27
Mar
2018
Combien de mandats jusqu’à ce que vous soyez un tyran mûr pour le changement de régime ? Par Ted Snider
Source : Ted Snider, Consortium News, 08-03-2018
Dans certains cas, l’allusion qu’un pays pourrait supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels fournit à Washington un motif suffisant pour soutenir un coup d’État, mais dans d’autres cas, Washington célèbre les présidents à vie, observe Ted Snider.
Donald Trump a suscité quelques inquiétudes la semaine dernière lorsqu’il a semblé louer le président chinois Xi Jinping pour la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels de la constitution chinoise, lui ouvrant la voie pour qu’il devienne « président à vie ». Lors d’une collecte de fonds en Floride, Trump a déclaré : « Il est maintenant président à vie. Président à vie. Non, il est génial ». Il a ensuite ajouté, sous des acclamations enthousiastes : « Je pense que c’est génial. Peut-être devrons-nous essayer ça un jour ».
Peut-être que Trump plaisantait au sujet de la suppression par la Chine de la limite du mandat présidentiel de la Constitution, mais les États-Unis ne riaient supprimant la limite du mandat présidentiel de la Constitution hondurienne. Washington a plutôt soutenu un coup d’État.
Combien de mandats consécutifs font d’un président un dictateur ? De nombreuses démocraties parlementaires n’ont pas de limite de mandats. En Grande-Bretagne, Robert Walpole a été premier ministre pendant près de 21 ans. William Pitt le Jeune a servi pendant près de 19 ans et Thatcher et Blair ont servi pendant 12 et 10 ans respectivement. Washington n’a jamais traité Thatcher ou Blair de dictateur. Au Canada, William Lyon Mackenzie King a été Premier ministre pendant plus de 21 ans. Le premier premier ministre du Canada, John A. Macdonald, a servi pendant près de 19 ans, et Pierre Elliot Trudeau, père de l’actuel premier ministre, a servi pendant 15 ans.
La limitation du nombre des mandats est devenue une question constitutionnelle dès le début de l’Amérique. De nombreux rédacteurs ont appuyé la nomination à vie des présidents. Alexander Hamilton et James Madison ont tous deux appuyé l’idée d’un mandat à vie. D’autres aussi. Une personne aurait fait basculer le vote, car il a été rejeté par une marge de seulement six voix contre quatre.
La Convention constitutionnelle de 1787 n’a pas limité le mandat du président. Et, malgré le refus de Washington de se présenter pour un troisième mandat, Ulysses S. Grant, Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson ont tous cherché à obtenir un troisième mandat. Franklin Delano Roosevelt a remporté un troisième mandat. Et un quatrième. Ce n’est qu’au milieu du siècle dernier que le 22eamendement a fait en sorte que « nul ne peut être élu au poste de président plus de deux fois… ».
C’est une phrase qui a récemment fait l’objet d’un examen dans d’autres pays également : aucune n’est plus troublante que le Honduras en ce qui concerne la réaction des États-Unis. En 2015, la Cour suprême du Honduras a supprimé la limite d’un mandat pour le président, ouvrant la voie à Juan Orlando Hernández pour un second mandat. Les États-Unis ont appuyé la candidature de M. Hernández pour un deuxième mandat, même s’il n’est pas clair que le tribunal hondurien avait le pouvoir d’apporter cet amendement constitutionnel sans qu’il y ait un vote du peuple. Il n’est pas clair non plus que la Cour a légitimement apporté cet amendement puisque c’est un comité de cinq membres et non pas la Cour des 15 membres au complet qui a voté sur le changement.
Le même soutien n’a pas été offert à l’ancien président hondurien, Manuel Zelaya, élu populairement, quoiqu’il ne soit pas allé aussi loin que Hernández. Zelaya n’a pas touché à la constitution, il n’a pas modifié les limites du nombre de mandats présidentiels et il ne s’est pas présenté pour un second mandat. Il n’a fait qu’ouvrir le débat sur le changement constitutionnel. Zelaya n’avait qu’à annoncer un plébiscite pour voir si les Honduriens voulaient rédiger une nouvelle constitution pour que l’establishment politique hostile traduise faussement son intention en une intention de chercher un second mandat inconstitutionnel et de l’évincer dans un coup d’état.
