Il y a un péché originel dans la campagne de la droite : avoir gardé Fillon. Alors même que sa défense dans l’affaire Pénélope est d’une faiblesse factuelle calamiteuse – il n’a pas produit le moindre commencement d’élément qui pourrait attester de la réalité du travail de son épouse –, il continue avec un cynisme d’acier à faire campagne. Si l’on peut appeler cela une campagne. «Je ne me retirerai pas» : Fillon reprend la célèbre formule du Général en mai 1968. Mais il avait aussi dit, avec éclat, contre Sarkozy : «Qui imagine le Général mis en examen ?», promettant de se retirer s’il était lui-même dans cette situation. Gaullisme à géométrie variable…
Sa convocation et sa probable mise en examen sont pourtant la conséquence logique de l’enquête ouverte par le parquet financier et transmise aux juges d’instruction. La procédure est classique et s’applique tous les jours en France aux justiciables lambda. Comment expliquer que les hommes politiques – seraient-ils en campagne – doivent par nature y échapper ?
La décision de la justice n’implique en rien la culpabilité du prévenu mais traduit le fait que les juges désignés estiment disposer d’éléments à charge sur lesquels François Fillon doit s’expliquer. L’intéressé tente de retourner la situation en se posant en saint Sébastien percé de mille flèches, victime d’un «acharnement» politique et judiciaire. Sans avoir peur des mots, il appelle à «résister» à «l’assassinat politique» en cours. Serait-ce un Jean Moulin des prétoires ? Tactique classique et peu convaincante. Suggérant lourdement que l’exécutif est derrière les mésaventures de Fillon, la droite n’en apporte ni la preuve ni même un seul indice qui irait dans ce sens. A ce stade, c’est une pure théorie du complot. Quant à la justice, il faudrait donc que les magistrats appliquent aux candidats un régime de faveur. Sur quelle base morale ou juridique ?
Dans un climat de révolte plus ou moins larvée contre les élites, la violente charge de Fillon contre la justice n’a d’autre effet que de délégitimer la loi, au moment où beaucoup, souvent au sein de la droite, appellent au respect des règles et au maintien de l’ordre républicain. En maintenant contre vents et marées son champion, le parti LR s’inflige un handicap qui plombe l’ensemble de la campagne en détournant le projecteur des projets et des propositions présentés aux électeurs.
C’était hier
Valls se range officiellement derrière Hamon. Mais c’est pour lui faire des croche-pieds. Officiellement, il respecte le résultat de la primaire et fait dire partout qu’Hamon est son candidat. En fait, il ne mise pas un kopeck sur lui et attend patiemment que son vainqueur de janvier soit battu en avril. Il laisse pendant ce temps ses snipers mitrailler à qui mieux mieux le candidat : «une gauche radicalisée», «une impasse stratégique», «un programme "écolo-gauchiste"», etc. Selon le Canard, il a fait part de son pronostic : «Hamon finira à moins de 10%.» Toujours cette émouvante solidarité entre camarades socialistes… Il est vrai que l’ancien frondeur ne fait guère d’efforts pour réunir sa famille, bien plus attentif aux états d’âme de Jadot ou aux vapeurs de Mélenchon qu’aux soucis bien réels des élus de son parti, qui craignent une déculottée magistrale à l’élection et lorgnent de plus en plus vers Macron.
Les deux hommes, en fait, commettent une erreur symétrique. Valls ne voit pas, ou ne veut pas voir, que le programme altermondialiste d’Hamon a réconcilié une partie de la gauche profonde avec le PS. Un responsable socialiste qui n’est guère hamoniste le reconnaît volontiers : depuis la victoire de «Benoît», il n’est plus agressé sur les marchés, les jeunes reviennent et un début de ferveur renaît autour du projet audacieux présenté aux électeurs. En retrouvant la capacité de faire – un peu – rêver en politique, ce que Valls avait largement négligé, le PS échappe à l’opprobre et, partant, à l’effacement.
A l’inverse, Hamon s’affaiblit en négligeant les réformistes. Il ne s’agit pas seulement d’élus ou d’apparatchiks, mais aussi d’électeurs. Selon les enquêtes, la moitié de ceux qui ont voté en 2012 pour François Hollande s’apprête à choisir Macron. Comment Hamon peut-il espérer bien figurer sans eux ? Avec les voix de Jadot, qui se comptent sur les doigts d’une main ? Ou celles de Mélenchon, qui va probablement les garder en jouant à fond la gauche protestataire ? A moins, bien sûr, que son objectif réel ne soit pas le scrutin présidentiel mais le prochain congrès du parti, où l’aile gauche pourrait enfin prendre le contrôle de l’appareil, projet bientôt séculaire… Dans ce cas, Hamon serait un Corbyn juvénile. Dans ce cas, surtout, le pauvre électeur de gauche qui ne sait à quel saint se vouer dans cette présidentielle va y perdre totalement son latin.
Macron est «à droite et à gauche». Moins à gauche et plus à droite ? Ses derniers soutiens viennent en grande majorité du centre droit ou du gaullisme social. Ce qui pose problème aux socialistes qui l’ont rejoint mais qui ont combattu de toute éternité ceux avec qui ils doivent désormais cohabiter. On croit deviner le calcul du leader d’En Marche : c’est Fillon qui le suit de peu dans les sondages, il faut donc siphonner autant que possible son électorat. Au risque de perdre sur la gauche ? Pas forcément dans ce calcul froid : si Hamon est loin derrière, beaucoup d’électeurs de François Hollande se sentiront obligés de voter Macron pour éviter le duel fatal droite-extrême droite au second tour. Il faut donc séduire les uns parce que les autres viendront, en quelque sorte, de force. Le renouveau macronien n’exclut pas le calcul électoral le plus classique…
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