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jeudi 29 décembre 2016

Les Crises.fr - Il y a plus d’une vérité à raconter dans la terrible histoire d’Alep (The Independent)

                                         
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                                        Les Crises - Des images pour comprendre
29
Déc
2016


Source : Robert Fisk, 15-12-2016
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Robert FISK
Les politiciens, les « experts » et les journalistes occidentaux vont devoir reprendre à zéro leur copie au cours des prochains jours, maintenant que l’armée de Bashar al-Assad a repris le contrôle de l’est d’Alep.
Nous allons savoir si les 250 000 civils « prisonniers » dans la ville étaient effectivement aussi nombreux. Nous allons en apprendre beaucoup sur le fait ils n’avaient pas la possibilité de partir quand le gouvernement syrien et l’armée de l’air russe ont lancé leur bombardement féroce de la partie orientale de la ville.
Et nous allons en apprendre encore davantage sur les « rebelles » que nous – les Occidentaux, les États-Unis, la Grande-Bretagne et nos coéquipiers du Golfe – avons soutenu.
Il y avait après tout parmi eux, al-Qaïda (alias Jabhat al-Sham), le « peuple » – comme les appelait George W. Bush – qui ont commis les crimes contre l’humanité à New York, à Washington et en Pennsylvanie le 11 septembre 2001. Rappelez-vous la guerre contre le terrorisme ? Rappelez-vous le « mal à l’état pur » qu’était al-Qaïda. Rappelez-vous tous les avertissements de nos services de sécurité bien-aimés au Royaume-Uni sur la façon dont al-Qaïda pouvait semer la terreur à Londres ?
Mais quand les rebelles, y compris al-Qaïda, se battaient dans l’est d’Alep, il n’en était plus question – car un conte d’héroïsme, de démocratie et de souffrance avait été mis au point pour nous, un récit avec des bons contre des méchants, du même acabit que celui explosif et malhonnête sur les « armes de destruction massive » en Irak.
À l’époque de Saddam Hussein, lorsque quelques-uns d’entre nous soutenions que l’invasion illégale de l’Irak mènerait à des catastrophes et à des souffrances incalculables, et que Tony Blair et George Bush nous poussaient dans la voie de la perdition, il nous incombait de constamment rappeler notre répugnance à l’égard de Saddam et de son régime. On nous rappelait inévitablement que Saddam était l’un des trois piliers de l’Axe du Mal.
Alors voici le mantra habituel que nous devons répéter ad nauseam pour éviter les habituels courrier haineux et les habituelles injures qui seront aujourd’hui versés sur quiconque se détournera de la version dominante et profondément biaisée de la tragédie syrienne.
Oui, Bashar al-Assad a brutalement détruit de vastes étendues de ses villes dans sa lutte contre ceux qui veulent renverser son régime. Oui, ce régime a une multitude de péchés accrochés à son nom : la torture, les exécutions, les prisons secrètes, le meurtre de civils et – si nous incluons les miliciens syriens sous le contrôle effectif du régime – une version effrayante de nettoyage ethnique.
Oui, nous devrions craindre pour la vie des médecins courageux de l’est d’Alep et des gens qu’ils ont soignés. Quiconque a vu les images du jeune homme sorti de la ligne des réfugiés fuyant Alep la semaine dernière, par les hommes du renseignement du régime devrait craindre pour tous ceux qui n’ont pas été autorisés à traverser les lignes du gouvernement. Et rappelez-vous comment l’ONU a dit avoir appris que 82 civils ont été « massacrés » dans leurs maisons dans les dernières 24 heures.
Mais il est temps de dire l’autre vérité : que nombre des « rebelles » que nous, les Occidentaux, avons soutenus – et que notre absurde premier ministre Theresa May a indirectement bénis lorsqu’elle a fait acte d’allégeance devant les acheteurs d’hélicoptères [saoudiens] la semaine dernière – sont les plus cruels et les plus impitoyables des combattants au Moyen-Orient. Et tandis que nous avons été abreuvés des horreurs d’Isis pendant le siège de Mossoul (un événement trop semblable à Alep, bien que vous ne le penseriez pas en lisant notre version de l’histoire), nous avons volontairement ignoré le comportement des rebelles d’Alep.
Il y a seulement quelques semaines, j’ai interviewé l’une des premières familles musulmanes à fuir l’est d’Alep à l’occasion d’un cessez-le-feu. Le père venait d’être informé que son frère devait en représailles être exécuté par les rebelles parce qu’il avait traversé la ligne de front avec sa femme et son fils. Il a condamné les rebelles pour avoir fermé les écoles et avoir placé des armes à proximité des hôpitaux. Et il n’était pas un maréchal pro-régime… Il avait même eu de l’admiration pour Isis pour leur bonne conduite dans les premiers jours du siège.
Environ à la même époque, les soldats syriens exprimaient en privé leur conviction que les Américains permettraient à Isis de quitter Mossoul pour attaquer à nouveau le régime en Syrie. Un général américain avait réellement exprimé sa crainte que les miliciens chiites irakiens puissent empêcher Isis de fuir à travers la frontière irakienne vers la Syrie.
Eh bien, c’est arrivé. En trois colonnes de camions-suicides et de milliers de partisans armés, Isis vient de se frayer un chemin à travers le désert depuis Mossoul en Irak et Raqqa et Deir ez-Zour dans l’est de la Syrie, pour reprendre la belle ville de Palmyre.
