La Marche pour nos vies du samedi 24 mars à Washington et dans des dizaines d'autres villes américaines, pour réclamer un encadrement plus strict des armes à feu, est l'histoire d'une -surprise. Au lendemain de la -tuerie (17 morts) perpétrée le 14 février dans un lycée de Parkland, en Floride, le fatalisme semblait pourtant devoir une nouvelle fois s'imposer. Comme après le plus grand massacre perpétré par un tireur isolé, à Las Vegas (Nevada) en -octobre 2017 (58 morts) ; comme après celui qui avait ensanglanté une église du Texas le mois suivant (26 morts).
Mais, cette fois, les rescapés ont refusé que l'émotion qui avait une nouvelle fois saisi un pays tout entier reste sans lendemain. La détermination et le pouvoir de conviction de ces adolescents des classes moyennes ou supérieures leur ont permis de prendre le contrôle de l'agenda politique, mettant en difficulté les -défenseurs traditionnels d'un -accès presque inconditionnel aux armes à feu, à commencer par la puissante National Rifle Association (NRA).
" J'ai été pris de court ", avoue Ben Bowyer, politologue à la Santa Clara University (Californie) et membre d'un observatoire de la participation politique des jeunes Américains. Le chercheur souligne la qualité des premiers porte-parole, propulsés cette semaine en " une " du magazine
Time, pour expliquer pourquoi, après le drame, leurs revendications ont continué à dicter l'agenda, contraignant le président Donald Trump et le Congrès à s'exprimer.
" Efficacité redoutable "L'effet cumulatif des tueries d'élèves a sans doute également joué, depuis le lycée de Columbine, dans le Colorado, en 1999 (13 morts), l'université de Virginia Tech, en 2007 (32 morts), ou l'école primaire de Sandy Hook, dans le Connecticut, en 2012 (27 morts dont 20 enfants), pour ne parler que des plus meurtrières. Les lycéens de Parkland se définissent d'ailleurs comme
" la génération des fusillades de masse ", celle des exercices de confinement. Un chiffre effarant le confirme : le
Washington Post a calculé que 187 000 jeunes Américains ont été exposés à des violences par arme à feu en milieu scolaire depuis Columbine.
" Le moment était peut-être venu ", convient Ben Bowyer. Le baromètre de la jeunesse effectué par l'Institut de politique d'Harvard avait mesuré une évolution, même si cet indicateur concerne une tranche d'âge plus large (18-29 ans). En 2011, seuls 46 % des jeunes Américains interrogés demandaient une réglementation sur les armes plus stricte. En 2017, avant Parkland, ce chiffre avait déjà bondi à 61 %.
Le mouvement #neveragain lancé par les rescapés bénéficie aujourd'hui de la plasticité de mobilisations précédentes similaires (#metoo ou #timesup contre le harcèlement sexuel).
" Cette génération maîtrise parfaitement les réseaux sociaux dans ses interactions ordinaires. Dès lors qu'elle se trouve une cause à défendre, elle est d'une efficacité redoutable ", ajoute le politologue. Elle pratique sans complexe le
name and shame (" nommer et dénoncer ")
, en désignant les élus qui bénéficient des largesses de la NRA pour leurs campagnes électorales.
Les lycéens de Parkland ont ainsi été capables de rendre leur mobilisation contagieuse et la journée du 14 mars en a été la preuve. Plus de 3 000 établissements scolaires ont été, ce jour-là, le théâtre de brèves manifestations en hommage aux victimes. Selon les organisateurs de la Marche des femmes, qui avaient apporté leur aide technique aux adolescents tout en restant en retrait, plus d'un million d'élèves auraient répondu à l'appel.
Emma Gonzalez, figure du mouvement avec Jaclyn Corin, David Hogg, Cameron Kasky et Alex Wind, ne disposait pas de compte Twitter avant la tragédie. Ouvert depuis, on y dénombre aujour-d'hui plus de suiveurs que la NRA.
Machine arrièreCes rescapés, soucieux de toute forme de récupération, sont en outre pour l'instant intouchables. Dans l'Etat du Maine, un candidat du Parti républicain qui s'en était pris vivement à l'adolescente a été rapidement contraint de renoncer à ses ambitions.
" Nos études montrent que plus un jeune se mobilise tôt sur les réseaux sociaux, plus il est susceptible de s'impliquer politiquement ", assure Ben Bowyer. Après le rendez-vous du 24 mars, le mouvement #neveragain aura besoin de résultats. La loi votée par les élus de Floride et ratifiée le 9 mars par le gouverneur Rick Scott donne un aperçu des défis à venir. Le texte adopté en trois semaines constitue une révolution dans un Etat réputé pour son laxisme par rapport aux armes à feu. Il porte à 21 ans, au lieu de 18, l'âge légal pour en acquérir et prévoit une période d'attente de trois jours après un achat, afin de donner le temps de vérifier d'éventuels antécédents.
Ce n'est qu'une demi-victoire cependant pour les étudiants, qui n'ont pas obtenu l'interdiction des armes semi-automatiques, omniprésentes dans la quasi-totalité des fusillades de masse, y compris dans les établissements scolaires, ni celle des chargeurs à grande capacité, ni le renforcement des vérifications des antécédents des acheteurs. Cette dernière mesure se trouve pourtant soutenue aujourd'hui par une écrasante majorité d'Américains, selon de nombreux sondages.
Les législateurs de Floride ont en outre ajouté à ces restrictions, vivement combattues par la NRA, une disposition demandée au contraire depuis des années par le lobby des armes. Ils ont en effet autorisé l'armement de -professeurs ou de personnels éducatifs. La NRA considère de longue date que les zones où les armes sont interdites – les écoles ou les lieux de culte – attirent les tueurs de masse.
Alors que Donald Trump a évoqué un renforcement du contrôle des armes à feu avant de faire machine arrière, le Congrès, contrôlé par le Parti républicain, est encore plus réservé. Il n'envisage pour l'instant qu'une amélioration du système permettant de vérifier si un client potentiel n'est pas interdit d'achat d'armes compte tenu d'antécédents judiciaires ou psychologiques, de même que des mesures visant la protection des établissements scolaires. Deux réponses soutenues par la NRA.
Gilles Paris
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