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vendredi 29 juin 2018

Enfants kamikazes : le projet secret des frères Clain


27 juin 2018

Enfants kamikazes : le projet secret des frères Clain

Un djihadiste français affirme qu'ils envisageaient l'envoi d'enfants-soldats en Europe pour y mener des attaques

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Des enfants-soldats formés en Syrie pour commettre des attentats en France ? Ce scénario cauchemardesque aurait été très sérieusement envisagé par l'organisation Etat islamique (EI), à en croire les récentes confessions d'un djihadiste français, Jonathan Geffroy. Capturé début 2017 par l'Armée syrienne libre (ASL) tandis qu'il cherchait à fuir la Syrie avec sa femme et ses deux enfants, ce Toulousain de 35 ans a été remis en septembre par les autorités turques à la France, où il a été mis en examen pour association de malfaiteur terroriste criminelle.
Entendu à plusieurs reprises entre septembre  2017 et février  2018 par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) puis par un juge d'instruction, le djihadiste, qui se présente comme un repenti, s'est montré constant dans son désir de coopérer. Son récit est d'autant plus précieux que Jonathan Geffroy est l'un des rares " revenants " à avoir fait -partie de l'entourage des frères Jean-Michel et Fabien Clain, deux responsables de la propagande de l'EI qui figurent parmi les plus hauts cadres français de l'organisation encore en vie.
Son témoignage semble confirmer l'une des menaces les plus redoutées par les services antiterroristes : le recrutement d'enfants ayant grandi en Syrie, les fameux " Lionceaux du Califat ", pour perpétrer des attaques en Europe. A l'en croire, ce sont les frères Clain eux-mêmes qui ont soumis ce projet à leur hiérarchie. Si ses révélations sont exactes, elles étayeraient pour la première fois le rôle des deux frères – connus pour avoir prêté leur voix à la revendication des attentats du 13  novembre 2015 – dans la conception des opérations extérieures de l'EI.
" Avez-vous assisté à des conversations sur des préparatifs d'attentats ou d'opérations extérieures ?, demande l'enquêteur.
– Je sais que les futures opérations extérieures seront commises par des enfants qui auront grandi sur zone et qui, passé l'adolescence, seront envoyés en Occident, en Europe et en France, pour y mener des opérations suicides. Mais surtout, ils seront méconnaissables du fait qu'on ne pourra pas les identifier au faciès (…). Mais c'est un projet au long cours, car ils veulent qu'ils grandissent pour pas qu'il y ait de reconnaissance faciale. "
" Projet au long cours "Il est difficile de dire si ce projet, qui aurait été conçu avant la capture de Jonathan Geffroy, est entré dans sa phase opérationnelle. Le djihadiste toulousain a été arrêté plusieurs mois avant la chute, en octobre  2017, de la ville de Rakka, où vivaient les frères Clain. Ces derniers se sont depuis repliés avec femmes et enfants – ils seraient une dizaine – à l'est de Deir ez-Zor, une zone que les Forces démocratiques syriennes (FDS) à majorité kurde tentent de reprendre. Leur marge de manœuvre s'en est trouvée considérablement réduite et les services de renseignement ont bon espoir de finir par les neutraliser.
Selon un cadre du rensei-gnement, le projet des " adolescents kamikazes " n'a pu être recoupé par des témoignages concordants. A en croire Jonathan -Geffroy, il aurait pourtant été validé par la hiérarchie de l'EI et était entré dans une phase concrète : " Quand je suis parti, il en était au stade opératoire. Le plan a été proposé à Lajna - le comité exécutif de l'EI - par Clain, je pense Fabien, ou Jean-Michel. Ça a été validé, donc je pense que ça va se faire, quand ils disent une chose, ils le font. "
La déroute militaire de l'EI a pu contrarier ce " projet au long cours ", qui devait théoriquement s'étirer sur plusieurs années. Son schéma semblait en revanche -suffisamment avancé pour que Jean-Michel Clain en confie les rênes à l'un de ses fils, Othman, aujourd'hui âgé de 16 ans. Si -Jonathan Geffroy se prévaut d'être l'un des rares" privilégiés " à avoir pu entrer dans l'appartement des Clain à Rakka, c'est du jeune -Othman qu'il dit tenir ses informations :
