Translate

samedi 16 juin 2018

Financement de campagne : le contrôle mis en cause


15 juin 2018

Financement de campagne : le contrôle mis en cause

Dans une plainte, Anticor dénonce les dysfonctionnements de la commission et le comportement des candidats

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
La succession de révélations publiées, ces dernières semaines, sur les comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle de 2017 a réveillé le débat sur le financement de la vie politique et son contrôle. L'association de lutte contre la corruption Anticor a adressé une plainte, mercredi 13  juin, au parquet de Paris, en lui demandant l'ouverture d'une enquête pour " vérifier la transparence et la probité des comptes ". Dans le même temps, Transparency International réclamait, " sans délai "," une réforme ambitieuse du contrôle du financement de la vie politique ".
La plainte d'Anticor déposée pour " tentatives de détournements de fonds publics ", " abus de confiance ", " abus de biens sociaux ", et violation du principe de l'égalité entre les partis, s'appuie notamment sur les dysfonctionnements qu'ont relevés Mediapart,Le Monde et Radio France après avoir épluché les milliers de factures transmises par Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Vendredi 8  juin,L'Obs évoquait également des rabais conséquents accordés à Benoît Hamon, dont le compte devait être consultable, mi-juin.
" Il n'est toutefois pas question de stigmatiser un candidat en particulier ", précise Jérôme Karsenti, l'avocat d'Anticor, mais de souligner " l'ensemble des dysfonctionnements d'un système qui affectent la démocratie ". Au printemps, une enquête sur le compte de campagne de Jean-Luc Mélenchon avait déjà été ouverte par le parquet de Paris.
Champagne et jet privéAnticor s'attache, tout d'abord, à savoir si certains candidats n'ont pas majoré le prix de certaines prestations " dans le but d'enrichissement personnel ". Ainsi, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le  Pen ont, durant la campagne, fait travailler des proches, ou des sociétés amies. Rien d'illégal à cela, a priori. A moins que les factures de ces prestations aient été volontairement gonflées. " Toute la question est celle du juste prix ", explique Jérôme Karsenti qui évoque " des soupçons de surfacturation " pour la société de Sophia Chikirou, la directrice de campagne de M. Mélenchon. En facturant 1,161  million d'euros de prestations au candidat, le chiffre d'affaires de Media-scop a " atteint des records " pendant la campagne. Or, certaines notes ont fait tiquer la commission, qui en a rejeté certaines.
Le soupçon de tentative de détournements de fonds publics à des fins personnelles (article  433-4 du code pénal) pèse aussi sur -Marine Le Pen. Des prix " particulièrement élevés et surévalués " auraient, par exemple, été pratiqués par les Presses de France dont le patron, Axel Loustau, est aussi conseiller FN à la région Ile-de-France et trésorier de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen.
Les 240 bouteilles de champagne Lanson du meeting d'entre-deux-tours de Marine Le Pen, dans la Somme, facturées 5 155  euros, comme les jets privés affrétés pour 128 950  euros lors d'un déplacement au Tchad, posent également " la question de l'usage de l'argent public en période électorale ", estime l'avocat.
Viennent ensuite les nombreux rabais obtenus par l'équipe d'Emmanuel Macron, et dont la presse s'est largement fait l'écho. Sur ce sujet, les rapporteurs de la commission ont pudiquement relevé  208 984  euros de " dépenses apparemment sous-évaluées ".
Le problème est que certaines n'auraient bénéficié qu'au seul candidat d'En marche ! comme celles de la société GL Events, roi de l'événementiel, dont le patron est un " ami ". Ou encore celles de Jean-Marc Dumontet, le propriétaire de Bobino et du Théâtre Antoine, deux salles parisiennes. Or, si les ristournes trop importantes sont interdites, c'est pour préserver le principe d'égalité entre les candidats. Par ailleurs, ces rabais pourraient s'apparenter à des dons déguisés de personnes morales, ce qui est " totalement proscrit par la loi durant la campagne électorale ", rappelle Me Karsenti.
Au-delà des dysfonctionnements liés aux pratiques des candidats, Anticor interroge également " la responsabilité de la CNCCFP ", sur laquelle repose le contrôle du financement de la vie publique, enjeu majeur pour la démocratie. Après les affaires de financement occulte des années  1990, " un système dont l'apparence nous rassure " a été mis en place, mais cet organe de contrôle fonctionne " sans moyens, sans pouvoir d'enquête, et avec un président payé par l'exécutif ", déplore Anticor. La CNCCFP n'avait rien vu de l'affaire Bygmalion, ce système de fausses factures mis en place par l'équipe de Nicolas Sarkozy en  2012, et avait invalidé des sommes à la marge. Depuis, la CNCCFP peut demander l'aide d'officiers de police judiciaire. Mais tout ceci reste théorique au regard du délai imposé – six mois  – pour qu'elle rende ses avis dont dépend le remboursement par l'Etat des frais engagés par les candidats.
" Indulgence "Cet hiver, les critiques sont arrivées de l'intérieur même de la commission lorsqu'un des rapporteurs du compte de M. Mélenchon a démissionné en dénonçant un système opaque et une procédure jouée d'avance. Anticor reproche enfin " l'indulgence " de certaines décisions.
" La commission n'est pas juge de l'opportunité des dépenses de la campagne ", a plaidé, en février, François Logerot, son président. S'il a rappelé la nécessité d'" être vigilant, bien sûr, quant à la sous-facturation des dépenses ", M.  Logerot a souligné que " la détection de surfacturation des dépenses s'avère beaucoup plus délicate. Les prix de marché censés servir de référence sont fluctuants en raison de la plus ou moins grande -concurrence entre les prestataires ".
Depuis les dernières révélations sur les dépenses de M. Macron, le parti Les Républicains a demandé le réexamen complet du compte. Jean-Luc Mélenchon juge qu'il serait " sain et utile " que la justice s'en mêle. La majorité, elle, reste silencieuse.Seul François Bayrou, furtif garde des sceaux du premier gouvernement d'Edouard Philippe, dénonce une " polémique totalement infondée ".
Puis, dimanche 10  juin, est arrivé ce communiqué de La République en marche (LRM). Deux pages mettant en cause les " pseudo-révélations " de Radio France et s'étonnant que des journalistes consacrent leurs " ressources et - leur - temps à enquêter sur des procédures qui sont closes et qui ont été légalement validées de manière indépendante ". Le compte a été validé, c'est l'argument qu'avait avancé LRM auMonde, début mai, en refusant de répondre aux questions.
Les dépenses d'Edouard Bal-ladur, candidat en  1995, sur lesquelles planent les soupçons de -l'affaire de Karachi, avaient éga-lement reçu l'approbation, du -Conseil constitutionnel à l'époque. Approuvé, aussi, le compte  2012 de Nicolas Sarkozy. On connaît la suite : les révélations de la presse, l'ouverture d'une enquête judiciaire. Et, début février, le juge Serge Tournaire qui ordonne le renvoi de l'ancien président de la République devant le tribunal correctionnel.
Yann Bouchez, Emeline Cazi, et Laura Motet
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire