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dimanche 3 juin 2018

Espagne : la voie étroite du nouveau premier ministre socialiste



3 juin 2018

Espagne : la voie étroite du nouveaupremier ministre socialiste

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 Pedro Sanchez, le dirigeant du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSŒ) et nouveau chef du gouvernement, a prêté serment, samedi 2 juin, devant le roi
Mais les socialistes, qui ont renversé, la veille, le conservateur Mariano Rajoy en fédérant les mécontentements, ne disposent que de 84 députés sur 350
Les Catalans ont saisi l'occasion de faire tomber le gouvernement, mais rappellent que les socialistes " étaient complices de la répression "
 A gauche, Podemos, allié et rival des socialistes, entend entrer au gouvernement, une hypothèse a priori écartée par le PSŒ
Page 2 et débats – page 23
© Le Monde


3 juin 2018

Espagne : la voie étroite de Pedro Sanchez

Doté d'une base très réduite au Parlement, le nouveau premier ministre socialiste doit former son gouvernement

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Tout est allé vite. Samedi 2  juin, le nouveau chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, était attendu à 11  heures au palais de la Zarzuela pour prêter serment devant le roi Felipe VI. La veille, le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSŒ) avait remporté une motion de défiance inespérée contre le conservateur Mariano Rajoy, déposée une semaine plus tôt à la suite de la condamnation du Parti populaire (PP) en tant que bénéficiaire d'un réseau de corruption.
Pedro Sanchez, économiste de 46 ans, a obtenu 180 votes favorables, 169 contre et une abstention au Parlement grâce au soutien d'une myriade hétéroclite de partis, qui se sont alliés exceptionnellement autour d'un objectif commun : renverser Mariano Rajoy.
Tout reste donc à faire pour le nouveau premier ministre espagnol : former son gouvernement, dont il n'a rien dévoilé, si ce n'est qu'il sera " socialiste, paritaire et européiste ", et surtout exposer sa stratégie politique. Avec un groupe parlementaire réduit, à peine 84 députés sur 350, le dirigeant socialiste doit construire une majorité s'il veut pouvoir gouverner réellement durant les prochains mois, voire tenir jusqu'à la fin de la législature, en juin  2020.
" Incertitude et instabilité "Un objectif impossible, selon le PP. " L'Espagne a besoin de stabilité et celle-ci ne peut venir ni de -motions de censure, ni de gouvernements intérimaires, ni de successions d'élections ou de gouvernements comme le sien ", l'a averti le porte-parole conservateur -Rafael Hernando, qui l'a accusé d'entrer à la Moncloa (le siège du gouvernement) " par la porte de derrière " et de constituer " une menace pour les Espagnols ".
Quant à Ciudadanos (centre droit), le seul parti à avoir voté avec le PP contre la motion de -défiance, il entend faire pression sur le PSŒ pour qu'il organise des élections anticipées au plus tôt. " Il fallait changer de gouvernement, mais dans les urnes ", a déclaré son président, Albert Rivera, qui a assuré qu'il serait " vigilant " quant aux concessions de ce gouvernement " faible " et " aux mains de tous les partis -séparatistes de la Chambre et des populistes de Podemos ", qui ouvre, selon lui, une " période d'incertitude et d'instabilité ".
" Le pari de M. Sanchez peut se révéler gagnant ou se transformer en un échec cuisant : il n'y aura pas de demi-teinte, estime le politologue Pablo Simon, professeur à l'université Carlos-III de Madrid. En accédant à la Moncloa, il gagne une visibilité et une position qui vont lui permettre de renforcer le PSŒ. Mais il devra affronter de nombreux défis. "
La faiblesse de son groupe parlementaire est le plus évident. Mais il n'est pas le seul. M.  Sanchez, qui a obtenu le pire score de l'histoire du PSŒ depuis la transition démocratique, lors des élections de juin  2016, risque de souffrir de son absence de majorité au bureau du Parlement, contrôlé par le PP et le parti libéral Ciudadanos, et doté de la capacité d'étirer l'agenda et de retarder les propositions de loi.
Cet ancien joueur de basket au physique de Cary Grant entend évacuer la question délicate du budget, la loi la plus difficile à approuver, en gouvernant avec celui que le PP a approuvé grâce aux voix du Parti nationaliste basque (PNV) et Ciudadanos il y a moins de dix jours, " par sens de la responsabilité de l'Etat ".
Il devrait plutôt se concentrer sur l'approbation de lois et mesures consensuelles, difficiles à -rejeter par l'opposition, dont il a donné un avant-goût lors de son discours au Parlement, jeudi 31  mai : " Garantir l'indépendance de la radiotélévision espagnole RTVE ", actuellement présidée par un proche du PP et accusée par ses propres salariés de manipuler l'information ; déroger aux " aspects les plus virulents de la loi bâillon ",la controversée loi de -sécurité intérieure de 2015, qui limite notamment le droit de manifestation ; approuver une loi de transition énergétique et de changement climatique ; augmenter les prestations sociales ou encore rétablir " le caractère universel " de la santé publique.
Le dirigeant socialiste devra aussi éviter les pièges que ne manqueront pas de poser ses probables " alliés " qui sont aussi ses principaux rivaux électoraux. Pablo Iglesias, le chef du parti de gauche radicale Podemos, a insisté sur son souhait de participer à un gouvernement de coalition, ce que semble écarter M. Sanchez pour le moment. " C'est le moment d'être responsable, j'espère que Sanchez sera capable d'articuler un gouvernement fort et stable. J'espère qu'il ne compte pas gouverner avec 84 députés ", a déclaré le leader de Podemos, dont les députés, euphoriques, ont entonné leur célèbre chant de ralliement Si se puede (" Oui, c'est possible ") du haut des rangs du Parlement.
" Podemos risque de se retrouver dans une position inconfortable, avec la crainte que le PSŒ ne lui vole l'agenda social. Mais contrairement à 2016, ils savent qu'ils ont besoin l'un de l'autre ", estime le politologue Pablo Simon. Pour la gauche radicale, le soutien au socialiste Sanchez est aussi une manière de rattraper son erreur de février  2016, lorsque les deux forces avaient été incapables de s'unir pour détrôner Mariano Rajoy.
Une seconde chanceQui eut cru que M. Sanchez et M. Iglesias auraient une seconde chance ? En  2016, Pedro Sanchez avait livré une âpre bataille avec la présidente socialiste de la région andalouse, Susana Diaz, et d'autres caciques du PSŒ, inquiets de ses tentatives de rapprochement avec Podemos et les indépendantistes catalans et d'un possible " gouvernement Frankenstein ", selon les termes del'ex-secrétaire général du PSŒ, Alfredo Perez Rubalcaba. Cet affrontement s'était terminé par une réunion tendue, ponctuée de cris et de larmes, et la démission forcée de M. Sanchez de la tête du parti.
A la surprise de tous, le tenace Sanchez avait regagné son poste de secrétaire général huit mois plus tard, à l'issue des primaires internes de mai  2017, en misant sur la participation directe des militants aux grandes décisionsSon objectif était alors de retrouver " l'essence du socialisme ", de la " vraie gauche ", et de construire " une nouvelle social-démocratie " en lutte " contre le néolibéralisme " et ses " conséquences économiques et sociales ". Le Sanchez premier ministre s'annonce plus modeste.
Il a promis un gouvernement qui remplira " ses devoirs européens " et qui " respecte et fait respecter la Constitution ". Ses priorités : " La stabilité institutionnelle et la régénération démocratique, la stabilité macroéconomique et budgétaire, la stabilité sociale, professionnelle et environnementale et la stabilité territoriale. " La stabilité : ce dont son gouvernement aura le plus besoin.
Sandrine Morel

