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dimanche 19 mars 2017

Pourquoi la vérité nous importe si peu



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La Vie numérique par Xavier de La Porte
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Pourquoi la vérité nous importe si peu

10.03.2017


Confrontés à des faits, nous persistons dans nos fausses croyances. Ca s'explique par notre caractère social, disent des chercheurs en sciences cognitives.


Desastres de la guerre : "La verite est morte" (Murio la verdad) Eau forte d'apres dessin preparatoire au crayon rouge n°79 de Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828)

Desastres de la guerre : "La verite est morte" (Murio la verdad) Eau forte d'apres dessin preparatoire au crayon rouge n°79 de Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) Crédits :Josse / Leemage - AFP

Régime de la “post-vérité”, “faits alternatifs”, “fausses nouvelles” (fake news), quel que soit le crédit qu’on accorde à ces notions, force est de constater qu’on est dans un moment historique qui a un petit problème avec les faits et la vérité. On en a parlé mille fois ici, de la fabrication et la diffusion des fausses informations, des algorithmes qui renforcent nos croyances - au détriment de la vérité parfois - etc. Mais demeure quand même une question mystérieuse : pourquoi croit-on à cela ? Pourquoi, même quand les faits nous sont opposés, peut-on continuer à croire et prêcher le faux ? C’est une question fascinante, particulièrement en temps de campagne électorale, et à une époque où les réseaux sociaux nous confrontent sans cesse à une polarisation des avis politiques qui se fait souvent sans aucun souci du fait et où l’expression du doute, ou le désir de complexité, sont battus en brèche. Comment est-ce possible ? Eh bien, il semblerait que la manière dont fonctionne notre cerveau nous pousse à accorder peu d’importance à la vérité, que notre raison ne soit pas développée avec un grand souci du fait. C’est en tout cas ce qu’avancent deux ouvrages de sciences cognitives récemment recensés par le New Yorker.
Le premier est intitulé “Enigme de la raison” et on le doit à deux chercheurs en sciences cognitives dont l’un travaille à Lyon et l’autre à Budapest. Les deux chercheurs font de la sociabilité le coeur de tout. L’avantage de l’homme sur les autres espèces réside dans son aptitude à collaborer avec les autres membres de son espèce. Or, c’est compliqué de collaborer, surtout sur le long terme. L’hypothèse est que - je cite - “la raison ne s’est pas développée pour nous permettre de résoudre des problèmes logiques - ou abstraits -, ni pour nous aider à tirer des conclusions à partir de données nouvelles ; la raison s’est développée pour résoudre des problèmes posées par la vie dans des groupes devant collaborer.” Donc des fonctionnements qui peuvent paraître bizarres ou stupides du point de vue intellectuel trouvent leur justification dans une perspective sociale. Ainsi, ce qu’on appelle le “biais de confirmation” - la tendance que nous avons à accréditer des informations qui renforcent nos croyances et à rejeter les informations qui contredisent ces croyances - qui est constatée par toutes les études et par l’observation empirique…. Ce “biais de confirmation” est incompréhensible si l’on considère que la raison est censée nous fournir des jugements vrais - puisqu’il peut nous enfermer dans le faux - mais il devient tout à fait compréhensible quand on s’aperçoit qu’il a une utilité sociale. Et oui, il y a une utilité sociale à être plus suspicieux vis-à-vis des avis des autres que vis-à-vis des siens propres ; cette utilité, est de s’assurer qu’on n’est pas dupé par les autres. Dans les temps primitifs de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, cette fonction s’est développée pour ne pas tout le temps aller risquer sa vie à la chasse pendant que les autres restaient tout le temps tranquilles à cueillir. En gros, c’est parce que nous avons intérêt à vivre en société que nous avons développé une forme d’imperméabilité à l’avis des autres, contre la vérité parfois.
Dans le second livre - “L’illusion de la connaissance : pourquoi nous ne pensons jamais seul” - deux chercheurs américains en sciences cognitives insistent aussi sur le caractère social du fonctionnement de notre cerveau, pour le meilleur et pour le pire. Ils montrent notamment que nous avons tendance à penser savoir, alors que nous ne savons pas vraiment. Ce qui nous permet de nous satisfaire d’une connaissance superficielle, c’est le fait de pouvoir s’appuyer sur la compétence des autres. Notre savoir se fond dans celui des autres, ils s’indifférenceint presque. Mais les chercheurs notent que du point de vue politique, c’est un peu problématique. Une série d’études a montré que moins les gens en savent sur un sujet, plus leur avis est assuré, qu’ils ont tendance à réunir autour de cette assurance. La communauté d’opinion étant d’autant plus forte que le savoir sur lequel cet opinion est fragile.
Bon, tout ça est à première vue assez déprimant, et pour le journalisme en particulier (mais aussi pour les sciences sociales etc.) L’idée que notre raison se soit développée pour ne pas se faire avoir - et non pas pour trouver la vérité -, c’est assez pathétique. L’idée - même si elle n’est pas nouvelle - que le doute vienne avec le savoir est inquiétante. Et en même temps, ça explique plein de choses. Et notamment pourquoi les réseaux sociaux, qui socialisent l’information et la connaissance, produisent ces resserrements autour d’opinions tranchées, sur lesquels la vérité des faits n’opère pas. Doit-on pour autant désespérer, se retirer loin des hommes - et donc des réseaux sociaux - pour penser juste ? Je ne crois pas. Et pour deux raisons : les sciences cognitives ne sont pas normatives, elles sont descriptives. Pour le dire autrement, elles disent ce qui est, pas ce qui doit être. Les choses peuvent aller autrement. Et ceci pour une deuxième raison : l’homme évolue en fonction de son environnement et de son milieu, les chercheurs le disent bien. Internet et les réseaux sociaux sont un milieu trop nouveau pour que notre cerveau s’y soit adapté. Donc, on peut espérer que dans 10 000 ans, ça ira mieux.

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