ses rafales.
Ce vent est devenu un atout économique pour le land de Brandebourg, qui, à défaut d'industrie, mise depuis longtemps sur les retombées des énergies renouvelables. Plus de 3 500 éoliennes sont installées sur son territoire, à côté de nombreuses fermes solaires. Avec un défaut de taille : en raison de sa faible structure économique, la région produit trois fois plus d'électricité verte qu'elle n'en consomme. Et le courant produit doit être transporté à des centaines de kilomètres avant d'être utilisé. Un problème classique en Allemagne.
De quoi encourager les subventions locales et européennes pour trouver une solution technique à ce problème. Depuis 2013, dans le cadre d'un partenariat industriel international appelé Store & Go, le groupe énergétique Uniper expérimente ainsi dans la région, à Falkenhagen, un procédé dit
" power to gas " (du courant électrique au gaz), capable de résoudre l'intermittence de la production des énergies renouvelables, en transformant de l'électricité d'origine éolienne en gaz.
L'enjeu ? Parvenir à stocker l'électricité verte à long terme, afin de compenser son intermittence, en particulier entre l'été et l'hiver. Autrement dit, pouvoir assurer un approvisionnement constant, même quand le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas, et ainsi convaincre les industriels de la capacité des renouvelables à remplacer durablement, à l'avenir, les énergies fossiles. Une question urgente, alors que l'Allemagne, qui produit près de 30 % de son mix énergétique avec des renouvelables, devrait manquer les objectifs de réduction de gaz à effet de serre qu'elle s'est fixés
pour 2030.
Un dispositif piloteA Falkenhagen, tout a commencé par l'hydrogène. Grâce à l'électrolyse, procédé qui décompose l'eau en molécules d'oxygène et d'hydrogène. Ce dernier gaz, récupéré, est ensuite stocké dans le réseau de gaz naturel local avant d'être retransformé. Une technique risquée, en raison de la forte instabilité du gaz, très explosif. Début mai, Falkenhagen s'est enrichi d'un dispositif pilote, qui permet de contourner le problème : dans une nouvelle réaction chimique, les catalyseurs combinent l'hydrogène produit avec du dioxyde de carbone d'origine biologique afin d'obtenir du méthane et de l'eau, c'est la " méthanation ".
Avantage de ce méthane " vert " de synthèse : il peut être directement utilisé dans l'industrie, pour le chauffage ou la mobilité, sans transformation ni danger de manipulation. C'est aussi un moyen d'utiliser le CO2 produit par l'industrie, par exemple, dans les cimenteries ou les aciéries. L'infrastructure gazière, déjà présente, peut servir au stockage et au transport. L'installation est, pour l'instant, de petite taille : elle produit jusqu'à 57 m3 par heure de ce gaz, appelé gaz naturel synthétique, ce qui correspond à 600 kW/h. De quoi chauffer un appartement de 50 m2 pendant un mois, affirment les exploitants du projet.
Audi a sa propre centraleL'Allemagne compte à présent une vingtaine de sites d'expérimentation consacrés au
" power to gas ", qui visent divers objectifs. Dans le secteur automobile, crucial pour le pays, le constructeur Audi possède sa propre centrale
" power to gas " et mène des essais pour utiliser à terme le méthane vert comme carburant. La ville de Hambourg, qui dispose de trois installations, fait déjà rouler des bus à l'hydrogène. Selon Michael Specht, expert du centre de recherche sur l'énergie solaire et l'hydrogène (ZSW), qui a accompagné Audi dans la construction de sa centrale,
" la technologie est assez avancée pour qu'une entrée sur le marché soit possible immédiatement ".
Seul problème, le financement à grande échelle de ces infrastructures, actuellement non intégré au système de subvention des énergies renouvelables.
" Nous avons la démonstration que les technologies permettant de transformer des énergies renouvelables en gaz vert sont disponibles, observe Eckhardt Rümmler, directeur en charge de l'innovation chez Uniper.
Il reste maintenant aux responsables politiques d'adapter les conditions cadres afin que les installations “power to gas”
à grande échelle puissent enfin être exploitées de façon rentable. "
Cécile Boutelet
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