Tout est allé vite. Samedi 2 juin, le nouveau chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, était attendu à 11 heures au palais de la Zarzuela pour prêter serment devant le roi Felipe VI. La veille, le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSŒ) avait remporté une motion de défiance inespérée contre le conservateur Mariano Rajoy, déposée une semaine plus tôt à la suite de la condamnation du Parti populaire (PP) en tant que bénéficiaire d'un réseau de corruption.
Pedro Sanchez, économiste de 46 ans, a obtenu 180 votes favorables, 169 contre et une abstention au Parlement grâce au soutien d'une myriade hétéroclite de partis, qui se sont alliés exceptionnellement autour d'un objectif commun : renverser Mariano Rajoy.
Tout reste donc à faire pour le nouveau premier ministre espagnol : former son gouvernement, dont il n'a rien dévoilé, si ce n'est qu'il sera
" socialiste, paritaire et européiste ", et surtout exposer sa stratégie politique. Avec un groupe parlementaire réduit, à peine 84 députés sur 350, le dirigeant socialiste doit construire une majorité s'il veut pouvoir gouverner réellement durant les prochains mois, voire tenir jusqu'à la fin de la législature, en juin 2020.
" Incertitude et instabilité "Un objectif impossible, selon le PP.
" L'Espagne a besoin de stabilité et celle-ci ne peut venir ni de -motions de censure, ni de gouvernements intérimaires, ni de successions d'élections ou de gouvernements comme le sien ", l'a averti le porte-parole conservateur -Rafael Hernando, qui l'a accusé d'entrer à la Moncloa (le siège du gouvernement)
" par la porte de derrière " et de constituer
" une menace pour les Espagnols ".
Quant à Ciudadanos (centre droit), le seul parti à avoir voté avec le PP contre la motion de -défiance, il entend faire pression sur le PSŒ pour qu'il organise des élections anticipées au plus tôt.
" Il fallait changer de gouvernement, mais dans les urnes ", a déclaré son président, Albert Rivera, qui a assuré qu'il serait
" vigilant " quant aux concessions de ce gouvernement
" faible " et
" aux mains de tous les partis -séparatistes de la Chambre et des populistes de Podemos ", qui ouvre, selon lui, une
" période d'incertitude et d'instabilité ".
" Le pari de M. Sanchez peut se révéler gagnant ou se transformer en un échec cuisant : il n'y aura pas de demi-teinte, estime le politologue Pablo Simon, professeur à l'université Carlos-III de Madrid.
En accédant à la Moncloa, il gagne une visibilité et une position qui vont lui permettre de renforcer le PSŒ. Mais il devra affronter de nombreux défis. "
La faiblesse de son groupe parlementaire est le plus évident. Mais il n'est pas le seul. M. Sanchez, qui a obtenu le pire score de l'histoire du PSŒ depuis la transition démocratique, lors des élections de juin 2016, risque de souffrir de son absence de majorité au bureau du Parlement, contrôlé par le PP et le parti libéral Ciudadanos, et doté de la capacité d'étirer l'agenda et de retarder les propositions de loi.
Cet ancien joueur de basket au physique de Cary Grant entend évacuer la question délicate du budget, la loi la plus difficile à approuver, en gouvernant avec celui que le PP a approuvé grâce aux voix du Parti nationaliste basque (PNV) et Ciudadanos il y a moins de dix jours,
" par sens de la responsabilité de l'Etat ".
Il devrait plutôt se concentrer sur l'approbation de lois et mesures consensuelles, difficiles à -rejeter par l'opposition, dont il a donné un avant-goût lors de son discours au Parlement, jeudi 31 mai :
" Garantir l'indépendance de la radiotélévision espagnole RTVE ", actuellement présidée par un proche du PP et accusée par ses propres salariés de manipuler l'information ; déroger aux
" aspects les plus virulents de la loi bâillon ",la controversée loi de -sécurité intérieure de 2015, qui limite notamment le droit de manifestation ; approuver une loi de transition énergétique et de changement climatique ; augmenter les prestations sociales ou encore rétablir
" le caractère universel " de la santé publique.
Le dirigeant socialiste devra aussi éviter les pièges que ne manqueront pas de poser ses probables " alliés " qui sont aussi ses principaux rivaux électoraux. Pablo Iglesias, le chef du parti de gauche radicale Podemos, a insisté sur son souhait de participer à un gouvernement de coalition, ce que semble écarter M. Sanchez pour le moment.
" C'est le moment d'être responsable, j'espère que Sanchez sera capable d'articuler un gouvernement fort et stable. J'espère qu'il ne compte pas gouverner avec 84 députés ", a déclaré le leader de Podemos, dont les députés, euphoriques, ont entonné leur célèbre chant de ralliement
Si se puede (" Oui, c'est possible ") du haut des rangs du Parlement.
" Podemos risque de se retrouver dans une position inconfortable, avec la crainte que le PSŒ ne lui vole l'agenda social. Mais contrairement à 2016, ils savent qu'ils ont besoin l'un de l'autre ", estime le politologue Pablo Simon. Pour la gauche radicale, le soutien au socialiste Sanchez est aussi une manière de rattraper son erreur de février 2016, lorsque les deux forces avaient été incapables de s'unir pour détrôner Mariano Rajoy.
Une seconde chanceQui eut cru que M. Sanchez et M. Iglesias auraient une seconde chance ? En 2016, Pedro Sanchez avait livré une âpre bataille avec la présidente socialiste de la région andalouse, Susana Diaz, et d'autres caciques du PSŒ, inquiets de ses tentatives de rapprochement avec Podemos et les indépendantistes catalans et d'un possible
" gouvernement Frankenstein ", selon les termes de
l'ex-secrétaire général du PSŒ, Alfredo Perez Rubalcaba. Cet affrontement s'était terminé par une réunion tendue, ponctuée de cris et de larmes, et la démission forcée de M. Sanchez de la tête du parti.
A la surprise de tous, le tenace Sanchez avait regagné son poste de secrétaire général huit mois plus tard, à l'issue des primaires internes de mai 2017, en misant sur la participation directe des militants aux grandes décisions
. Son objectif était alors de retrouver
" l'essence du socialisme ", de la
" vraie gauche ", et de construire
" une nouvelle social-démocratie " en lutte
" contre le néolibéralisme " et ses
" conséquences économiques et sociales ". Le Sanchez premier ministre s'annonce plus modeste.
Il a promis un gouvernement qui remplira
" ses devoirs européens " et qui
" respecte et fait respecter la Constitution ". Ses priorités :
" La stabilité institutionnelle et la régénération démocratique, la stabilité macroéconomique et budgétaire, la stabilité sociale, professionnelle et environnementale et la stabilité territoriale. " La stabilité : ce dont son gouvernement aura le plus besoin.
Sandrine Morel
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