" Je sais qu'ils ont placé Othman à la tête des “opérations extérieures enfants” pour la France. Il -choisit les combattants. Ça a été validé au-dessus de Fabien Clain.-Othman Clain se confiait à moi, je ne suis pas censé le savoir…
– Ne pensez-vous pas qu'ils auront du mal à trouver des -candidats ?, s'enquiert l'agent de la DGSI.
– Non, ça existe déjà, il y a les -orphelins avec des écoles pour eux, après il y a les femmes qui restent là-bas et dont les enfants grandissent avec cette idéologie, et la haine de la coalition et de l'Europe. Y a les Syriens aussi… "
A l'en croire, Othman aurait lui-même pu se porter candidat si son père, avec lequel il travaillait au sein des organes de propagande de l'EI, n'avait eu de plus grandes ambitions pour lui. " Othman était prêt à commettre des attentats en France. Il ne me I'a pas dit mais je l'ai senti prêt. Avant que je parte, il m'a dit qu'il attendait un stage dans un camp d'entraînement. Il m'a dit qu'il préférerait faire des attaques plutôt que des montages vidéo. Il m'avait demandé de ne pas dire à son père qu'il voulait arrêter la vidéo, car celui-ci le voyait dans ce domaine ou émir du département des opérations extérieures pour enfants. "
Selon la DGSI, une trentaine de mineurs français sont soupçonnés d'avoir participé concrètement aux activités de l'EI. A ce jour, trois ont été identifiés dans deux vidéos d'exécution : la première, diffusée le 10  mars 2015, montrait le jeune Rayan A., 12 ans, exécutant par balle un otage sous la direction de son beau-père, -Sabri Essid, beau-frère par alliance de Mohamed Merah et proche de Jonathan Geffroy. Le 14  mai 2016, une seconde vidéo mettait en scène les deux fils de 8 ans et 12 ans d'un djihadiste converti, mort au combat, exécutant par balle deux prisonniers syriens.
" Terreur dans la campagne "Selon Jonathan Geffroy, Jean-Michel Clain, décrit comme " très proche des hautes sphères de l'EI ", et Fabien Clain, qu'il soupçonne d'œuvrer dans les " opérations extérieures ", auraient soumis un second projet " en cours de validation " à leur hiérarchie, consistant à frapper des zones rurales en France : " Le deuxième projet, dont ils attendaient les nouvelles quand je suis parti, ils voulaient faire des opérations dans des campagnes isolées où il n'y a pas de caméra. Ce n'est pas de grosses attaques, mais c'est pour mettre la terreur dans la campagne française… "
Parmi les informations qu'il livre aux enquêteurs, Jonathan Geffroy évoque la fabrication par un djihadiste français de drones d'attaque utilisant des " produits chimiques ", qui auraient été testés sur l'ASL : " Des fois ça marche, des fois non. Le produit vient d'Irak. " Il glisse également que Maxime Hauchard, qui avait -marqué l'opinion en apparaissant fin 2014 dans une vidéo de décapitations, était candidat pour mener une attaque en France : " Mais l'EI a refusé pour des raisons de sécurité ", en raison de sa médiatisation. Maxime Hauchard est présumé mort depuis l'été 2017.
" Dans quel but donnez-vous toutes ces informations ? ", s'enquiert le juge d'instruction lors de l'un de ses derniers interrogatoires, le 15  janvier 2018. Comme d'autres djihadistes avant lui, Jonathan Geffroy évoque le désenchantement, un peu tardif, du combattant déçu par sa hiérarchie. " Je me suis totalement désavoué de l'EI (…). Ils empêchaient les Syriens et les étrangers de quitter le territoire.Ils ont sali l'islam par la torture, par des raccourcis idéologiques, par les mensonges sur la restitution de nos passeports, par le fait de forcer les blessés à combattre… "
Ses déclarations doivent aussi se lire à l'aune de son sort judiciaire. Le djihadiste " repenti " fait en effet preuve d'un optimisme désarmant concernant son avenir avec son épouse marocaine. Le projet de réinsertion du couple, après un séjour qu'il imagine très bref en prison, est inattendu : " On voulait aller en Turquie, le temps qu'on puisse négocier avec la France ou le Maroc pour montrer notre bonne foi. Elle devait rentrer au Maroc, moi que je fasse trois ans de prison en France. On devait se retrouver après pour ouvrir une boutique de lingerie… " Il encourt jusqu'à trente ans de réclusion.
Soren Seelow
© Le Monde

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