Un an de Manuel Valls à Matignon, du choc des municipales à la défaite des départementales
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POLITIQUE - Au lendemain des élections municipales catastrophiques pour la gauche, la sanction tombe comme un couperet. Le 31 mars 2014, Jean-Marc Ayrault est débarqué de Matignon. Dans une courte allocution télévisée, François Hollande charge son populaire ministre de l'Intérieur Manuel Valls de former un "gouvernement de combat" autour d'une "équipe resserrée, cohérente et soudée". La mission qu'il assigne alors au plus droitier des socialistes est périlleuse: poursuivre le train des réformes d'inspiration libérale destinées à rassurer les milieux économiques tout en remédiant à la "crise civique et même morale" qui traverse alors la France.
Douze mois plus tard, le bilan est plus que mitigé pour l'inépuisable chef du gouvernement de 52 ans. La croissance se fait encore attendre même si elle pointe le bout du nez, le FN est au sommet et l'UMP se réconcilie (un peu) dans la victoire. Manuel Valls, lui, n'aura eu de cesse de batailler contre sa majorité et parfois contre ses propres ministres pour imposer sa ligne teintée d'autoritarisme et de réformisme à tout crin.
Si son volontarisme et son style franc du collier lui ont permis de tenir à distance une droite longtemps accaparée par ses divisions, le premier ministre s'est épuisé à tenter de fédérer une gauche au bord de la révolte. Front de Gauche, écologistes, frondeurs... En un an, la majorité s'est rabougrie et a subi trois déroutes électorales d'ampleur, des européennes aux sénatoriales jusqu'à ces élections départementales.
Hollande-Valls: l'improbable alliance qui marche
Au point d'hypothéquer son maintien à Matignon? Le premier ministre a en tout cas jugé la situation suffisamment délicate pour annuler son voyage en Allemagne et rencontrer les députés de sa majorité.
Pendant la campagne départementale dans laquelle il s'est engagé comme un matador, ce fils d'exilé catalan s'est pourtant vanté, pour faire taire ses détracteurs, de ses excellentes relations avec le président de la République: "Quand on est autorisé à tenir meeting à Tulle, c'est qu'on va rester longtemps!", a-t-il lancé lors d'un meeting en Corrèze, département pourtant en passe de basculer à droite. François Hollande avait pris les devants. "Il n'y aura pas de changement, ni de ligne ni de premier ministre", avait-il tranché dans Challenges avant même le premier tour, en promettant de tenir "jusqu'à la victoire".
Ce soutien du président de la République n'est pas désintéressé. Changer de premier ministre un an après un premier remaniement serait un signal catastrophique adressé aux Français, pronostique un cadre de la majorité. D'autant que Manuel Valls ne s'est pas économisé dans la campagne. Surtout, s'il affectionnait Jean-Marc Ayrault, François Hollande estime que la complémentarité de son duo avec son impétueux premier ministre fonctionne. Dans cette alliance improbable entre la synthèse et le clivage permanent, chacun joue son rôle sans se marcher sur les pieds. La gestion des attentats du 7 janvier dernier en a été la plus parfaite illustration. A François Hollande la figure rassembleuse du pater familias. A Manuel Valls la stature du superflic capable de mettre en branle (sans fausse note) la riposte étatique.
Leur cote de popularité s'en est fortement quoique brièvement ressentie, même si "l'esprit du 11 janvier" appartient bel et bien au passé.
Le choc de clarification et la fin des couacs
Même ses plus sévères détracteurs le lui concèdent. "Depuis l'arrivée de Manuel Valls, la machine gouvernementale fonctionne mieux", reconnait l'eurodéputé socialiste Guillaume Balas, bras droit de Benoît Hamon et animateur de l'aile gauche du PS. "Manuel n'était pas mon premier ministre de coeur il y a un an. Mais aujourd'hui, il fait le job", concède le député PS de Seine-et-Marne Olivier Faure, fidèle parmi les fidèles de Jean-Marc Ayrault.
Après deux années de couacs en rafales, l'arrivée de "Pépé" (surnom dont Cécile Duflot l'a gratifié) à Matignon a bousculé la donne. La communication de l'exécutif s'est singulièrement musclée (à l'Elysée comme au gouvernement) et les électrons libres ont été sommés de rentrer dans le rang.
Le choc de clarification intervient six mois après son arrivée à Matignon. Manuel Valls fait un exemple retentissant en débarquant Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti qui avaient pourtant oeuvré dans l'ombre à sa promotion. Leur crime de lèse-premier ministre: avoir critiqué ouvertement l'orientation du gouvernement. "Ce départ a marqué la fin des couacs et changé le climat gouvernemental", se souvient Olivier Faure en se désolant de "cette gauche qui rêve d'en découdre avec le PS pour créer un Podemos à la Française".