3 juin 2018

Les indépendantistes catalans prennent leur revanche

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À un jour près, la chute de Mariano Rajoy a coïncidé avec la fin de la mise sous tutelle de la Catalogne, en vigueur depuis la déclaration unilatérale d'indépendance du 27  octobre 2017. La levée de l'article  155 de la Constitution espagnole devait intervenir, samedi 2  juin, à l'issue de la prise de fonction du nouveau gouvernement catalan.
Le président catalan de la région autonome avait revu, mardi 29  mai, la composition de son gouvernement pour en -exclure les " ministres " en exil ou en détention préventive, malgré la colère de la puissante association indépendantiste ANC, qui l'a accusé de plier devant -Madrid. En conséquence, l'une des -dernières mesures du gouvernement de Mariano Rajoy a été d'autoriser la publi-cation du décret de nomination au bulletin officiel catalan, permettant la levée automatique de l'article  155.
Pour faire tomber Mariano Rajoy, les voix des indépendantistes catalans étaient indispensables. Pedro Sanchez a assuré qu'il n'a rien négocié avec eux pour les obtenir. Mais les indépendantistes, qui avaient fait de Mariano Rajoy leur bête noire, n'ont pas hésité longtemps. " Ce n'est pas une motion pour le Parti socialiste - PSŒ - , mais contre le Parti populaire - PP - ", a insisté la Gauche républicaine catalane (ERC).
" Dialogue urgent "Le président catalan, Quim Torra, s'est félicité de la chute du " gouvernement qui, il y a huit mois, envoyait la police charger des citoyens sans défense qui votaient ".Cependant, il a tenu à rappeler que " le PSŒ a été complice de la répression. (…) Nous serons très exigeants avec Pedro Sanchez ", a-t-il ajouté, appelant à un " dialogue urgent ".
Le député d'ERC, Joan Tarda, a avancé que la première requête de l'exécutif catalan sera le " rapprochement des prisonniers en Catalogne ". Le dirigeant socialiste catalan, Miquel Iceta, proche de Pedro Sanchez, a répondu que la décision " devra être prise par les juges et la direction des institutions pénitentiaires ".
Bien qu'il se soit affiché comme un fervent défenseur de l'unité de l'Espagne et un fidèle allié de Mariano Rajoy lors de la mise sous tutelle des institutions catalanes, et qu'il ait qualifié récemment le président catalan Quim Torra de " raciste " et de " Le Pen de la politique espagnole ", la sensibilité politique de Pedro Sanchez le rapproche des défenseurs d'un nouvel ancrage de la Catalogne en Espagne.
" Je pense que l'Espagne est une nation dans laquelle il y a des territoires qui se sentent aussi nation ", a-t-il expliqué, lors de la motion de défiance contre Mariano -Rajoy. Il a promis de travailler à " normaliser " les relations entre Madrid et le -nouveau gouvernement catalan et à renouer le dialogue.
S. M.
© Le Monde

3 juin 2018

Comment l'Espagne s'est déconstruite

La motion de censure votée le 1er juin contre le chef du gouvernement Mariano Rajoy, provoquant son renversement, révèle l'état de déliquescence du pays enclenché depuis des décennies, estime l'écrivain et universitaire Jordi Bonells