Zelaya n’avait jamais déclaré son intention de se présenter pour un second mandat – seulement pour ouvrir à la discussion l’interdiction constitutionnelle de la réélection présidentielle. Mais la Cour suprême a déclaré inconstitutionnel le plébiscite du président. Le 28 juin 2009, les militaires ont enlevé Zelaya, et la Cour suprême a accusé Zelaya de trahison et a désigné un nouveau président.
Bien que les États-Unis aient soutenu Hernández, qui a effectivement modifié les limites de son mandat et s’est présenté à la réélection, non seulement ils n’ont pas soutenu le Zelaya beaucoup plus honnête, mais ils ont soutenu le coup d’État contre lui. Rodolfo Pastor Fasquelle, ministre de la culture du gouvernement Zelaya, a déclaré sur Democracy Now que « je sais pertinemment que les agents de la CIA et le personnel militaire des États-Unis étaient en contact direct avec les conspirateurs du coup d’État et ont aidé les conspirateurs du coup d’État ».
Le spécialiste de l’Amérique latine Mark Weisbrot a au moins partiellement corroboré cette affirmation lorsqu’il m’a dit que « l’administration Obama a reconnu qu’ils avaient parlé aux militaires [honduriens] jusqu’au jour du coup d’État, prétendument pour les convaincre de ne pas le faire ». Mais, a-t-il ajouté, « j’ai du mal à croire qu’ils n’auraient pas pu es convaincre de ne pas le faire s’ils le voulaient vraiment : l’armée hondurienne est assez dépendante des États-Unis ».
Après le coup d’État, la secrétaire d’État Hillary Clinton a admis qu’elle avait aidé le coup d’État en aidant à bloquer le retour du gouvernement élu : « Dans les jours qui ont suivi [après le coup d’État], j’ai parlé avec mes homologues de tout l’hémisphère, y compris la Secrétaire [Patricia] Espinosa au Mexique. Nous avons élaboré un plan stratégique pour rétablir l’ordre au Honduras et faire en sorte que des élections libres et équitables puissent se tenir rapidement et légitimement, ce qui rendrait la question de Zelaya caduque ».
Les États-Unis ont fait tout cela en sachant pertinemment que ce qui se passait au Honduras était un coup d’État. Le 24 juillet 2009, moins d’un mois après le coup d’État, la Maison-Blanche, Clinton et beaucoup d’autres ont reçu un câble intitulé « Open and Shut : the Case of the Honduran Coup » envoyé par l’ambassade des États-Unis au Honduras. Le câble de l’ambassade dit : « Il ne fait aucun doute que l’armée, la Cour suprême et le Congrès national ont conspiré le 28 juin dans ce qui constituait un coup d’État illégal et anticonstitutionnel ». Et au cas où il y aurait des objections, le câble ajoute « qu’aucun des arguments [des défenseurs du coup d’État] n’a de validité matérielle en vertu de la constitution hondurienne ».
Les États-Unis ont appuyé un coup d’État au Honduras qui a destitué un président populaire pour avoir simplement envisagé de supprimer la limitation du nombre des mandats. Il aurait donc dû être surprenant qu’il ait soutenu un président au Honduras pour avoir effectivement supprimé les limites de mandats et cherché à se faire réélire, mais, bien sûr, il n’a jamais été question de limites du nombre de mandats. C’était bien pour Juan Orlando Hernández parce que, selon les câbles du département d’État, « il a toujours soutenu les intérêts des États-Unis ». Mais, ce n’était pas bon pour Manuel Zelaya parce qu’il a osé servir les intérêts du peuple qui l’a élu au lieu des intérêts américains.
Ainsi, lorsque le serviteur de Washington a supprimé les limites du nombre de mandats présidentiels dans l’arrière-cour de l’Amérique, l’ambassade des États-Unis au Honduras a agréé sa réélection en disant qu’elle était « satisfaite » de sa « transparence ».
Ted Snider écrit sur l’analyse des tendances de la politique étrangère et de l’histoire des États-Unis. [Cet article a été publié à l’origine sur Antiwar.com. Réimprimé avec permission.]
Source : Ted Snider, Consortium News, 08-03-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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