Tout n'est pourtant pas rose entre socialistes. Si la hache de guerre a été enterrée avec Christiane Taubira, les tensions entre Matignon et Ségolène Royal, que Manuel Valls a contredite à plusieurs reprises, sont allées crescendo.
Pour l'aile droite du Parti socialiste, favorable à une inflexion libérale encore plus prononcée, la personnalité de Manuel Valls a surtout permis de donner un peu d'air à François Hollande. Valls "a une capacité à incarner une ligne. Il donne des coups, il en prend et il l'accepte. En cela, c'est un premier ministre qui protège véritablement le président", juge le député de Paris Christophe Caresche.
A gauche, "Valls est devenu une partie du problème"
Un dynamisme guerrier doublé d'une loyauté vis à vis du président qui n'a pour l'heure jamais été prise à défaut. Mais tout cela a un prix. A commencer par l'effritement de sa solide cote de popularité et ce dès son arrivée à Matignon. Jadis champion des palmarès d'opinion, celui qui parvenait à séduire autant à gauche qu'à droite a vu son capital de notoriété se détériorer dans ces deux électorats. L'absence de résultats économiques et ses "coups de menton et de talonnettes" frôlant le dérapage expliquent le désamour d'une partie de la droite. La responsabilité qui lui est imputée dans l'implosion de la majorité gouvernementale explique celui d'une partie de la gauche.
"Manuel Valls est devenu une partie du problème. Il n'a pas cherché à rassembler, il est responsable de la division de la gauche et donc de son échec aux départementales. Et maintenant, il voudrait forcer l'union de la gauche autour de sa politique", enrage le hamoniste Guillaume Balas, partisan comme tous les frondeurs et les aubrystes d'une réorientation de la politique gouvernementale vers plus de social et d'écologie.
Le paradoxe de l'équation Valls était connu avant son arrivée à Matignon. Dès sa nomination, Manuel Valls est accueilli par une première fronde: celle des écologistes et particulièrement de Cécile Duflot qui claque unilatéralement la porte de l'exécutif. La mutinerie de l'autre gauche, alliance hétéroclite entre Front de Gauche, une partie d'EELV et ceux qu'on appelle déjà les "frondeurs" du Parti socialiste, va alors devenir le fil rouge et le boulet de cette première année passée à l'hôtel de Matignon.
Vote du budget rectificatif, adoption du Pacte de responsabilité, débat sur les allocations familiales... La tension monte graduellement et culmine avec le recours àla surprise générale au 49.3 pour faire adopter au forceps la loi Macron qui cristallise alors toutes les divisions.
"Ce qui fait la division de la gauche, c'est la ligne politique de Valls qui balkanise la gauche et éloigne les écologistes", tranche David Cormand, secrétaire national adjoint d'EELV et partisan de la ligne Duflot.
Immobilisme ou union sacrée?
Conscient que ses marges de manoeuvre sont étroites et qu'une nouvelle déroute aux régionales de décembre pourrait lui être fatale, Manuel Valls va-t-il changer son fusil d'épaule? Entre les deux tours des départementales, son discours s'est voulu plus rassembleur et d'avantage porté sur la gauche que sur sa "peur" du Front national.
Trop tard? "Le rassemblement, il ne se décrète pas", prévient le président PS de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, qui a toujours un oeil sur Matignon. Autrement dit, il va falloir composer pour apaiser les cicatrices.
"C'est tellement facile de dire tout ce qui n'a pas marché. Il faut sortir des logiques suicidaires du chacun pour soi et des désirs existentialistes", prône le légitimiste Olivier Faure. Même l'aile droite du PS, qui espérait un temps purger le parti de ses frondeurs, s'est résolu au dialogue. Mais pas à n'importe quel prix. "Il est prématuré d'accabler le bilan de Manuel Valls. L'embellie économique est là, il faut l'accompagner. Le seul danger, c'est l'immobilisme", prévient à l'avance le député Christophe Caresche.
En attendant, un autre rendez-vous hautement sensible attend le premier ministre. Celui du congrès du PS en juin à Poitiers où les frondeurs rêvent de renverser la table en ralliant Martine Aubry à leur cause. Pour l'heure, rien n'est joué. Mais avec la fin des départementales, plus rien ne retient les protagonistes socialistes de se jeter dans le jeu de massacre.
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