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L'état de déliquescence poli-tique dans lequel se trouve aujourd'hui l'Espagne est l'aboutissement d'un processus de déconstruction qui a débuté avec la crise économique et financière de 2008-2010 mettant à nu les failles d'une -société, encore en proie à son passé, faute d'avoir su l'affronter autrement qu'à la manière des autruches.
Le premier symptôme de ce processus est celui de la déconstruction en accéléré, sous les effets dévastateurs de la crise, des classes moyennes espagnoles, surfant jusqu'alors, dans un état d'euphorie et d'autocontentement immodérés, sur les différentes bulles économico-financières et immobilières des années Aznar (Parti populaire, PP) (1996-2004) et du premier mandat du socialiste José Luis Zapatero (2004-2008). Des bulles à l'ombre desquelles s'est développée une corruption politique tentaculaire, dont on assiste aujourd'hui aux derniers avatars politico-judiciaires : arrestation et mise en examen, le 22  mai, d'Eduardo Zaplana, ex-président de la Généralité - gouvernement régional - de Valence (1995-2002) et ancien ministre du deuxième gouvernement Aznar (2002-2004) ; sentence condamnatoire du 24  mai - par l'Audience nationale, la haute cour espagnole - contre le PP - parti auquel appartient Mariano Rajoy - dans le cas dit " Gürtel ", sans oublier les enquêtes en cours sur les malversations et pots-de-vin au sein de la Généralité catalane sous la présidence du nationaliste Jordi Pujol (1980-2003).
La brutalité de la crise a fragilisé non seulement les certitudes des classes moyennes espagnoles, mais surtout leur assise sociale. " Sauve qui peut " est devenu leur cri de guerre face à une dégringolade économique qui faisait voler en éclats leur mode de vie. Et en pleine crise de nerfs, pour paraphraser Pedro Almodovar, elles se sont mises à chercher à tout-va des responsables à leur malheur immédiat : les Catalans pour certains, les Espagnols pour d'autres, ou encore la caste ou les élites ou l'Europe…
Frasques de Juan CarlosLe deuxième symptôme est apparu au cœur même de la monarchie espagnole, questionnant ses fondements. Le roi Juan Carlos incarne à lui seul les contradictions d'un pays majoritairement non monarchique, qui a accepté la monarchie en  1978 – donc une certaine continuité avec la période précédente – comme le meilleur moyen de garantir la stabilité politique et de passer l'éponge après presque quarante ans de dictature. Certes, issu du franquisme, Juan Carlos a su s'en détacher. Encore faut-il être exemplaire en toutes circonstances. Car, sans exemplarité, le passé se rappelle vite à l'ordre. Et ce passé, qu'on le veuille ou non, le rattache à Franco. Or, dire que la fonction lui est montée à la tête serait peu dire tant il s'est cru tout permis. Ses frasques érotiques, son outrecuidance, ses safaris malheureux, ses dépenses obscènes à un moment où la crise faisait des ravages, ses réseaux familiaux et d'amitié qui y ont vu une possibilité de gains pas toujours très catholiques ont rapidement fait voler en éclats un prestige qui semblait pourtant bien établi.
Voilà donc qu'en  2014, il cède la place à son fils, Felipe VI : il est jeune, il est beau… et il parle anglais. Que demande le peuple ! Mais le passif est trop lourd, et le roi Felipe a beau vouloir mettre un peu d'ordre dans la maison, il oublie un peu vite qu'un roi n'a pas d'amis et encore moins si ces derniers sont dans les affaires. Qu'à cela ne tienne, la question catalane vient à point nommé, lui offrant la possibilité de consolider son aura, tout comme la tentative de coup d'Etat du 23  février 1981 avait permis à son père d'asseoir la sienne.
Mais, par ses prises de position, par son ton, au lieu d'un garant, il est apparu aux yeux de beaucoup (pas seulement les Catalans ou les catalanistes) comme un partisan. Il n'en fallait pas plus pour déconsidérer un peu plus la monarchie : " Passons à autre chose ", semblent se dire de plus en plus d'Espagnols.
Implosion des partis politiquesEt qu'en est-il de la crise catalane ? Elle a permis de mettre en évidence un profond processus de déconstruction identitaire qui ne date pas d'aujour-d'hui, loin s'en faut. Ne débattons pas ici pour savoir qui a tort, qui a raison. Contentons-nous de souligner seulement que cette crise a débouché sur un double sentiment de rupture identitaire. Beaucoup d'Espagnols voient les Catalans comme les Shylock de l'Espagne - un riche usurier juif dans Le Marchand de Venise, de Shakespeare - , ils n'hésitent donc pas à s'en prendre à eux, sans nulle retenue et sans oublier de commencer leurs phrases par un : " J'ai beaucoup d'amis catalans, mais… " Les Catalans de leur côté perçoivent les Espagnols comme de nouveaux Torquemada - moine dominicain qui joua avec zèle les grands -inquisiteurs au XVe  siècle - , laissant suinter au passage un racisme latent comme en témoignent les Tweet anti-Espagnols du nouveau président de la Généralité, Quim Torra.
Dans ce marasme, l'espace politique n'est pas en reste, se déconstruisant lui aussi. Les partis traditionnels, PP, de droite, et PSŒ (Parti socialiste ouvrier espagnol), de gauche, qui se sont partagé le pouvoir quatre décennies durant, implosent à vue d'œil. Il faut dire que la médiocrité de leurs dirigeants n'a pas peu contribué à cette situation. Et l'Etat qu'ils ont bâti à leur image, au fil des ans, se voit de même menacé d'implosion. Les coutures sautent là où ça serre : déficit croissant du politique, avec un dangereux déplacement vers le judiciaire dans la résolution des conflits ; justice tiraillée entre soumission au pouvoir et sentiment de toute-puissance ; rétrécissement des libertés dans l'espace public ; parlementarisme creux ; gangrène institutionnelle du fait de la corruption…
Dès lors, faut-il s'étonner que deux jeunes formations, l'une de droite, Ciudadanos, l'autre de gauche, Podemos, aient le vent en poupe ? Elles cristallisent les mécontentements, les attentes, les angoisses aussi. Il n'est pas dit qu'elles puissent apporter des solutions. Le moment est certainement mal choisi. L'Espagne se délite dans une Europe qui a du mal à se trouver. Ce n'est pas de bon augure, ni pour l'Espagne ni pour l'Europe.
Jordi bonells
© Le Monde

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