Il est très instructif d’examiner nos rapports sur ces deux événements parallèles. Presque tous les manchettes parlent aujourd’hui de la « chute » d’Alep face à l’armée syrienne – alors qu’en toute autre circonstance, nous aurions certainement dit que l’armée avait « repris » la ville aux « rebelles » – tandis qu’Isis aurait « recapturé » Palmyre quand (étant donné leur propre comportement meurtrier) nous aurions certainement annoncé que la ville romaine était « tombée » une fois de plus sous leur domination grotesque.
Les mots importent. Ce sont les mêmes hommes que ceux qui, après leur première occupation de la ville l’année dernière, ont décapité le savant de 82 ans qui a essayé de protéger les trésors romains, puis ont ensuite placé ses lunettes sur sa tête décapitée.
De leur propre aveu, les Russes ont effectué 64 bombardements contre les attaquants d’Isis à l’extérieur de Palmyre. Mais étant donné les énormes colonnes de poussière soulevées par les convois d’Isis, pourquoi l’armée de l’air américaine n’a-t-elle pas participé au bombardement de leur plus grand ennemi ? Mais non : pour une raison ou une autre, les satellites américains et les drones et les services de renseignements ne les ont pas repérés – pas plus que lorsque Isis a conduit des convois identiques de camions-suicides pour capturer Palmyre en mai 2015.
Il ne fait aucun doute que Palmyre représente un revers pour à la fois pour l’armée syrienne et les Russes – revers plus symbolique que militaire. Des officiers syriens m’ont dit à Palmyre plus tôt cette année qu’Isis ne serait jamais autorisé à revenir. Il y avait une base militaire russe dans la ville. Un avion russe nous survolait. Un orchestre russe venait de jouer dans les ruines romaines pour célébrer la libération de la ville.
Alors, que s’est-il passé ? Le plus probable est que l’armée syrienne n’a tout simplement pas le nombre de soldats nécessaire pour défendre Palmyre tout en reprenant l’est d’Alep.
Ils devront reprendre Palmyre rapidement. Mais pour Bashar al-Assad, la fin du siège d’Alep signifie qu’Isis, al-Nusra, al-Qaïda et tous les autres groupes salafistes et leurs alliés ne peuvent plus revendiquer une base ou créer une capitale dans la longue lignée des grandes villes qui forment la colonne vertébrale de la Syrie : Damas, Homs, Hama et Alep.
Revenons à Alep. Le récit familier et lassant de la politique et du journalisme a besoin d’être rafraîchi. La preuve est claire depuis quelques jours. Après des mois de condamnation des iniquités du régime syrien tout en occultant l’identité et la brutalité de ses adversaires à Alep, les organisations de défense des droits de l’homme – reniflant la défaite des rebelles – ont commencé il y a quelques jours à diffuser leurs critiques à l’égard de ces mêmes défenseurs.
Prenez le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. La semaine dernière, après les craintes tout à fait compréhensibles pour la population civile de l’est d’Alep et ses médecins et infirmiers, comme pour les civils soumis aux représailles du gouvernement et les « centaines d’hommes » qui ont disparu après avoir traversé la ligne de front, l’ONU a soudainement exprimé d’autres préoccupations.
« Au cours des deux dernières semaines, le Front Fatah al-Sham [en d’autres termes, al-Qaïda] et le Bataillon Abu Amara auraient enlevé et tué un nombre inconnu de civils qui avaient demandé aux groupes armés de quitter leurs quartiers afin d’épargner la vie des civils … « , a-t-il déclaré.
« Nous avons également reçu des informations selon lesquelles entre le 30 novembre et le 1er décembre, des groupes armés d’opposition ont tiré sur des civils qui tentaient de partir ». De plus, des « attaques aveugles » ont été menées sur des zones gouvernementales et densément peuplées à l’ouest d’Alep.
Je soupçonne que nous entendrons plus de choses dans les prochains jours. Le mois prochain, nous lirons également un nouveau livre effrayant, Merchants of Men, par la journaliste italienne Loretta Napoleoni, sur le financement de la guerre en Syrie. Elle a documenté les enlèvements-pour-argent par le gouvernement et les forces rebelles en Syrie, mais a également des mots durs pour notre propre profession de journalisme.
Les journalistes qui ont été enlevés par des gardes armés dans l’est de la Syrie, écrit-elle, « sont tombés victimes d’une sorte de syndrome d’Hemingway : les correspondants de guerre qui soutiennent l’insurrection font confiance aux rebelles et mettent leur vie entre leurs mains parce qu’ils sont de mèche avec eux. » Mais l »insurrection n’est qu’une variante du djihadisme criminel, un phénomène moderne qui n’a qu’un Dieu : l’argent. »
Est-ce trop dur pour ma profession ? Sommes-nous vraiment « de mèche » avec les rebelles ?
Certes, nos maîtres politiques sont – et pour la même raison que les rebelles enlèvent leurs victimes – inféodés à l’argent. D’où la disgrâce de Brexit May et sa bouffonnerie de ministres qui se sont prosternés la semaine dernière devant les autocrates sunnites qui financent les jihadistes en Syrie, dans l’espoir de gagner des milliards de livres dans les ventes d’armes post-Brexit au Golfe.
Dans quelques heures, le Parlement britannique doit débattre du sort des médecins, des infirmières, des enfants blessés et des civils d’Alep et d’autres régions en Syrie. Le comportement grotesque du gouvernement britannique a fait en sorte que ni les Syriens ni les Russes ne prêteront la moindre attention à nos lamentations pitoyables. Cela aussi doit être dit.
Robert Fisk
Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.
Source : Robert Fisk, 15-12-2016

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