Un an après son début, la crise interne aux monarchies du Golfe ne donne aucun signe d'apaisement. La tension entre le Qatar, d'un côté, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn, de l'autre, qui ont rompu leurs relations diplomatiques et économiques avec Doha depuis le 5 juin 2017, n'a peut-être même jamais été aussi vive.
Selon des informations obtenues par
Le Monde, la couronne saoudienne a récemment envoyé un courrier à la présidence française, dans lequel Riyad se dit prêt à mener une
" action militaire " contre le Qatar si ce dernier acquiert, comme il en a exprimé l'intention, le système de défense antiaérien russe S-400.
L'ambassadeur du Qatar à Moscou, Fahad Bin Mohamed Al-Attiyah, avait affirmé en janvier que son pays entendait se doter de ce modèle de missiles antimissiles, considéré comme l'un des plus performants au monde, précisant que les tractations avec le Kremlin étaient à un
" stade avancé ". Un mois plus tard, Riyad avait reconnu à son tour être en lice pour obtenir ces batteries sol-air.
Dans la lettre envoyée à l'Elysée, dont le contenu a été dévoilé au
Monde par une source française proche du dossier, le roi Salman exprime sa
" profonde préoccupation " vis-à-vis des négociations en cours entre Doha et Moscou. Le souverain saoudien s'inquiète des conséquences qu'une installation des S-400 sur le territoire qatari aurait sur la sécurité de l'espace aérien saoudien et met en garde contre un risque d'
" escalade ".
Dans une telle situation,
" le royaume serait prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer ce système de défense, y compris une action militaire ",écrit le monarque, qui conclut son courrier en demandant à Emmanuel Macron son aide pour empêcher la vente et préserver la stabilité de la région.
Le ministère français des affaires étrangères, sollicité par
Le Monde, n'a pas voulu faire de commentaire. Les autorités saoudiennes, également contactées, n'avaient pas réagi samedi matin.
Frénésie d'achats d'armesLes menaces proférées dans la lettre sont symptomatiques de la guerre froide qui déchire depuis un an le Conseil de coopération du Golfe (CCG), le club des pétromonarques de la péninsule Arabique. Le Qatar est accusé par ses voisins de soutenir les mouvements terroristes au Proche-Orient et de faire preuve de complaisance à l'égard de l'Iran, l'ennemi numéro un de Riyad et d'Abou Dhabi.
Placé du jour au lendemain sous un quasi-blocus, l'émirat a amorti le choc en réorganisant à toute vitesse ses filières de ravitaillement et en piochant dans ses très -confortables réserves de change. Les pressions de ses anciens partenaires du CCG constituent, selon le Qatar, une campagne d'intimidation, destinée à le forcer à réaligner sa politique étrangère sur celle de Riyad.
Abou Dhabi et Riyad conditionnent la levée de leur blocus à une série de concessions comme la fermeture de la chaîne Al-Jazira – accusée de faire la promotion des courants extrémistes au Moyen-Orient –, la fermeture de la base militaire turque sur le territoire qatari et la révision à la baisse des relations que Doha entretient avec Téhéran. Des mesures inacceptables pour l'émirat, équivalentes selon lui à un abandon de souveraineté.
Intimement persuadés qu'ils ont échappé de peu à une invasion militaire en juin 2017, les dirigeants qataris se sont lancés depuis cette date dans une frénésie d'achats d'armes, destinée, dans leur esprit, à dissuader leurs voisins. Dans la seconde moitié de l'année 2017, ils ont signé un contrat de 5 milliards d'euros portant sur sept navires de guerre italiens, un autre de 12 milliards pour une trentaine d'appareils F-15 américains et un troisième de 5,5 milliards pour vingt-quatre avions de combat britanniques Typhoon.
Dans cette débauche d'achats, l'acquisition de S-400 russes marquerait un tournant. Une telle transaction rapprocherait subitement Doha de Moscou, en dépit des profondes divergences qui existent entre les deux pays, comme sur le dossier syrien. -Pareille évolution pourrait irriter les Etats-Unis, qui entretiennent une base militaire au Qatar et constituent son pourvoyeur historique en armes.
Egale distanceL'émir Tamim Al-Thani, souverain de Doha, est-il réellement prêt à prendre le risque de se froisser avec le pays dont le soutien lui est indispensable dans la crise en cours ? Cela reste à voir. En juin 2017, immédiatement après la mise en quarantaine de Doha, le président américain Donald Trump avait publié un tweet de soutien à l'initiative saoudo-émirienne.
Mais, dans les semaines suivantes, sous l'influence du Pentagone et du département d'Etat, la Maison Blanche s'était repositionnée à égale distance des frères ennemis du Golfe, empêchant de facto le duo Abou Dhabi-Riyad de prendre des mesures de rétorsion supplémentaires contre Doha.
Les efforts de médiation déployés depuis par Washington ont cependant échoué, comme les démarches de l'émir du Koweït, le cheikh Sabah Al-Ahmed Al-Sabah. Cette paralysie, couplée aux empoignades auxquelles se livrent sur les réseaux sociaux les partisans de l'un et de l'autre camp, entretient un climat propice aux accès de fièvre.
Benjamin Barthe
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